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samedi 2 janvier 2021

L'Histoire d'Adèle H. - François Truffaut (1975)

Le récit tragique de la jeune Adèle H., fille de Victor Hugo, aimant passionnément un officier qui n'éprouvera malheureusement jamais aucun sentiment pour elle.

L’Enfant sauvage (1970) avait donné à François Truffaut une appétence pour la difficulté que représente la conception d’une fiction basée sur des faits réels. La fidélité aux vrais évènements conjuguée à une volonté de les narrer dans un traitement original avait constitué un défi que Truffaut avec brillamment relevé avec l'approche anthropologique de L’Enfant sauvage. En 1968 Frances Vernor Guille, universitaire américaine spécialiste en littérature française et plus spécifiquement Victor Hugo, « découvre » le destin captivant de la seconde fille de l’auteur, Adèle. Elle était restée dans l’ombre de Léopoldine Hugo dont on sait combien la disparition tragique affecta l’écrivain. Frances Vernor Guille publie en deux volumes (sortis en 1968 et 1971) Le journal d’Adèle Hugo, étude sur laquelle tombera François Truffaut immédiatement fasciné par le « personnage » auquel il décide de consacrer un film. 

Il se lance dès 1969 avec Jean Gruault et Suzanne Schiffman dans l’écriture d’un scénario sur lequel il revient ponctuellement jusqu’à sa finalisation et le financement du film par la United Artist en 1975. Après avoir un temps envisagé Catherine Deneuve, Truffaut pense plutôt à un nouveau visage pour incarner Adèle et va auditionner de jeunes actrices dont Stacey Tendeter qu’il dirigea dans Les Deux Anglaises et le Continent (1971). Il découvre Isabelle Adjani à l’occasion d’une représentation télévisée de L'École des femmes à la Comédie-Française, puis dans La Gifle de Claude Pinoteau où il est happé par l’intensité de son jeu dans ce contexte de de comédie. Son choix causera quelques remous auprès de la Comédie-Française dont Adjani est sociétaire, mais la perspective de tourner avec Truffaut sera la plus forte et la jeune femme parvient à se libérer de son contrat. 

François Truffaut a filmé la romance de bien des manières, lumineuse ou tourmentée, à deux ou sous forme de triangle amoureux dans les deux revers d’une même pièce que sont Jules et Jim (1962) et Les Deux anglaises et le Continent. L’Histoire d’Adèle H a la caractéristique d’être une romance solitaire, obsessionnelle, où l’aimé est une ombre que l’on poursuit ou alors un visage froid et indifférent. Le film s’ouvre sur l’arrivée d’Adèle sur l’île d’Halifax où est mobilisé le lieutenant anglais Albert Pinson (Bruce Robinson). On apprendra qu’elle l’a rencontré et aimé sur l’île de Guernesey où s’est alors exilé Victor Hugo, et que sa famille s’opposa à leur union. La jeune femme fait alors acte d’émancipation et de rébellion singulier pour l’époque face à la volonté de sa famille, mais afin de paradoxalement totalement se soumettre à un homme. 

Le rejet constant de cet homme va causer progressivement la perte de repère d’Adèle. Truffaut filme un corps, un visage, un regard, dont l’ensemble des attitudes et expressions sont uniquement dévoués à capturer le cœur d’Albert Pinson. Lorsqu’Adèle avance d’un pas déterminé dans les rues d’Halifax, c’est pour chercher ou poursuivre la moindre silhouette en uniforme qui pourrait être Albert. Quand elle est immobile et pensive, c’est qu’il habite toutes ses réflexions. Si elle écrit, c’est à lui ou sur lui. Le souffle d’Adèle, le calme ou l’agitation de ses nuits, ne sont suspendus qu’à l’espoir de le revoir et d’en être aimé.  Truffaut retrouve en partie les préceptes de L’Enfant sauvage, mais au lieu de capturer posément un éveil, il saisit les tourments d’une véritable noyade psychique. L’approche peut se faire austère, nerveuse ou onirique pour saisir ce trouble croissant.

La dimension maladive de cette obsession amoureuse se ressent particulièrement quand Pinson apparait comme une drogue dont la seule proximité permet de rester en vie un jour de plus. On pense à la scène où elle va l’épier de l’extérieur alors qu’il rend visite à une amante, les suit du regard et du geste alors qu’ils montent jusqu’à la chambre et observe, sourire aux lèvres, leur étreinte. Il y a dans cette passion névrotique un oubli de soi et de sa dignité qui dépasse les notions classiques de jalousie. Adèle ira certes briser la réputation de Pinson pour empêcher son possible mariage, mais finalement simplement le poursuivre, le regarder et l’aimer à distance est raison de vivre en soi. Truffaut distille subtilement les germes des tourments d’Adèle. L’ombre écrasante de son grand homme de père plane sur elle tout le film, et la seule manière d’en sortir est de prendre un faux nom même si le secret sera vite éventé. 
Elle ne s’appartient pas dans l’espace public, et sans doute pas plus dans le cadre familial où Léopoldine de son vivant et plus encore morte et idéalisée captait toute l’attention. La manière très dramatique dont elle narre la disparition de Léopoldine à sa logeuse madame Saunders (Sylvia Marriott) puis sa réflexion lapidaire sur la fratrie qui conclut la scène laisse entrevoir ce que représente Pinson pour Adèle. C’est la validation (ce qui explique son obsession pour le mariage) visible qu’elle peut être aimée et désirée pour elle-même. Ce que l’on entrevoit de Pinson laisse deviner l’officier coureur ne ménageant pas les mots doux pour parvenir à ses fins, mais dont la désinvolture a fait office d’élément déclencheur pour une Adèle en quête d’attention.

Toute cette obsession amoureuse menant à la folie est incarnée avec incandescence par Isabelle Adjani. La fièvre, la passion et l’abandon des séquences les plus intenses préfigurent les futures prestations tétanisantes de Possession (1981) ou Quartet (1981). Cette implication ne sera pas sans remous sur le tournage, notamment pour un Truffaut une fois de plus tombé amoureux de sa star mais cette fois éconduit. Isabelle Adjani impressionne autant dans le registre nerveux, que celui aimant d’une des rares scènes romanesques du film (le splendide moment qui voit Adèle se travesti en homme pour pénétrer dans une soirée où se trouve Pinson, la dernière scène qui idéalise sa facette romantique plutôt que sa folie) et enfin dans sa présence éteinte, dévitalisée et hagarde de la dernière scène du film à la Barbade. Un des films les plus habités de François Truffaut et l’acte de naissance d’une immense artiste. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Arte

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