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mardi 26 octobre 2021

La Cinquième victime - While the City Sleeps, Fritz Lang (1956)

Alors que le « tueur au rouge à lèvres » terrorise la ville, Walter Kyne, nouveau patron d'un grand journal, propose un poste à haute responsabilité à celui de ses trois chefs de service qui le confondra. Pour y parvenir, le meilleur journaliste de l'un d'entre eux envisage d'utiliser sa compagne comme appât...

C’est un Fritz Lang désabusé à la fois par ses déconvenues professionnelles (le montage de Les Contrebandiers de Moonfleet (1955) repris par ses producteurs) mais aussi par la tournure idéologique de son pays d’accueil (avec nombre de ses amis inquiétés par la Chasse aux sorcières du maccarthysme) qui réalise ce qui seront ses deux derniers films américains. L’Invraisemblable vérité (1956) et La Cinquième victime entremêlent chacun thriller et brûlot social sur la peine de mort pour le premier, et la presse à sensation ainsi que l’arrivisme ordinaire pour le second. 

La Cinquième victime adapte le roman The Bloody Spur de Charles Einstein, qui puise son inspiration dans le terrible fait divers qui vit William Heintert, un jeune homme de 18 ans, étrangler une fillette. Le roman croisait une forme de prémisse du portrait de serial-killer avec une satire du monde journalisme qu’il connaissait bien. Si la figure de tueur (John Drew Barrymore) est habilement développée avec ce qu’il faut d’aura inquiétante et de dimension psychanalytique, elle intervient finalement de manière assez succincte tout au long du récit. Le « tueur au rouge à lèvres » ne serait-ce que par son surnom attribué par la presse est le catalyseur pour cette dernière d’une course à l’information et au sensationnel. L’organe d’information Kyne a pour propriétaire par un jeune héritier idiot (Vincent Price) qui en laisse la direction à un trio de chefs de services aguerris avec Loving (George Sanders), Griffith (Thomas Mitchell) et Kritzer (James Craig). La résolution de l’affaire va ainsi devenir l’enjeu d’un poste de directeur que vont se disputer les trois hommes, et tous les coups seront permis pour obtenir cette prestigieuse promotion.

Fritz Lang équilibre habilement le fiel de la satire et l’enquête policière même si au vu de certaine facilité dans les indices et la résolution de cette dernière, on devine aisément où est son intérêt. Dissimulations, mensonges, adultère, tout est bon pour obtenir l’avancement même si le personnage sans réelle ambition de Mobley (Dana Andrews) semble plutôt marcher lui au plaisir ludique et de l’adrénaline que provoque cette quête de scoop. Il n’en vaut néanmoins pas mieux que ses collègues quand en menaçant publiquement le serial-killer il anticipe une réaction de ce dernier envers ses proches et plus particulièrement sa fiancée Nancy (Sally Forrest) afin de le piéger. La manœuvre est aussi inconsciente et désinvolte, répondant à celle de Loving qui lui envoie sa petite amie Mildred (Ida Lupino) également rédactrice pour le séduire et s’assurer son soutien dans l’enquête. Lang dépeint un monde où rien n’est sincère, où tout est calcul dans la moindre interaction où hommes et femmes intriguent en coulisse par goût du jeu et quête de pouvoir. On appréciera ainsi une Rhonda Fleming vénéneuse à souhait en femme adultère qui tiendra à la fois sciemment et involontairement un rôle d’arbitre dans ce duel à trois. 

Lang tisse plusieurs fils narratifs qui se rejoignent par la figure imprévisible du serial-killer, à la fois moteur et révélateur des manipulations de chacun. La nature plutôt piquante du récit retrouve toute son aura glaciale dès qu’il est remis en lumière, et les situations se font dérangeantes en amorce quand il épie et choisit une future victime féminine, puis brutales quand il se décide à concrétiser sa nature de prédateur. Lang se montre tout aussi habile dans une forme de suggestion dont la frontalité a un impact certain (l’ellipse et le travelling avant sur le visage terrifié de la femme lors du premier crime), que dans la brutalité plus explicite lors de l’attaque finale. Le film souffre parfois de petites longueurs mais dès que le suspense s’enclenche de façon plus franche, c’est réellement haletant à l’image de cette course-poursuite dans les tunnels du métro. Seules les affaires personnelles des puissants semblent pouvoir entraver la course au voyeurisme et au sensationnel dans une conclusion qui choisit néanmoins de nous laisser sur une note optimiste.

Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side

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