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samedi 5 février 2022

La Disparition de Haruhi Suzumiya - Suzumiya Haruhi no Shōshitsu, Tatsuya Ishihara et Yasuhiro Takemoto (2010)


 L'histoire commence environ un mois après le festival culturel. Le 16 décembre, date à laquelle commence le film, on apprend que la brigade SOS a décidé d'organiser dans une nouvelle soirée spéciale en l'honneur de la nativité. Le jour suivant, la brigade SOS commence tranquillement à décorer la salle du club en vue du réveillon de Noël. Mais, alors que tout allait pour le mieux, le matin du 18 décembre, Kyon se réveille dans un monde où Haruhi Suzumiya ne semble avoir jamais existé tandis que d'autres personnes qui ne devraient pas être là, le sont.

La Mélancolie d’Haruhi Suzumiya fut certainement une des séries phénomènes de l’animation japonaise des années 2000. Il s’agit à l’origine d’une série de light novels (romans destinés aux adolescents et jeunes adultes) écrit par Nagaru Tanigawa et illustrée par Noizi Ito comptant actuellement 12 volumes. Le succès entraînera diverses déclinaisons dont un manga et surtout une série d’animation produite en 2006 et qui contribuera à mettre sur orbite le studio Kyoto Animation, appelé à de grandes choses par la suite (Liz et l’oiseau bleu (2018), A Silent Voice (2016), Violet Evergarden…). La série nous dépeint le quotidien de Haruhi Suzumiya, lycéenne excentrique et peu intéressée par tout ce qui relève de la normalité. Elle n’aspire qu’à rencontrer des êtres surnaturels, qu’il soit médium, extraterrestre ou voyageur temporel. 

Pour parvenir à ses fins elle va embarquer son camarade plus terre à terre Kyon dans la création de la « Brigade SOS » destinée à enquêter sur les phénomènes paranormaux. Ce postulat somme toute classique de série fantastique est rapidement détourné lorsque les nouveaux membres du club vont immédiatement correspondre, à l’insu d’Haruhi, aux critères des êtres fantastiques qu’elle rêve de croiser. La taciturne Nagato est une extraterrestre, Koizumi est un esper (être aux dons extra-sensoriels) et la gironde Asahina est une voyageuse temporelle. Haruhi par son désir si puissant de se confronter au surnaturel a fait vriller l’équilibre de l’univers et ces êtres éveillés par elle ont précisément été envoyé pour étudier ses réactions. Notre héroïne s’avère donc malgré elle une sorte de déesse démiurge dont le moindre soubresaut émotionnel pourrait faire basculer la balance de cette réalité. Les phénomènes et catastrophes les plus fous se jouent donc à l’insu du personnage, Kyon étant notre lien avec la rationalité. 

Ce concept très original va ainsi autoriser toutes les audaces formelles et narratives tout au long des deux saisons de la série. Voyage dans le temps, créatures inédites, dimensions parallèles, s’entremêlent à un quotidien lycéen japonais dans tout ce qu’il a d’ordinaire : club, festivals, compétitions sportives. Ce mélange donne un cachet unique à la série qui transgresse tous les codes classiques avec ses épisodes dans le désordre, concepts SF malaxés jusqu’à leurs limites avec en point d’orgue un arc narratif autour de boucles temporelles s’étirant sur pas moins de sept épisodes. La chronologie de l’histoire étant incertaine tout au long des deux saisons (produite en 2006 et 2009), le film La Disparition d’Haruhi Suzumiya en constitue la vraie suite en adaptant le quatrième roman de la série. Le film s’ouvre sur les bases d’un épisode classique, avec une Haruhi entraînant dans son sillage ses camarades afin de fêter noël ensemble. On retrouve avec plaisir la narration en voix-off désabusée de Kyon, souffre-douleur préféré et consentant de Haruhi. Pourtant un matin, il se réveille pour se rendre compte l’espace-temps a changé, effaçant sa rencontre avec Haruhi, la brigade SOS, toutes les aventures passées… Seul Kyon semble être constant du phénomène.

La série nous ayant habitué à distordre ainsi la réalité, on attend une explication farfelue qui semble ne pas venir. L’esthétique colorée de la série prend soudain une teinte terne et hivernale, les décors, l’atmosphère s’ornant d’une esthétique froide, oppressante et correspondant plus à l’idée que l’on se fait d’une réalité tangible - et aseptisée. La normalité qui l’entoure devient paradoxalement une anomalie pour Kyon désormais habitué à côtoyer le versant étrange de son quotidien, au point de nous faire douter. Et si Kyon avait imaginé tous les phénomènes surréalistes rattachés à Haruhi pour égayer sa vie lycéenne terne ? L’hypothèse est largement suggérée en revisitant les moments-clés de la série soudainement ramené à leur ridicule en se confrontant au rationnel, et faisant basculer l’équilibre mental de Kyon. Si l’explication tarabiscotée de SF ne manquera pas finalement d’intervenir pour résoudre l’intrigue, le récit ramène avant tout cela à une forme d’introspection de tous les personnages. 

Le récit nous ramène à une réalité ou les protagonistes ne se sont jamais rencontrés, et la magie ne pourra renaître qu’en les rassemblant. Observateur désabusé subissant plus que n’appréciant les phénomènes auxquels il est confronté dans la série, Kyon admet enfin les joies que lui procuraient ces aventures et souffre de ne plus les revivre. On ressent aussi en sous-texte (même si un des meilleurs épisodes dans le monde des rêves l’avait laissé voir) l’amour qu’il ressent pour Haruhi - qui représente la part de candeur et de fantaisie en lui qu'il n'ose exprimer directement - et voir ce protagoniste cynique désormais perdu, anxieux et au bord des larmes est assez intense. La scène où il retrouve Haruhi même si différente, est à ce titre un magnifique moment d'émotion et d'iconisation qui réintroduit celle-ci dans les yeux et le coeur de Kyon - avec le sens du détail délicat typique de Kyoto Animation. La dimension farfelue de la série s’estompe pour nous plonger dans une tonalité plus introspective, mélancolique, où tous les personnages ainsi livrés à eux-mêmes paraissent éteint et inaccomplis. C’est particulièrement vrai pour Haruhi, avec une très belle expression trouvée dans le film la décrivant désormais son regard comme celui d’une « combattante sans adversaire ». 

Les excès disparaissent pour davantage creuser l’intime et fait gagner en profondeur les figures plus secondaires. Froide, fonctionnelle et distante Nagato laisse entrevoir ses failles sous sa nature d’intelligence artificielle et cette mise à nu va ouvrir sur un épilogue très touchant. La noirceur inattendue de l’ensemble fait donc bouger les lignes quant aux interactions entre les personnages par ce travail formel (l’équilibre entre onirisme et réalisme dans la photo et le décor fait merveille) et cette atmosphère hypnotique qui estompe totalement la durée conséquente de 2h40. En revanche si l’on n’a pas vu la série (ne serait-ce que la première saison), l’ensemble paraîtra totalement hermétique et incompréhensible, autant être prévenu. Cette belle réussite fait en tout cas regretter que la série n’ait toujours pas connue de suite, la matière des nombreux romans restant à adapter (dont quelques-uns furent publiés en France) offrant à cet univers riche encore de grandes possibilités.


 Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Kaze

 

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