Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Manolo - El año de las luces, Fernando Trueba (1986)
En 1940, en Espagne, deux frères (Manolo, un
adolescent de 16 ans, et Jesus, 8 ans) sont emmenés par leur grand frère
dans un sanatorium à la frontière portugaise... Là-bas, Manolo vit ses
premières aventures amoureuses.
El año de las luces inaugure la trilogie
historique de Fernando Trueba, se situant dans l'Espagne au carrefour de
la démocratie et du franquisme dans les années 30/40 et que suivront Belle Epoque (1992) et La Fille de ses rêves
(1998). Le film se situe en 1940, un an après la fin de la Guerre
d'Espagne et l'arrivée au pouvoir de Franco. Fernando Trueba use ici
d'un postulat très proche de ce qu'il fera dans Belle Epoque mais dans une tonalité très différente. Belle Epoque
se situe au début des années 30, dans une Espagne s'apprêtant à
basculer dans la démocratie et offrirait une œuvre lumineuse, où les
carcans moraux et religieux sautent pour céder à un hédonisme radieux et
dépolitisé.
Réalisé avant mais historiquement situé après, El año de las luces
nous montre au contraire la fin de cette parenthèse enchantée. Manolo
(Jorge Sanz), adolescent de 16 ans est emmené par son grand frère, gradé
franquiste, passer un temps au sein d'un sanatorium. Ce lieu n'est
peuplé que de femmes, infirmières, enseignantes ou jeunes filles venues
passer leur service social. Quelques dialogues durant le trajet vers le
sanatorium témoignent d'une certaine innocence disparue pour Manolo,
déjà cynique dans ce qu'il a vu de certains évènements durant la guerre.
Il expliquera ainsi à son grand frère que le camp franquiste qu'il a
soutenu n'a pas hésité à bombarder au hasard des innocents dont sa
propre famille, et ce dernier n'aura qu'un désinvolte "c'était la
guerre" à lui répondre.
Il reste pourtant un domaine où Manolo reste inaccompli, où la doctrine
dominante ne lui a pas encore fait perdre ses illusions, les amours. On
suit donc le quotidien de l'adolescent au sein du sanatorium et Fernando
Trueba use de toutes les possibilités de mise en scène pour dépeindre
ses hormones en ébullitions ainsi entouré de femmes. La moindre
situation, rapprochement et discussion dévient prétexte à un regard à la
dérobée dans un décolleté, frôlement inattendu d'un fessier, sentir le
doux parfum d'une chevelure. Trueba va de l'explicite et franchement
paillard (la fâcheuse tendance de Manolo à se masturber plusieurs fois
par jour) à un érotisme discret lorsque chaque soir, il observe l'ombre
d'une employée se déshabillant dans le dortoir. Le désir est d'ailleurs
réciproque, entre les jeunes filles oscillantes entre la moquerie, le
rejet et le flirt discret face à ce jeune homme cachant tant bien que
mal son émoi.
Les adultes ne sont pas en reste avec une directrice
(Verónica Forqué) ravalant sa libido sous ses responsabilités.
Cependant, tout ce climat très naturel se doit d'être étouffé par une
moralité hypocrite. Trueba dénonce là toute la facticité des dogmes
religieux, éducatif et moraux visant davantage à étouffer l'identité
profonde de l'individu plutôt que de veiller à sa vertu. Prêtre défroqué
(José Sazatornil), enseignante bigote (Chus Lampreave) voient leur
répression vindicative s'exprimer à l'échelle de leur secret ou
frustration. Ils imaginent dans les mœurs des autres le pire de ce
qu'ils ont déjà transgressé ou de ce qu’ils sont frustrés de ne pouvoir
faire. Trueba prolonge ainsi cette moralité à l'échelle politique où
tous ces symboles se rangent sous l'uniformité du franquisme et
invectivent ceux qu'ils soupçonnent d'idéologie différente comme le
communisme.
Par moment le film évoque une version adolescente et plus sensuelle de la bande-dessinée Paracuellos
de Carlos Gimenez (grande inspiration notamment de L'Echine du diable
de Guillermo Del Toro) dans sa manière de bafouer l'innocence. Ainsi la
vraie romance tendre et chaste qui naîtra entre Manolo et Maria Jesus
(Maribel Verdú) se heurtera aux regards inquisiteurs, à l'imagination
tordue de toutes ces figures supposées de la bienséance. On ressent
d'ailleurs l'influence de cette éducation où chaque baiser arraché est
coupable, toute promiscuité est fébrile, et que l'on se sent obligé
d'avouer à demi-mot en confession. On sent vraiment qu'avec
l'extravagance du suivant Belle Epoque, et
notamment par la réminiscence du casting (où Jorge Sanz sera de nouveau
un jeune homme bien entouré, notamment encore par Maribel Verdú, la
redite de certaines situations), Fernando Trueba a voulu réaliser deux
œuvres miroir. Heureusement la légèreté n'est pas absence de ce récit
d'initiation, notamment les entrevues avec le truculent homme à tout
faire nostalgique de sa jeunesse dissolue à Paris dont il partage les
détails à Manolo. Une œuvre sensible et attachante, qui revêt les maux
des premiers amours d'un funeste contexte politique, à l'image de ce dernier plan sur Manolo définitivement plus un enfant.
Sorti en dvd zone 2 espagnol chez Warner et doté de sous-titres français
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