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jeudi 17 février 2022

Baby Love - Alastair Reid (1969)

Une adolescente de quinze ans dont la mère s'est suicidée emménage chez un amour de jeunesse de la défunte, aujourd'hui marié et père de famille. Elle découvre un milieu qu'elle ne connaissait pas et éprouve des difficultés à s'adapter...

Baby Love est un des films les plus sulfureux du cinéma anglais des années 60. Il s'agit de l'adaptation du roman éponyme de Tina Chad Christian, qualifié lors de sa publication de pendant britannique au Lolita de Vladimir Nabokov. Le film est le premier projet en tant que producteur indépendant de Michael Klinger qui vient de fonder sa compagnie après avoir fait les beaux jours de Compton Films où il fut derrière des classiques comme Cul de sac (1966) et Répulsion (1966) de Roman Polanski ou encore L'Année dernière à Marienbad d'Alain Resnais (1961). Ce mélange d'ambition artistique et de flair commercial joue à plein sur Baby Love dont il achète les droits sur les conseils de sa secrétaire. Le film dans sa promotion, esthétique et érotisme joue ainsi une carte volontairement racoleuse tout en faisant sens dans un film finalement plus proche de Théorème de Pasolini (1968) que de Lolita évoqué plus haut.

Luci (Linda Hayden) est une adolescente de quinze ans vivant seule avec sa mère. La scène d'ouverture illustre en montage alterné le tempérament précoce et audacieux de Luci, mais également ses démons en la montrant épater ses amies en allant embrasser un garçon, tandis qu'en parallèle on assiste au suicide de sa mère (Diane Dors) dont Luci découvrira le corps en rentrant. Robert (Keith Barron) un ancient amant de sa mère, l'accueille au sein de sa famille auprès de son épouse Amy (Ann Lynn) et son fils Nick (Derek Lamden) du même âge. Luci découvre ainsi un milieu social plus élevé qu'elle va devoir apprivoiser. La jeune fille est hantée par la vision de sa mère morte dans d'horribles cauchemars, dans lesquels on entrevoit des maux plus profonds comme la vie dissolue de cette mère qui multipliait les amants de passage. Cette vulnérabilité de Luci permet de briser la glace avec Amy qui va se prendre d'affection pour elle et tenter de compenser ce vide maternel. 

Cependant Luci est à ce moment crucial où une adolescente prend conscience à travers sa puberté du désir qu'elle éveille chez les hommes. Cela prend un tour pas forcément innocent mais encore timide avec Nick ayant peu d'expérience, mais très oppressant par le regard insistant, voire carrément les attouchements explicites d'adultes sans scrupules. Cependant Luci délaissée par sa mère dont elle n'a vu la tendresse s'exprimer qu'aux bras des hommes, ne ressent pas ses comportements comme les vraies agressions sexuelles qu'elles sont. Le malaise est palpable lorsqu'elle se délecte plus qu'elle ne s'offusque d'un voisin de cinéma lui caressant longuement la cuisse, ou quand elle se promène sans complexe en sous-vêtement dans un magasin durant une séance de shopping.

Dès lors tout le film fonctionne sur cette ambiguïté. Luci est une adolescente fragile et vulnérable ayant encore un pied dans l'enfance par ses terreurs nocturnes ou comportement infantile (ce pouce qu'elle suce dans son sommeil). Mais le seul moyen pour elle d'attirer l'attention des adultes est de jouer la carte d'une séduction précoce et malvenue. Le récit devient ainsi en sous-texte un brûlot des milieu aristocrates où se dissimule des désirs coupables. Robert le supposé père de substitution (dont on s'interroge un temps s'il n'est pas le géniteur biologique) entrevoit, à la fois troublé et effrayé, en Luci l'image de sa mère défunte - par ses troubles mentaux comme dans sa beauté séductrice. 

Il choisit la froideur distante pour fuir cette attirance interdite, mais certaines situations, regards et gestes équivoques trahissent plusieurs fois sa fébrilité. Amy est tout aussi perturbée par la jeune fille qui d'instincts maternels, fait progressivement naître un désir lesbien en elle. La jeune Linda Hayden est assez extraordinaire par son jeu ambigu faisant d'elle une proie qui stimule volontairement plutôt qu'elle ne fuit ses prédateurs. Qu'elle joue la carte de la régression enfantine ou de la précocité sexuelle, le sentiment de manipulation est constant. On comprend les errements qui l'on amenés à cette attitude provocante tout en étant perturbé par cette quête de chaos et d'autodestruction.

Alastair Reid instaure une atmosphère sensuelle, oppressante et suffocante où la menace réside autant dans le foyer qu'à l'extérieur - l'arrière-plan libertaire du Swinging London servant à plein dans certaines séquences. Une robe trop courte, un pantalon trop moulant, une étreinte trop tendre, tout est sujet à caution et susceptible de raviver une attirance coupable dans des moments de vie quotidien. Le réalisateur pousse les curseurs aussi loin que lui permet la censure anglaise pour traduire cette tonalité charnelle sulfureuse. Linda Hayden (qui a bien les quinze ans du rôle) passe de l'allure mutine à la sensualité la plus dérangeante en un regard, un cadrage, une nuance dans la composition de plan et la photo. 

Alastair Reid adopte presque par instant le regard subjectif de l'adulte incertain dans ses sentiments pour stimuler ce mélange de culpabilité et de désir. Si le film paraîtra sage au spectateur contemporain, tout est donc affaire de mise en scène inspirée pour s'immiscer habilement dans une zone grise entre suggestif elliptique et vrais instants explicites (dont une Linda Hayden plusieurs fois nue, mais qui désormais adulte assure avoir été très protégée lors du tournage malgré le sujet provocant) qui fera plus d'effet qu'une approche plus frontale, dont une fin surprenante. Une belle réussite pour Alastair Reid dont c'est la première réalisation (qui signera un encore plus malaisant The Night Digger l'année suivante, démontrant un vrai talent pour ce type d'approche) qui rencontrera un grand succès, se classant 11e du box-office anglais de 1969. 

Sorti en bluray anglais chez Network et doté de sous-titres anglais

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