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samedi 19 mars 2022

Love After Love - Dì yī lú xiāng, Ann Hui (2020)

Weilong, une écolière de Shanghai, part à Hong Kong pour ses études et trouver du réconfort auprès de sa tante Mme Liang. Mais cet hôte a d’autres plans pour elle : l’adolescente est un atout précieux face aux hommes riches.

Love after love est la troisième adaptation que Ann Hui consacre à la romancière chinoise Eileen Chang. Les deux précédentes adaptations, Love in a fallen city (1984) et Eighteen Springs (1997) comptaient parmi les plus belles réussites de la réalisatrice tout en s’inscrivant dans un moment essentiel de l’histoire de Hong Kong à leur sortie. Love after love n’occupera malheureusement pas la même place et s’avère une transposition joliment illustrative, rien de plus. 

Love After Love (publié en français sous le titre Deux brûle-parfums aux éditions Zuma) est un récit d’amour fou et de corruption morale où l’on retrouve les thématiques d’Eileen Chang autour de la condition féminine dans la société chinoise des années 30/40. Ses livres observent souvent l’oppression d’un système social et patriarcal chinois où les héroïnes oscillent entre soumission et une émancipation marquée par l’influence de la culture occidentale – ce qui fut le cas d’Eileen Chang. Dans Love after love et d’autres romans, la possibilité de cette émancipation s’incarne souvent à Hong Kong sous influence occidentale du colon anglais. C’est l’échappatoire de l’héroïne Weilong (Ma Sichun), jeune adolescente qui va se placer sous la protection de sa tante Mme Liang (Faye Yu) afin de ne pas retourner en Chine avec ses parents. Mme Liang vit dans un quotidien de plaisir et d’opulence à l’occidentale, mais ceci est une façade. Ancienne concubine d’un nanti lui ayant laissé sa fortune, se partage entre les bras de jeunes amants pour son plaisir et ceux de riches mécènes plus âgés afin de maintenir ce train de vie. Dans les deux cas, Weilong comme elle le découvrira constitue un appât de choix pour les intérêts de sa tante.

Ann Hui suit très fidèlement la trame du roman, mais sans choisir une voie et tonalité autre que lourdement explicative. Eileen Chang nous faisait découvrir les codes de cette société dont le vernis moderne dissimulait une veine patriarcale, mais dont les femmes assumant leurs perdition/corruption devenaient complices plutôt que victimes. L’aspect dominant/dominé prenait le pas sur la notion de genre, Mme Liang s’offrant à son tour un jeune protégé démuni à entretenir. Tout le livre reposait sur une subtilité entre l’explicite et l’implicite de ces rapports viciés des individus. Le souci est que Ann Hui n’opère aucun choix narratif, thématique ou même esthétique pour traduire les nuances du livre. Le stupre ambiant n’est ni explicite dans les scènes de sexe timorées (ce qui aurait pu être un apport par rapport au livre), ni implicite dans l’atmosphère et le discours puisque les dialogues, situations et fausses bonnes idées formelles (la dichotomie couleur/noir et blanc mettant en parallèle le passé de la tante et le présent de Weilong) ne font que surligner lourdement des éléments aisément compréhensibles. 

Le film aurait pu se rattraper en endossant, faute de cruauté, le romanesque désespéré du roman. N’ayant pas l’ambition et le sens froid du calcul de sa tante, Weilong va se perdre par amour pour le viveur métis George Qiao (Eddie Peng). Séducteur incapable de s’attacher et conscient de sa nature corrompue, il n’acceptera une union « officielle » avec Weilong qu’à la condition d’être entretenu. La fadeur du casting peine à rendre poignant ce dilemme et alors qu’à travers quelques ellipses subtiles l’avilissement de Weilong marquait chez Eileen Chang, tout est ici est dit et montré sans laisser la moindre place à l’ambiguïté, au non-dit. Ann Hui dresse quelques pistes évoquant sa filmographie passée (les relations filiales difficiles ou encore le déracinement comme dans Song of the exile (1990) notamment) mais sans la flamme, l’émotion.

Love after love n’est donc dans l’ensemble qu’une coquille vide trop illustrative, mais où là aussi l’absence de direction forte domine. Les moyens sont là à travers une reconstitution fastueuse, les costumes d’Emi Wada (pour ce qui est sans doute son dernier film), la bande-originale de Ryuichi Sakamoto, la photo de Christopher Doyle. Mais tout cela ne semble viser qu’à façonner un bel écrin (la photo de Doyle plus pétaradante que stylisée) plutôt qu’une esthétique en adéquation avec le propos. Un livre d’image impersonnel et longuet pour ce qui sera une des rares déception venue d’Ann Hui. 


 Disponible en vostf sur la plateforme Mubi

 

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