Misaki vient de mourir. Lors des funérailles,
sa sœur Yuri revoit pour la première fois depuis longtemps sa nièce
Ayumi, la fille de Misaki qui a du mal à accepter le décès de sa mère.
Par la suite Yuri se rend à une réunion d'anciens élèves du lycée,
comptant profiter de l'occasion pour annoncer aux ex-camarades de classe
de sa sœur que cette dernière est décédée. Cependant, avant même
qu'elle puisse transmettre la triste nouvelle, tout le monde la confond
avec sa sœur et elle n'ose plus dire la vérité. Par ailleurs, elle
recroise ce jour-là Otosaka Kyoshiro, dont elle était amoureuse plus
jeune tandis que lui éprouvait des sentiments pour Misaki.
Last Letter voit Shunji Iwai renouer avec
la veine romantique et mélancolique de ses premiers films. Le postulat
(et bien sûr le titre) est une réminiscence de son superbe Love Letter (1995) tandis que l'on retrouve au casting Takako Matsu, l'inoubliable étudiante du merveilleux April Story (1998). Last Letter
constitue vraiment une variation sur le même thème pour Shunji Iwai, ce
que renforce le fait qu'il s'agisse du remake d'un film dont il signa une première version en Chine. Le film est donc une sorte de
remake officieux de Love Letter, un de ses classiques, tout en étant celui officiel d'une production plus récente d'Iwai, et cet écho passé/présent s'inscrit tout à fait dans la démarche du récit.
Tout comme dans Love Letter, un quiproquo
entraîne une relation épistolaire inattendue entre différents
personnages reliés par un être disparu. Yuri (Takako Matsu) vient de
perdre sa sœur Misaki et assiste à ses funérailles en compagnie de sa
nièce Ayumi (Suzu Hirose) dans sa ville natale. Découvrant une
invitation à une réunion d'ancien élève adressée à sa sœur, Yuri s'y
rend et est prise pour elle, notamment par Kyoshiro (Ryûnosuke Kamiki)
ancien amoureux éperdu de Misaki au lycée. Un concours de circonstance
les oblige à ne pouvoir communiquer que par lettre, situation à laquelle
s'ajoute un second quiproquo quand Kyoshiro écrivant à l'ancienne adresse va
échanger avec Ayumi restée chez ses grands-parents et qui intriguée va
également se faire passer pour sa mère par lettre.
Ces échanges révèlent
ainsi la nature d'un deuil à surmonter pour des raisons très
différentes chez chacun des personnages. Yuri regrette de ne pas avoir
sut voir la souffrance d'une sœur aînée qui lui a toujours fait de
l'ombre, belle, charismatique et admirée de tous au lycée. Kyoshiro ne
s'est jamais remis d'avoir été éconduit par Misaki, et lui à dédié un
roman à succès mais n'a plus jamais retrouvé l'inspiration pour en écrire d'autres.
Enfin Ayumi se sent coupable que par convention, la vraie raison de la
mort de sa mère (un suicide) ait été arrangée en maladie
pour la famille.
Love Letter, montrait des personnages
miroir trop écorchés ou au contraire indifférents face à la perte.
C'était, dans la veine de récit d'apprentissage typique d'Iwai, des jeunes
femmes (toutes deux jouées par Miho Nakayama qui fait d'ailleurs une
apparition ici) devant apprendre à contenir ou laisser s'exprimer leurs
émotions. Les épreuves et déceptions du temps du lycée étaient encore
fraîches et les héroïnes avaient toute une vie devant elles pour les
surmonter et se reconstruire. Last Letter
est le film où ces maux nous aurons poursuivis jusqu'à l'âge mûr sans
que l'on ait pu se remettre.
Iwai glisse subtilement les failles de ses
personnages, comme le complexe de Yuri face à sa sœur qui se ravive lors
de la scène de réunion des anciens élèves. Prise pour Misaki, Yuri est poussée
à faire un discours qu'elle va laborieusement improviser. Le charisme
de son aîné disparue lui sera renvoyé à la figure lorsqu'un
enregistrement du discours de remise de diplôme de Misaki, pleine
d'éloquence, sera lancé. Le présent terre à terre nous ramène à nos
manques quand le passé est magnifié et idéalisé.
Kyoshiro remonte les
étapes de la vie adulte de Misaki qui l'ont conduite au suicide, tout en
se souvenant de cette merveilleuse période du lycée ou il l'aimait à
distance. Shunji Iwai renoue dans les flashbacks adolescents avec
l'esthétique stylisée et éthérée qui a fait sa gloire dans Love Letter et April Story,
à travers une photo diaphane et une atmosphère cotonneuse et en
apesanteur. Nous ne sommes pourtant pas dans la redite, la photo de
Noboru Shinoda qui exacerbait et magnifiait les saisons (l'hiver pour Love Letter, le printemps dans April Story)
s'orne d'une patine numérique, réaliste et tout en mouvement qui
correspond aux travaux plus récents d'Iwai avec le directeur photo Chigi
Kanbe (Hana et Alice mènent l'enquête (2015), A Bride for Rip Van Winkle
(2016)). L'usage du drone notamment fonctionne à la fois comme une
prise de hauteur omnisciente et poétique, ou à l'inverse pour suivre les
méandres d'un esprit torturé (le mouvement de caméra quand Kyoshiro
rend visite à l'ancien époux violent de Misaki).
On retrouve le motif du double pour signifier le renouveau avec les
actrices jouant Yuri et Misaki adolescentes (Suzu Hirose et Nana Mori)
dans les flashbacks qui incarnent leurs filles dans le présent. Cet
élément embellit le passé même dans ces versants douloureux (la
déclaration d'amour non réciproque de Yuri) et est un synonyme de
renouveau dans le présent comme la superbe scène onirique ou Kyoshiro
croit rêver en croisant les sosies/réincarnation de ses camarades
de lycée. La rédemption des personnages fonctionne par cet effet de
redite, explicite ou plus subtil (la fille de Yuri hésitante à se
déclarer à un garçon comme sa mère autrefois) mais avec toujours comme
moteur cette matière épistolaire et littéraire.
Tout cela est en tout
cas une manière pour Iwai d'enrichir et d'aborder ces thèmes de
prédilection avec le recul de l'adulte qui a vécu, et comme toujours la
candeur adolescente pleine d'espérance. Les initiés savoureront même la petite touche référentielle avec Hideaki Anno (célèbre créateur d'Evangelion t fondateur du studio Gainax) dans un petit rôle de mari mangaka (et dont les dessins sont en fait ceux de Kenji Tsuruta dont l'univers et les héroïnes répondent bien à celui d'Iwai).
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