Mad Max, au-delà de la radicalité est un ouvrage collectif passionnant qui explore les différentes pistes thématiques qui parcourent la saga Mad Max de George Miller. Dans l’ensemble les éléments autour de la confection des films de saga (hormis le plus récent Mad Max Fury Road (2015)) sont assez connus pour quiconque s’y est intéressé en détails mais c’est la manière dont ils s’insèrent au sein de chacune des analyses qui rendent l’ensemble prenant.
Dans son segment sur Mad Max (1979) Manouk Borzakian poursuit l’entreprise déjà entamée dans son précédent ouvrage Géographie zombie, Les ruines du capitalisme. Il s’agit pour lui de replacer le film dans son contexte socio-économique et topographique dans des notions spécifiques à l’Australie. Les grands espaces australiens et les fantômes du passé fondateur violent du pays qui y règnent irriguent l’arrière-plan du récit. C’est un cadre qui suscite d’abord l’intérêt de réalisateurs étrangers tels Nicolas Roeg sur Walkabout (1970) ou Ted Kotcheff dans Wake in Fright (1971), qui capturent le rapprochement impossible des civilisations (Walkabout) hantées par leur passé, et les comportements extrêmes que suscite ce sentiment d’isolation, d’oppression du bush. George Miller creuse ce sillon en s’appuyant sur son expérience de médecin et d’ambulancier ayant vu sont lot de conséquences sanglantes liées à des accidents routiers. La voiture revêt une dimension viriliste ce rattachant à ce passif local brutal que Miller inscrit dans un futur proche au bord du chaos, implicitement évoqué – dans une logique économique d’abord puis de façon plus consciente dans les suites – par la désolation que renvoie le bush australien. Manouk Borzakian lie donc cet environnement au traitement de Miller où agent de l’ordre et du désordre se rejoignent par un même goût de l’adrénaline et de la violence routière. Max Rockatansky se trouvent entre ces deux feux poreux que l’auteur étend progressivement à des questionnements s’étendant au-delà des seules problématiques locales. L’effondrement des civilisations se rattaches à des crises de l’époque comme le choc pétrolier et les premières préoccupations écologiques. Les réponses indistinctes entre l’anarchie et un ordre autoritaire correspondent à un contrôle et une récupération qui s’instaure avec l’arrivée au pouvoir de tenants d’un néolibéralisme glacial comme Ronald Reagan et Margaret Thatcher.
Alexandre Mathis pour Mad Max 2 (1982) évoque un monde qui a basculé dans le postapocalyptique encore sous-jacent du premier film. A l’aridité désespérée de Mad Max répond cette fois une dimension mythologique dans la caractérisation de Max qui gagne en humanité au fil du récit. Il explique comment ce second volet endosse les codes du western avec cette notion de communauté, d’espace à défendre et de promesse de jours meilleurs dans ce cadre ne nous renvoyant plus seulement à notre vide. Cela s’oppose à la pure notion de domination et de force littéralement illustrée par l’esthétique cuir/SM qui fera date dans l’imagerie postapocalyptique. L’adrénaline de la vitesse n’est plus seulement exutoire, jouissive et vengeresse mais prend sens dans une notion de collectivité qui se prolongera dans les films suivants.
C’est un sillon que creuse Elise Delépine dans son segment sur le mal-aimé Mad Max au-delà du dôme du tonnerre (1985). L’idée d’un lieu commun, d’une collectivité et d’un certain progressisme (Tina Turner premier personnage féminin à ne pas subir les évènements et ne pas représenter un repos du guerrier dans la saga) prolonge la fin de Mad Max 2 mais la tyrannie et la distribution pyramidale et barbare du pouvoir rappelle la brutalité et l’injustice inhérents à l’humanité. George Miller (par ailleurs frappé par un drame durant le tournage) fait de nouveau reposer l’espoir sur un ailleurs idéalisé possible, imaginé avec la candeur du conte moderne par un groupe d’enfant. Max n’est plus le taciturne déshumanisé des précédents et Elise Delépine offre une belle défense au film dont le virage lumineux s’inscrit dans une parfaite logique thématique pour Miller.
Le quatrième volet tardif Mad Max : Fury Road est pour Erwan Desbois une continuité thématique et narrative de la trilogie originelle. Max à travers l’âge de son nouvel interprète Tom Hardy est dans la continuité de l’incarnation de Mel Gibson, le système social renvoie en pire de celui de Mad Max au-delà du dôme du tonnerre tandis que la furie exacerbée des course-poursuite, la fétichisation plus seulement virile mais exaltée des véhicules et la collision est dans le sillage démesuré de Mad Max et Mad Max 2. L’idéal ne repose plus en un lieu rêvé, fantasmé et mythologique mais en l’individu ou plutôt l’individue, les femmes trouvant enfin leur place dans l’univers brutal de Mad Max. La position d’objet sexuel, de génitrice périssable est brisée pour façonner une figure féminine libératrice en laquelle réside désormais la rage passée de Max. En misant sur les individus dans leur ensemble le salut illusoire du second et troisième film s’avère déjà sous nos yeux avec une fuite en avant ne nous menant plus vers l’inconnu mais consistant en une boucle où il faut bousculer l’ordre établi. On voit vraiment un mélange de cohérence et d’évolution avec son temps de George Miller tant sur le fond que la forme où il exploite les moyens de blockbusters qui lui sont désormais alloués, les possibilités technologiques modernes et ses expériences hors de l’univers de Mad Max (l’animation des Happy Feet et le tournage animalier des Babe, la puissance évocatrice de Lorenzo).
La conclusion de Nico Prat après cette suite d’analyses nous titille quant à elle sur les promesses d’un imaginaire qui n’a pas tout dit avec l’attente du préquel Furiosa sur la jeunesse du personnage de Charlize Theron.
Un ouvrage qui ouvre donc de manière intelligente, érudite et concise nombres de pistes réflexives autour de l’univers de Mad Max.
Publié aux éditions Playlist Society
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire