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dimanche 26 avril 2020

L'Effrontée - Claude Miller (1985)


Charlotte, 13 ans, vit en province avec son père, son frère et Léone, la bonne. Pour elle l'été s'annonce sans intérêt. Un jour, son chemin croise celui de Clara, une jeune pianiste prodige. Cette rencontre va bouleverser sa vie.

Après la lourde logistique du tournage de Mortelle randonnée (1983), Claude Miller souhaite enchaîner avec un projet plus modeste pour son film suivant. Son épouse et collaboratrice Anne Miller l’oriente alors vers la littérature de Carson McCullers dont un élément l’a frappée lors d’une lecture récente. Il s’agit de la description d’un personnage qui, suite à l’invitation de forme d’une star hollywoodienne à laquelle elle avait écrit, se monte la tête et s’affaire en préparatifs pour un futur voyage. Miller intrigué invite donc ses scénaristes Luc Béraud et Bernard Stora à repérer un ouvrage de Carson McCullers susceptible d’être adapté. Ils jetteront leur dévolu sur Frankie Addams qui répond à toutes les attentes de Miller mis se heurteront à une impasse lorsqu’ils chercheront à rencontrer les ayants-droits de Carston McCullers, décédée depuis 1967. Le réalisateur ne démord pas et du coup le film sera un savant mélange d’un premier scénario écrit par Luc Beraud et Bernard Stora, d’un second dû à Claude et Anne Miller qui y inclus nombre d’éléments autobiographique, et enfin de nombreux dialogues et situations piochés dans Frankie Addams.

L’Effrontée constitue le chaînon manquant entre Diabolo Menthe (1977) et La Boum (1980) dans l’adolescence frnçaise filmée. Diabolo Menthe confrontait les préoccupations adolescentes et féministe naissantes à un monde disparu (l’intrigue se déroulant au début des années 60) et pas conditionné pour en tenir compte. La Boum à l’inverse était un film bien de son temps où ces maux adolescents prenaient tout l’espace d’une époque qui avait appris (les travaux de Françoise Dolto entre autre) à s’en préoccuper. L’Effrontée est différent, moins soucieux de son environnement (en terme sociétal du moins) et creusant cet âge ingrat par l’observation d’une mélancolie, d’un manque que l’on ne sait expliquer. C’est le cas de la jeune Charlotte (Charlotte Gainsbourg), à fleur de peau et exaspérée de tout lors de l’été de ses 13 ans. L’ennui provincial ordinaire, le train-train familial, les amis de son âge creux, rien ne trouve grâce aux yeux de notre héroïne aussi agaçante qu’attachante dans ses épisodiques colères. On devine en filigrane que l’absence de mère (morte lorsqu’elle était enfant) occasionne un manque affectif et de modèle féminin, tout comme l’amitié avec la petite voisine Lulu (Julie Glenn) illustre le manque de complice de son âge.

Dès lors Charlotte se projette et fantasme dans ce qui symbolise l’ailleurs idéal pour ses aspirations juvéniles. Ce sera d’abord la vie de rêve du petit prodige du piano Clara (Clothilde Baudon) dont le talent, la présence lumineuse et l’allant contrastent avec les attitudes timorées de Charlotte. Enfin le semblant d’intérêt de Jean (Jean-Philippe Écoffey), jeune ouvrier local et marin à ses heures, la fait se sentir femme avant l’heure. Dans les deux cas elle se heurtera à l’illusion, ou à des expériences pour lesquelles elle n’est pas prête. Charlotte Gainsbourg est une immense révélation, présence frêle, timbre chevrotant, dans un mélange de doutes certains et de détermination sans but. 

La jeune fille sait ce qu’elle ne veut plus, mais pas encore ce à quoi elle aspire et c’est ce contraste qui mène à son inconséquence constante. La mise en scène de Claude Miller, loin de la sophistication de Mortelle Randonnée, se mets entièrement au service des états d’âmes de son héroïne. Elle observe les autres avec envie, curiosité et souhaite susciter le même intérêt, une impossibilité que Miller place dans ce constant jeu regardant/non regardée de sa réalisation, de ses valeurs de plan - le regard justement fuyant de Clara entourée de fans après le concert. C'est à travers ce même regard de Charlotte que Miller fait exister tous les seconds rôles, de la bienveillante et franche du collier Bernadette Lafont au jeune homme séduisant mais inquiétant joué par Jean-Philippe Ecoffey (qui pour le coup regarde Charlotte mais pas avec les sentiments qui conviennent). 

Miller capture sous les cris la vraie affection qui lie les membres de cette famille (très bel scène d’au revoir du grand frère (Simon de La Brosse) partant en vacances), et même à capter certains maux dans le non-dit comme la solitude du père (Raoul Billerey) que Charlotte observe durant son petit déjeuner. L’émotion ténue, fragile et toujours juste fonctionne de bout en bout pour un très beau film. La sortie sera un triomphe commercial et critique (Prix Louis Delluc, César du meilleur espoir et du meilleur second rôle pour Charlotte Gainsbourg et Bernadette Lafont) cependant entaché par le réveil des héritiers de Carson McCullers qui réclameront leur dû – tout se réglera en coulisse sans procès en échange d’une certaine somme. Claude Miller souffrira d’ailleurs d’une presse calomnieuse l’accusant de plagiat, argument stupide puisque adaptation officieuse ou pas c’est bien son travail de réalisateur pour mettre en image cette histoire et diriger ces acteurs qui sont la source de cette réussite. En tout cas la même équipe se retrouvera trois ans plus tard pour La Petite voleuse en forme de revanche à ce succès aigre-doux.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez TF1 Vidéo 

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