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vendredi 18 mars 2022

Horizons perdus - Lost Horizon, Frank Capra (1937)


 1935 en Chine. Sous la menace d'une révolution, le diplomate anglais Robert Conway organise l'évacuation de ses concitoyens. Alors qu'il devrait voler vers Shanghai, l'avion, détourné, s'écrase dans les montagnes tibétaines. Conway et quatre autres survivants sont recueillis dans la vallée de Shangri-La. Ils découvrent une véritable utopie où règnent harmonie et bonheur mais seront lents à le reconnaître et de diverses façons…

Au fil des succès et de la liberté acquise au sein du studio Columbia, la filmographie de Frank Capra se montre de plus en plus engagée et consciente des maux de la société américaine d’alors. La Ruée (1932) est un des premiers films à aborder frontalement le contexte de la Grande Dépression et Capra y dresse un idéal humaniste se confrontant à une réalité difficile. Cela se confirmera dans le rapprochement de classe amoureux de New York-Miami (1934), et surtout cette opposition face à cette imperfection du monde qui les entoure s’incarne chez Capra par de magnifiques figures candides dans Monsieur Smith au Sénat (1939), L'Extravagant Mr. Deeds (1936) ou encore L’Homme de la rue (1941). Au milieu de toutes ces œuvres inscrites dans une réalité sociale concrète va venir s’immiscer le plus étrange Horizon Perdu. A l’origine il y a le roman éponyme de James Hilton publié en 1933 et que Frank Capra lira durant la production de New York-Miami. Il envisage immédiatement d’en faire son film suivant et d’en confier le premier rôle à Ronald Colman. Ce dernier n’étant pas disponible, il réalise donc entretemps L’Extravagant Mr. Deeds dont le succès (ajouté au triomphe de New-York Miami) va renforcer son pouvoir au sein de la Columbia puisque Harry Cohn va débloquer un budget record pour la jeune Major. 

Le film s’ouvre sur un cadre belliqueux apocalyptique où le diplomate anglais Robert Conway (Ronald Colman) doit évacuer ses compatriotes anglais d’une zone de guerre chinoise. Il y parvient et réussit à prendre le dernier vol lui permettant d’échapper à un massacre qui condamne les locaux. Conscient de cette injustice, il s’en désole durant le vol réunissant son frère George (John Howard) et d’autres compagnons d’infortune comme le paléontologue Lovett (Edward Everett Horton), l’escroc Henry (Thomas Mitchell) et la condamnée par la maladie Gloria (Isabel Jewell). Le voyage va les mener à la destination inattendue et mystique de Shangri-La, au cœur des montagnes tibétaines.

D’habitude la pureté, l’humanisme et l’utopie chez Frank Capra est personnifiée par un héros rempart et symbole face à une société viciée : Gary Cooper dans L’Extravagant Mr. Deeds et L’Homme de la rue, James Stewart dans Monsieur Smith au Sénat. La pureté des personnages s’oppose à une réalité existant dans la malveillance ordinaire des individus, le cadre social et urbain en façonnant une atmosphère et une imagerie oppressante. C’est précisément la démarche exactement inverse que recherche Capra dans Horizon Perdu. L’onirisme et la variété des environnements naturels, le gigantisme et la mystique dégagé par les décors, le rococo du melting-pot d’influences des intérieurs, tout cela concoure à façonner une utopie à l’imagerie étrange et dépaysante. 

Les soubresauts agitant l’Occident (montée des fascisme divers, aspect renforcé dans le nouveau montage de la ressortie du film en 1942) et anticipant le chaos à venir se ressent implicitement dans le discours du film. Le grand Lama (Sam Jaffe) est l’être ayant façonné ces lieux en refuge et réponse possible par son idéologie sage et pacifiste après les heures sombres qui s’annoncent. Les rêveurs comme Conway vont s’y épanouir et aspirer à y construire l’avenir, les plus préoccupés par la superficialité du monde réel (célébrité, richesse…) vont y trouver l’apaisement tandis que George vit cette perfection et harmonie comme une souffrance. Fixer l’éclat du soleil de ce monde idéal est insoutenable pour certain. Après une haletante entrée en matière de pur film d’aventures, le récit surprend et captive par sa naïveté et son mysticisme assumé.

Cela tient à la prestation habitée de Ronald Colman qui rend tous ces concepts tangibles, mais aussi par la recherche formelle d’un Capra dont le perfectionnisme provoquera de gros dépassements de budget. Le vrai défaut est que hormis Conway, le cheminement spirituel et intime des autres protagonistes est bien trop simpliste. Si leur présentation et caractérisation obéit bien sûr à des archétypes, on s’attendait à voir ensuite leur psychologie, leur maux intimes plus fouillés. Malheureusement on ne dépasse pas, notamment pour les acteurs très typés que sont Edward Everett Horton et Thomas Mitchell, le registre de leur emploi habituel auquel on pouvait voir s’ajouter une plus grande profondeur. 

L’atmosphère est cependant bien là, les moments d’introspection et de réflexion fonctionnent, et le message est louable, anticipant toute une idéologie hippie pacifiste et Flower power dans les années à venir. L’influence thématique, esthétique et cinématographique est grande d’ailleurs puisqu’on la ressent à Hollywood dans une œuvre comme Le Fil du rasoir d’Edmund Goulding (1946) ou chez les Anglais dans They came to a City de Basil Dearden (1944).

Sorti en dvd zone 2 français chez Sony

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