Quentin Tarantino avait signé avec Once upon a time… In Hollywood (2019) une véritable œuvre-somme, sans doute un de ses films les plus personnels. Tarantino a plusieurs fois expliqué son processus d’écriture, qui consiste à tout d’abord rédiger son histoire sous une forme proche du roman avant de l’ajuster pour qu’il corresponde à un scénario de film. Il peut ainsi imprégner les personnages, leur background ainsi que l’environnement qui les entoure de moults détails qui les nourrissent à l’écran et qui se ressentent implicitement même s’ils ne sont explicités dans le film. Cela peut même être un élément intéressant pour les acteurs les plus pointilleux qui voient là une source supplémentaire propre à nourrir leur interprétation. Cette approche se ressentait dans Once upon a time… In Hollywood plus que dans n’importe quel autre de ses films et l’on devinait une matière bien plus vaste se prêtant à une possible version longue… Ou un roman !
Tarantino franchit donc officiellement le pas avec non pas une novellisation, mais une vraie version alternative et indépendante du film. La version filmée était, malgré la liberté dont jouit Tarantino, malgré tout soumises aux contingences commerciales et narratives d’un film de cette ampleur. Tarantino comme souvent se montrait capable de happer le néophyte comme le connaisseur de la période et du cadre dépeint, par la grâce d’un casting prestigieux (Leonardo Di Caprio et Brad Pitt au sommet de leur charisme) et surtout d’un fil rouge propre à accrocher tout le monde. Il s’agissait du sentiment d’attente, du compte à rebours autour de la traumatisante agression de Sharon Tate par des disciples de Charles Manson. Cette tension latente planait autour du récit et allait trouver une réponse aussi féroce que touchante par un Tarantino s’inventant une véritable réalité parallèle. L’objectif du roman diffère totalement. A travers différents aller-retours dans le temps, le final cathartique du film est révélé au bout d’une centaine de pages, ne constituant plus du tout le pinacle cathartique de l’histoire qui va désormais dans une autre direction. C’est le côté fin d’un monde et la difficulté à s’adapter au nouveau qui domine dans les angoisses bien plus fouillées de la star de western déchue Rick Dalton. Le name-dropping est de mise pour exprimer les regrets, les rendez-vous manqués et le dépit de Dalton dans un savant mélange de narcissisme, d’auto-apitoiement et d’humilité. Tarantino nous plonge dans les coulisses des fonctionnements des studios de l’époque et nous montre les espoirs comme impasses d’une star montante avec une résonnance plus grande que le film. C’est particulièrement vrai avec l’anecdote cette fois multipliée et renforçant le mal-être de Dalton sur le fait qu’il était sur une short-list d’acteurs pour jouer le légendaire rôle de Steve McQueen dans La Grande évasion de John Sturges, si l’acteur hésitant avait finalement refusé le rôle. La manière dont Tarantino fait revenir cette légende urbaine est une merveille, dans l’implicite à travers l’agacement de Dalton à devoir la raconter encore et encore, ou du vice de ses interlocuteurs qui trouvent là une manière de le rabaisser. Un des derniers chapitre voit notre héros exposer explicitement son point de vue sur la véracité et faisabilité de ce moment-clé de sa carrière, et est une merveille de cynisme désabusé dépeignant une certaine réalité hollywoodienne à travers un dialogue brillant.
Les éléments latents de suspense ayant été éventés par le film, Tarantino approfondi son point de vue sur la Manson Family. C’était déjà le cas dans la démythisation du film où ils étaient présentés comme des paumés, et encore plus cinglant ici. La mystique hippie est un refuge de jeunes marginaux pour les plus jeunes, et un marchepied pour les cyniques ambitieux comme Charles Manson visant une carrière musicale. Les disciples féminines ne sont que des outils malléables propres aux plaisirs hédonistes ou des monnaies d’échanges dans les cercles que l’on souhaite infiltrer. Cette approche désamorce notamment un des moments les plus glaçants du film, l’arrivée de Cliff Booth dans le ranch occupé par la Manson Family. Par un brillant renversement, l’élément le plus dangereux et menaçant s’avère bien Cliff Booth dont le passif criminel ambigu est totalement levé dans le roman. Cela n’enlève rien au pouvoir de fascination du personnage, électron libre et sorte de mâle alpha insaisissable dans lequel Tarantino projette la facette sombre et/ou potache de sa violence, mais aussi les apartés cinéphiliques irrésistibles. Ainsi on se délectera du chapitre expliquant la fonction de « ringer » sur un tournage pour l’équipe de cascadeur, ce qui ajoute une saveur supplémentaire au passage polémique sur Bruce Lee – basé sur une anecdote réelle lors de la série Le Frelon vert, les fans ayant criés au racisme sans se renseigner.
Le côté balade dans un moment disparu et fantasmé d’un Hollywood disparu est largement plus prononcé que dans le film, en se concentrant encore davantage sur l’atmosphère et les personnages. Il y a quelque chose du meilleur de James Ellroy dans cet art d’entrecroiser la grande et la petite histoire, l’aristocratie hollywoodienne installée et les seconds couteaux. Sharon Tate gagne grandement en épaisseur à l’écrit, la blonde souriante, avenante et iconique du film montrant une facette plus fragile et attachante encore – notamment la fameuse scène où elle va voir un Matt Helm où elle joue dans une salle de cinéma. Le plus savoureux sera cependant de savourer l’écriture de Tarantino délesté des contraintes de la fiction filmée. La musicalité des dialogues transpire l’authenticité, tout en se montrant percutante, inventive et toujours rattachée à des enjeux intimes. L’imprésario Marvin Schwarz qui ramène Rick Dalton à sa triste condition de has-been a droit à des saillies encore plus croustillantes que dans le film. Mais surtout l’avant-dernier chapitre décrivant une discussion décontractée entre comédiens dans un bar est une petite merveille, Tarantino à son zénith.
Dernier point crucial, l’art de Tarantino d’entrecroiser fiction et réel. Cela s’exprime d’abord dans la pure narration où il parvient par l’écriture au même exploit que par l’image dans le film lors du tournage du pilote de western Lancer. La description minutieuse des personnages, de leurs maux et attentes nous happe soudain dans ce récit imbriqué pour (tout comme le film) nous faire oublier la trame principale du roman et véritablement vouloir suivre ce western. L’interaction entre Dalton et l’apprentie comédienne Trudy n’est plus juste un à côté décalé, mais un vrai moment de complicité prolongé qui redonne foi à Dalton en son métier dans une magnifique conclusion. La mélancolie pèse moins dans la fin du livre où Dalton savoure ce qu’il est, ce qu’il vit et a vécu, tandis que le film laissait miroiter l’illusion de ce qui aurait pu être.
Publié aux éditions Fayard
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire