George Jones, dont la santé n'est pas bonne,
est persuadé que sa femme veut l'assassiner. Peu de temps après avoir
écrit une lettre aux autorités, il décède d'une crise cardiaque. Tous
les indices accusent sa femme mais cette dernière est innocente. Comment
va-t-elle pouvoir prouver qu'elle n'est pas responsable de la mort de
son époux ?
Tay Garnett signe un habile petit suspense domestique avec ce Cause for Alarm!.
Le film est coécrit et produit par le scénariste Tom Lewis qui envisage
Judy Garland dans le premier rôle, avant de céder à son épouse Loretta
Young qui le convoitait également. Cette dernière fait appel à Tay
Garnett qui l'avait déjà dirigée deux fois dans L'Amour en première page
(1937) et Divorcé malgré lui (1939). La carrière cinématographique de
Tay Garnett va nettement se ralentir dans les années suivantes pour
s'orienter vers la télévision. C'est également dans la petite lucarne
que Loretta Young va se relancer dans les années 50 avec la série Letter to Loretta qui triomphera de 1953 à 1961 et 165 épisodes. Jour de terreur
par son tournage à l'économie de 14 jours et son décorum limité à trois
pièces est donc un terrain d'exploitation technique et financier de ce
futur télévisé.
Le postulat avait tout pour anticiper les mélodrames
oppressants des années 50 démystifiant l'american way of life (on pense
notamment à Derrière le miroir de Nicolas
Ray (1956)) avec cet époux (Barry Sullivan) diminué et abruti de médicament sombrant dans la
paranoïa qui fait vivre un enfer domestique à son épouse Loretta Young.
On entrevoit un peu cette facette là mais un rebondissement saisissant
nous emmène plutôt vers une course contre la montre dont la tension
repose sur la menace latente qu'exerce des éléments bienveillants du
quotidien. Cela va du facteur trop zélé à un gamin turbulent du
quartier, en passant par une voisine trop curieuse.
Avec une belle
économie de moyen et bien aidé par la prestation suffoquée de Loretta
Young, Tay Garnett façonne une efficace suspense minimaliste qui
fonctionne parfaitement. Néanmoins on peut se dire qu'un pitch pareil
recèle un potentiel certainement plus grand que ce simple véhicule pour
Loretta Young, et l'on serait curieux (d'autant que les droits du films
sont dans le domaine public) d'en voir un remake plus nanti entre de
bonnes mains.
Infirmière dans une
bourgade de la côte de Malabar en 1954, Cotton Mary est écartelée entre ses
origines indiennes et sa culture anglaise. D'extraction modeste, elle s'invente
un passé aristocratique et enjolive sa vie en singeant les manières distinguées
des anciens colons. Lorsque l'Anglaise Lily MacIntosh accouche prématurément,
Mary sauve la situation en amenant secrètement le bébé à une nourrice des bas
quartiers. Ignorant la réalité, Lily prend Mary à son service.
Si les rôles semblent bien définis dans la fructueuse
association Merchant Ivory Productions (Ismail Merchant à la production, James
Ivory à la réalisation et très souvent Ruth Prawer Jhabvala au scénario), certaines œuvre font
exceptions comme ce Cotton Mary mis
en scène par Ismail Merchant. Nous ne sommes cependant pas dépaysés avec ce
cadre Indien postcolonial vu dans nombre de leurs films dont le célèbre Chaleur et poussière (1983). L’autre
lien fondamental concerne la réflexion sur les clivages sociaux, la quête d’identité
au cœur de Maurice (1987) ou encore Les Vestiges du jour (1993))
La critique de la société anglaise s’articule ainsi sur deux
points de vue ici. Ce sera tout d’abord celui de Lily MacIntosh (Greta Scacchi),
une mère de famille installée en Inde et livrée à elle-même à cause d’un époux
(James Wilby) peu concerné par la vie domestique. Son mal être latent son
concrétisera par l’accouchement prématuré de son deuxième enfant qu’elle n’arrive
pas à allaiter pour des motifs plus psychologiques que physiques. L’aide
précieuse de l’infirmière Mary (Madhur Jaffrey) sera donc précieuse, le bébé
étant nourri grâce à une nourrice indienne desbas quartiers.
Mary s’auréole ainsi d’une image de quasi sainte dévouée,
car en dissimulant la manière dont est alimenté le bébé ses actions relève
presque du miracle. Ce n’est pourtant qu’une manière dans ce cercle anglais
aristocrate qu’elle envie tant. C’est par elle que s’illustre l’autre dimension
néfaste de la société anglaise. Cette présence étrangère en Inde suscite soit
le rejet des locaux souhaitant voler de leurs propres ailes (la séquence des travailleurs
de champs de thé), soit une fascination morbide héritée du passé colonialiste
encore récent. C’est cette dernière névrose qui ronge Mary, métisse
anglo-indienne cherchant constamment à appuyer dans le phrasé et les attitudes
son côté anglais (possiblement fantasmé).
Le personnage sympathique au départ gagne ainsi
progressivement en ambiguïté, la relation avec Lily oscillant entre le chantage
et l’aliénation. La rivalité et le mépris de Mary envers Abraham, domestique
attitré et de confiance de la famille, rejoue d’ailleurs les rapports
tumultueux des majordomes de Les Vestiges
du jour où la dévotion aveugle tutoie la folie. La tension s’installe
subtilement dans le quotidien, tout en montrant à travers d’autres strates de
la société les causes de ces dérèglements. Rosie (Sakina Jaffrey) sans avoir la
soumission maladive de sa tante Mary, voit également chez les anglais une
manière de s’élever en devenant la maîtresse de John MacIntosh. A l’inverse la
condescendance t le racisme ordinaire de la haute société britannique transparait
plus d’une fois, expliquant sans les justifier les névroses et la schizophrénie
des locaux.
C’est d’ailleurs une des grandes forces du film, la folie de Mary n’existe
que dans l’apparat, à travers les vêtements occidentaux qu’elle vole à sa
patronne et qu’elle exhibe fière à ses congénères, aux récits vantards qu’elle
fait sur sa place dans la maison. Le personnage apparait plus pathétique que
réellement cruel et l’on peut supposer que l’acuité du regard d’Ismail Merchant
lui vient de son enfance indienne où il observa voire vécu les mêmes
déchirements (pas en tant que métisse mais en tant qu'issu d'un classe sociale indienne plus élevée) que Mary. Visuellement le film poursuit cette dichotomie, entre la
sophistication coutumière des productions Merchant Ivory pour la reconstitution
et quelque chose de plus authentique, sauvage et indien dans la capture de
certaines atmosphères. Très intéressant donc sans forcément s’élever aux
hauteurs des meilleurs James Ivory.
Sorti en dvd zone 2 anglais et doté de sous-titres anglais. Visisble aussi actuellement à La Cinémathèque française dans le cadre de la rétro Merchant-Ivory
Une interview d'époque d'Ismail Merchant à propos du film
Mr. Boo est un détective
privé maladroit et prétentieux qui ne s'occupe que de pauvres affaires
d'adultères avec son agence et son assistant Puffy (Ricky Hui) qui est sa tête
de turc. Très radin, il s'efforce de résoudre des affaires dont aucune autre
agence ne veut en dépensant le moins possible. Lee Kwok-kit (Sam Hui), un
expert en kung-fu, se fait licencier et décide alors de devenir détective privé
en rejoignant l'agence de Boo.
Troisième film de Michael Hui, The Private Eyes est une de ses grandes réussites et un de ses plus
gros succès à Hong Kong. Le film confirme et affine toutes les qualités
entrevue dans l’inaugural Games GamblerPlay (1974). L’intrigue repose à nouveau en une suite de sketches mais
cette fois ne tergiverse pas pour exploiter son concept où l’on accompagne un
trio pieds nickelés de détectives dans les différentes affaires à traiter. Tous
comme les arnaqueurs à la petite semaine de Games
Gambler Play, ce métier à la marge est une échappatoire à une existence
ouvrière plus terne comme le montre une des premières scènes où Lee Kwok-kit
(Sam Hui) est renvoyé de l’usine pour son attitude trop facétieuse.
Engagé dans
l’agence de détective de Wong (Michael Hui), un quotidien plus mouvementé l’attend
à travers les différentes missions à effectuer. C’est l’occasion pour Michael
Hui d’à la fois multiplier les situations comiques et également d’observer les
petits travers humains ordinaire. Si Games
Gambler Play scrutait une spécificité plutôt locale avec le monde du jeu
clandestin de Hong Kong, Michael se fait plus universel en faisant traiter à
ses personnages des cas d’adultères, de vol et d’escroquerie en tous genres.
L’originalité tient dans l’approche comique de Michael Hui,
cette fis typiquement hongkongaise. Les moments loufoques tiennent souvent dans
les impasses où se trouveront nos héros lors de leurs filatures. C’est un
festival où le comique naît des trognes improbables des antagonistes (l’escalade
des ennemis plus laids les uns que les autres dans une salle d’arts martiaux),
de la dissimulation inventives dans les lieux confinés (extraordinaire gags
dans une chambre d’hôtel pour surprendre un couple illégitime) ou de l’astuce
des cibles pour échapper à la justice comme ce duo de voleurs de supermarché. C’est
là que l’on voit l’énorme influence de Michael Hui sur la comédie cantonaise,
nombres de gags se retrouvant dans les classiques à venir de Jackie Chan (d'ailleurs cascadeur sur le film) ou
Sammo Hung (chorégraphe des scènes d'actions et tenant un petit rôle dans Games Gambler Play), d’autant que sont introduit ici d’efficaces scènes de kung-fu.
Une nouvelle fois les personnages sont très attachants dans
leur imperfection, notamment la relation patron/subalterne génialement odieuse
entre le radin Wong et Lee Kwok-Kit et Puffy (Ricky Hui). Là aussi la
caractérisation fonction sur des gags particulièrement inventifs jouant sur la
cohabitation, où un changement de programme télé fait vriller une scène de cuisine
vers la séance de gymnastique. Le ton du film équilibre ainsi habilement entre
expression de la bassesse ordinaire (la prise d’otage finale au cinéma où
chacun tente tant bien que mal de dissimuler ses effets) et vraie tendresse,
notamment la dernière scène. C’est rythmé, spectaculaire et truffé d’idées
visuelles, avec cet élément ludique qu’apporte la bande-son canto pop
bondissante et la chanson de Sam Hui.
Cinéaste et écrivain à
la mode, Pablo Quintero mène une vie sentimentale et sexuelle des plus agitées.
Son caractère difficile indispose Juan, son amant en titre. Pablo se livre
alors à une drague effrénée, au cours de laquelle il rencontre Antonio, un
adolescent illuminé qui se laisse séduire par l’artiste. Parti en vacances chez
ses parents, Antonio suggère à Pablo de lui écrire sous un pseudonyme féminin.
Mais, excédé par les exigences agressives d’Antonio, Pablo décide de rompre
avec le jeune homme. Celui-ci se rend dans le village andalou où Juan passe ses
vacances et le tue.
La Loi du désir
est une œuvre où Pedro Almodovar se trouve à la croisée des chemins entre ses
velléités dramatiques qui culmineront dans ses œuvres des années 90/2000 et l’exploration
des environnements à la marge de ses premiers films. Matador (1985) en ajoutant un brillant élément de thriller était
parvenu à tenir cet équilibre qui ne fonctionne pas complètement dans La Loi du désir. La qualité et parfois
le défaut d’Almodovar consiste en la densité de ses intrigues leur circonvolutions
inattendues. Donc ici chaque partie prise séparément aurait pu donner une œuvre
formidable mais se retrouve compressée par la multiplicité des directions
narratives.
Les amours complexes de Pablo (Eusebio Poncela) cinéaste gay
mélangeant réalité et fiction, préfigure la maturité en moins certains
questionnements du récent Douleur et
gloire (2019). La passion et la jalousie poussant jusqu’à une forme de
folie apaisée ou fatale parcourt la filmographie d’Almodovar mais trouvait une
fois de plus (et de nouveau en partie sous les traits du jeune Antonio
Banderas) une meilleure expression dans Matador
alors qu’ici la romance initiale et avortée de Pablo n’existe pas suffisamment
pour introniser celle plus possessive et oppressante avec Antonio Banderas. Enfin
la relation fraternelle entre Pablo et Tina (Carmen Maura), leur passé familial
douloureux trop tardivement évoqué et ses conséquences sur la transsexualité de
Tina, tout cela était suffisamment chargé pour tenir le film dans son entier.
On a donc constamment une fulgurance d’émotion qui fonctionne dans chaque
sous-intrigue prise séparément, mais qui s’annulent et ennuie mise bout à bout.
Fort heureusement la galerie de personnages (Antonio
Banderas entre ombre et lumière est formidable) et le brio de ces moments
isolés montre un Almodovar toujours inspiré. On pense particulièrement au
final, séquence de tension extrême qui bascule vers une délicatesse hors du
temps et poignante. Un Almodovar trop dispersé mais qui n’en demeure pas moins
attachant donc.