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mardi 23 novembre 2021

Journal d'un vieux fou - Fûten Rôjin nikki, Keigo Kimura (1962)

Un vieillard qui a gardé le goût de l'amour s'éprend de sa belle-fille, ancienne danseuse de music-hall à la morale assez libre. Avec beaucoup d'intelligence, elle profite de son beau-père pour lui arracher des libéralités extravagantes et mener une vie de luxe. En compensation, elle lui accorde des privautés savamment limitées et le maintient dans une excitation qui s'exaspère d'autant plus qu'elle ne peut aboutir qu'à de lamentables démonstrations...

Journal d'un vieux fou est l'adaptation d'un des derniers romans de Jun'ichirō Tanizaki. L'œuvre de l'auteur se partage en plusieurs période. D'abord une première sous influence de la culture occidentale émergente au Japon où le style et les thèmes du jeune homme qu'il se caractérise par une volonté de modernité. Marqué par le tremblement de terre du Kantô en 1923, Tanizaki bascule ensuite dans une veine célébrant les valeurs traditionnelles du Japon en opposition à cette influence occidentale, notamment dans un roman comme Un amour insensé paru en 1924 - et adpaté bien plus tard par Yasuzo Masumura dans La Chatte japonaise (1967). Il signera également des œuvres plus poétiques mais fera face à une censure féroce durant la guerre où son style s'oppose aux virilistes et patriotiques attente du régime. L'Après-guerre est celui du renouveau où son écriture se libère pour aborder plus explicitement les thèmes du sexe, du désir et du fantasme comme dans le très provoquant La Clé paru en 1956 - là aussi revisité plus tard par Tinto Brass dans le film éponyme (1983). Journal d'un vieux fou est un roman marqué par la santé déclinante de Tanizaki où sans se départir de son humour il scrute son désir intact face à la vieillesse, ravivé par les provocations autorisées par ce Japon contemporain où les mœurs se libère.

L'ouverture du film se distingue par le fait de longuement retarder du patriarche Utsugi (Sô Yamamura) pour d'abord introduire les membres de la famille. Les cadres, composition de plan et caractérisation des personnages laissent l'impression factice d'une imagerie à la Ozu des dernières œuvres en couleurs. Pourtant les petits égoïsmes et la mesquinerie ordinaire se dévoile progressivement dans certaines attitudes comme le fils venu au chevet de sa mère ayant fait une mauvaise chute qui, voyant la douleur mineure de celle-ci prétexte de devoir retourner au bureau pour retrouver sa maîtresse danseuse. Plus tard la fille de Ustugi viendra lui réclamer un prêt d'argent et essuyant un refus laisser brutalement tomber le masque de dévotion filiale. Utsugi conscient du peu de cas hormis matériel qu'il suscite chez ses proches décide donc de totalement s'abandonner à sa passion pour sa belle-fille Satsuko (Ayako Wakao). 

Façonnée par ses collaborations avec Yasuzo Masumura, Ayako Wakao incarne à la perfection la jeune femme japonaise moderne, frivole et pleine d'assurance. Consciente de l'émoi qu'elle suscite chez son beau-père déclinant, elle va en tirer bénéfice par de petites attentions bienveillantes en surface, et plus perverses en coulisses. Le film sort bien avant l'essor du pinku eiga et cinéma érotique (encore cantonné à l'underground, le cinéma contestataire et l'expérimental au Japon) au sein des studios japonais mais parvient tout en restant très fidèle au roman à en reproduire le trouble. Le but est d'adopter le point de vue de ce vieillard impuissant mais encore rongé par le désir qui dans sa régression est finalement aussi émoustillé qu'un adolescent à la vision de la moindre esquisse de jambe, d'épaule ou de poitrine dévoilée par la peau blanche d'Ayako Wakao. Cela se joue dans des situations anodines que Satsuko sait faire basculer pour rendre fou le vieillard et obtenir ce qu'elle veut, de l'argent, un nouveau bijou, une voiture...

Keigo Kimura dans sa mise en scène parvient ainsi à idéalement équilibrer érotisme feutré et pathétique. Utsugi descend plus bas que terre et manque de perdre la raison quand Satsuko daigne lui offrir un mollet à embrasser à travers un rideau de douche, le tout transcendé par le jeu lascif et moqueur d'Ayako Wakao. Cependant la forme de journal intime du livre manque (ne serait-ce qu'en voix-off) et rend la trame un peu répétitive en faisant d'Ustugi un être grotesque sans susciter pour lui la même empathie et tristesse que dans le roman où son ressenti était plus prégnant (même dans ses actions négatives). 

Néanmoins une scène parvient à véritablement titiller le vertige du roman, lorsque Utsugi décide de reproduire l'empreinte de pied de Satsuko qu'il souhaite imprégner sous une statue de bouddha sur sa tombe. Le tête à tête entre les deux "amants" se déleste soudain de tout second degré, la photo de Nobuo Munekawa confère à la chambre l'intimité d'un boudoir tandis que la composition de plan évoque la sensualité d'une estampe japonaise. Tout d'un coup le désir si grotesquement exprimé jusque-là (tant pour Ustugi que des séquences extérieures tapageuses dans les bars) acquiert une retenue, un érotisme feutré tout japonais. Ustugi s'acharnant à peindre jusqu'à l'épuisement la plante de pied de Satsuko, la manière dont cette dernière réclame grâce après plusieurs heures de poses, puis la fuite et la honte quand ils seront découverts, tout concourt à faire de la scène une analogie de l'étreinte sexuelle qu'ils ne peuvent pas concrètement réaliser. Une séquence fabuleuse qui nous mène vers un épilogue moins mélancolique que chez Tanizaki, mais tout aussi pertinent avec le désir charnel comme force de vie pour un Ustugi accroché à ses fantasmes.

Sorti en dvd japonais

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