Pages

dimanche 13 février 2022

La Fille de tes rêves - La niña de tus ojos, Fernando Trueba (1998)


 Une troupe d'acteurs espagnols vient en Allemagne pour un tournage organisé dans le cadre d'une collaboration entre franquistes et nazis. Mais le Dr Goebbels tombe amoureux de l'actrice principale, ce qui va changer les conditions du tournage. Au moment où se déroule le film, la guerre civile fait rage en Espagne.

La Fille de tes rêves vient conclure en beauté la trilogie historique de Fernando Trueba après El año de las luces (1986) et Belle Epoque (1992). L'arrière-plan du récit est toujours l'Espagne des années 30 alors en pleine guerre civile, mais le cadre et le propos se veut cette fois plus ambitieux encore. Le film s'inspire d'évènements réels, à savoir le tournage en Allemagne nazie de deux films par une équipe et des acteurs espagnols, Carmen, la de Triana (1938) et (comme cela se faisait encore) sa version allemande Andalusische Nächte (1938). La vedette féminine des films était Imperio Argentina, chanteuse et actrice argentine installée en Espagne où elle compte notamment Franco parmi ses admirateurs. Le tournage des films est ainsi une manière d'entériner l'accointance entre les régimes franquistes et nazi, Imperio Argentina s'installant en Allemagne sur invitation de Goebbels - ses sympathies douteuses lui valant quelques boycotts lorsqu'elle se produira à l'étranger. Fernando Trueba s'empare donc de cette matière pour un pur récit romanesque.

Nous suivons une équipe de tournage fraîchement arrivée en Allemagne, amenant avec eux leurs divergences politiques, la brutalité qu'ils connaissent du régime franquiste qui va se confronter à au nazisme. Le ton se fait dans un premier temps très enlevés, comme une relecture façon film historique de La Nuit américaine. Egos surdimensionnés, petites mesquineries, liaisons plus ou moins secrètes entre les uns et les autres, tout cela se déroule avec mordant dans les dialogues et situations, comme lorsque le très narcissique et macho Julián (Jorge Sanz) devient la cible de la star masculine allemande gay (Götz Otto). Cet élément comique nous introduit cependant le harcèlement dont fera l'objet Macarena (Penelope Cruz en pendant de Imperio Argentina) de la part de Goebbels (Johannes Silberschneider) en personne. 

L'attrait pour les arts du ministre de la Propagande se manifeste ainsi par l'usage de son statut pour coucher avec les actrices en vue. Les personnages sont déchirés entre les concessions inhérentes à leurs ambitions, toute opposition mettant à mal leur carrière et peut-être même leurs vies. Tout cela se met en parallèle de la situation en Espagne, notamment Macarena contrainte par l'emprisonnement de son père par le régime franquiste et forcée de subir les avances de Goebbels. L'individualisme de la troupe se s'accommode donc de ce contexte, notamment le réalisateur (Blas Fontiveros) amant de Macarena mais la poussant malgré tout dans les bras de Goebbels.

Peu à peu les protagonistes sont forcés d'observer le monde qui les entoure. Par besoin de figurants hispaniques crédibles, des juifs sont enrôlés et sortis de leurs camps de concentration. Les inégalités de leur traitement frappent ainsi nos héros (un glaçante scène d'assaut de quartier juif ayant précédé) et particulièrement Macarena qui va s'attacher à un d'entre eux Léo (Karel Dobrý). Fernando Trueba joue à plein des ruptures de ton, passant de séquences de tournages flamboyantes, d'apartés comiques hilarants, à de glaçant retour au réel. Lors d'une séquence de comédie musicale pétaradante où Macarena donne de sa personne, elle remarque la mine sinistre des figurants juifs qui dénote dans l'atmosphère, ce qui va éveiller son intérêt pour eux. Dans la dernière partie un quiproquo va faire confondre Julián avec un juif évadé et lui faire gouter à la torture ce qui lui vaudra cette réplique aussi savoureuse que glaçante : Torturé, moi, un fasciste !. Sans atteindre la même virtuosité, le film prend un tournant à la To Be or not to be où toute la folie douce des comédiens sert désormais une noble cause en voulant sauver un juif en fuite. 

Les tonalités loufoques et sérieuses s'équilibrent enfin, la menace fasciste réelle pouvant être surmontée par l'imaginaire et l'excentricité du monde du spectacle. On pourrait se dire qu'il manque une grande scène de mise en abyme pour expliciter cette idée, mais Trueba l'a en fait placée à une échelle plus intime lors d'une des plus belles scènes du film. Ayant appris en coulisse la mort de son père, Macarena doit jouer une scène de deuil par la suite et là Trueba se place à l'échelle parfois manipulatrice du réalisateur (usant du vécu de ses comédiens pour stimuler leur jeu) et de celle totalement empathique qu'exprime le jeu intense de Penelope Cruz à ce moment-là. C'est réellement avec ce rôle que l'actrice devient la grande figure du cinéma espagnol (la collaboration avec Almodovar a démarré l'année précédente avec En chair et en os (1997) et la reconnaissance internationale arrive l'année suivante dans Tout sur ma mère (1999)). Un idéal de cinéma populaire, romanesque et concerné qui constitue sans doute le plus grand succès (avec Belle Epoque) commercial et critique de Fernando Trueba. Il en donnera une suite tardive en 2016 avec La Reine d'Espagne racontant le retour de Macarena dans l'Espagne franquiste.

Sorti en dvd zone 2 français chez Cinéma Independant, et disponible sur Amazon Prime mais uniquement en vf hélas

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire