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mercredi 1 juin 2022

Le Géant de la steppe - Ilya Muromets, Alexandre Ptouchko (1956)


 Avant de s’endormir pour toujours, le géant Svyatogor remet son épée à des pèlerins, leur ordonnant de la donner au preux qui sera digne de défendre sa terre. Alors que les Tougars pillent la région, les pèlerins remettent l’épée à Ilya, un paysan vivant à Mourom qui a les jambes paralysées. Grâce à une potion magique, Ilya retrouve ses forces et s’en va se battre contre l’envahisseur qui a enlevé son épouse Vassilissa. Il devra affronter mille dangers pour devenir le preux qui mérite gloire et immortalité.

Le Géant de la steppe est un des sommets d'Alexandre Ptouchko, maître du merveilleux russe qui y rassemble là toutes les caractéristiques de son œuvre. On y retrouve l'inspiration issue du folklore culturel et historique russe, la tonalité de conte et l'alliance parfaite de prise de vue réelles avec différentes techniques issues de son expérience première dans le cinéma d'animation et les effets spéciaux. Tout comme son classique Le Tour du monde de Sadko (1953) ou plus tard Le Conte du tsar Saltan (1967), Le Géant de la steppe a pour inspiration la byline, chant traditionnel et oral russe narrant les hauts faits de héros mythologiques ou issus de contes et légendes russes. Dans Le Géant des steppes, Ptouchko s'attaque à une de ses figures les plus emblématiques, Ilya Mouromets. Il s'agit apparemment du patronyme d'un héros russe bien réel mais dont l'aura a été amplifiée au fil des siècles, conférant à ses exploits veine mythique et nationaliste notamment après sa béatification au 17e siècle et la création d'une fête nationale lui étant consacrée les 19 décembre. Ilya Mouromets doit cette renommée à ses victoires sur les envahisseurs tougars (mélange des troupes Mongoles et d'autres peuplades asiatiques) qu'il repoussa, des origines surnaturelles de sa force et de sa connexion au peuple modeste, à l'inverse des nobles qui le trahiront.

Alexandre Ptouchko entremêle profonde rigueur historique dans les décors et costumes (le film bénéficia d'une préparation de deux ans pour effectuer les recherches nécessaires à cette exactitude historique) et d'une grande fantaisie dans les péripéties tout en suivant fidèlement le déroulement de l'épopée d'lya Mouromets. Ces deux aspects s’alternent dès l'ouverture entre le flambeau héroïque transmis par le géant Svyatogor avec son épée, et l'attaque furieuse du village (qui semble avoir grandement inspiré l'ouverture du Conan le barbare de John Milius (1952)) d'Ilya (Boris Andreïev) par les tougars. Notre héros malade et paralysé de naissance assiste impuissant au carnage, avant de se voir confier l'épée par des pèlerins, ce qui va libérer sa force et le lancer sur sa destinée héroïque. La narration obéit à logique de conte mais aussi de la construction chantée des bylines, en étant constituées de grands blocs et tableaux figurant les étapes emblématiques du récit épique. 

Dès lors les personnages sont volontairement dénués de nuances et complexité pour constituer chacun des archétypes : Illya héros valeureux et pur, le chef des tougars (Choukour Bourkhanov) sanguinaire et cupide, les frères d'armes Dobrynia (Gueorgui Demine) et Aliocha (Sergueï Stoliarov) fidèles en amitiés, Vassilia (Ninelle Mychkova) l'épouse douce et aimante, le prince Vladimir (Andreï Abrikossov) au soutien versatile. Le jeu expressif des acteurs, le travail sur les costumes et la direction artistiques de qui les entourent participent à cette caractérisation se voulant plus évocatrice/symbolique que profonde. Alexandre Ptouchko s'inspire grandement de toutes l'iconographie russe existante sur lya Mouromets avec parfois certains tableaux repris à la quasi identique comme lors d'une des dernières scènes où Ilya, Dobrynia et Aliocha font face au champ de bataille avant l'ultime confrontation inspiré d'une peinture de Viktor Vasnetsov. 

 Le Géant de la steppe se distingue des autres films de Ptouchko par sa démesure épique et son merveilleux au service d'un propos profondément nationaliste. Il s'agit de protéger la Russie mère-patrie contre les hordes barbares dans une approche totalement manichéenne, au point que lors d'une des premières projections officielles Khrouchtchev s'offusqua du traitement des tougars/mongoles désormais alliés. La versatilité et la corruption du pouvoir passe ainsi par la sophistication des architectures, le faste surchargé des intérieurs, quand les royaumes tougars baigne dans des environnements ténébreux et baroques, pétris d'ornements primitifs et inquiétants. La steppe et les grands espaces naturels représentent les lieux de liberté et de bonheur où Ilya peut savourer des amours paisibles et protéger la frontière en toute quiétude. Le Géant de la steppe est le premier film soviétique filmé en format large, le sovscope (équivalent du cinémascope occidental) même s'il fut en parallèle tourné aussi en format carré.

Ptouchko en exploite à merveille les possibilités pour nous offrir d'envoutantes séquences contemplatives, renforcer l'aura surhumaine des protagonistes et surtout pour accentuer la grandiloquence de ses morceaux de bravoures. Tout son génie du trucage y passe pour nous offrir des séquences mémorables. Le maquillage, la maquette et les décors factices émerveillent lors de la confrontation avec Rossignol, une créature au souffle dévastateur dont le souffle va ployer les arbres, faire voltiger une nuée de figurants et détruire tout ce qu'il entoure.L'avancée des troupes tougars vers Kiev est aussi un grand moment où par un système de miroir et de collage,

Ptouchko démultiplie leur nombre (déjà conséquent) pour faire envahir le cadre par une véritable armada. Le merveilleux peut néanmoins ressurgir sous la démonstration de force lors d'une scène où il revisite à sa manière et en live une séquence du Blanche-Neige de Walt Disney (ce dernier lui ayant écrit pour lui témoigner son admiration et l'inviter à Hollywood après avoir vu Le Nouveau Gulliver (1935)) quand Vassilia va enchanter les animaux le temps d'une chanson. Toute la poésie de Ptouchko et sa science de multiples techniques d'animations (marionnettes, stop-motion) est là, dans une pure candeur apaisée.

La conclusion est un sommet de maîtrise avec cette licence poétique du conte dans la ruse qu'emploiera Ilya pour duper le chef tougar, la naïveté avec laquelle se résout un possible parricide et surtout la bascule dans la dark fantasy par le surgissement d'un impressionnant dragon à trois tête (dans toute leur vilénie les tougars maîtrisent bien évidemment la magie noire). Le découpage est virtuose, le dragon bénéficie d'un design intimidant en diable et d'une aspect alternant la construction grandeur nature (et très mobile) avec la stop-motion animée avec fluidité. Ptouchko en contemporain de Ray Harryhausen n'avait rien à lui envier sur ce type de séquence. Le Géant de la steppes est un incroyable livre d'images, plus belliqueux que les autres contes filmés de Ptouchko mais dont la portée sera grande, que ce soit par son immense succès en URSS ou par une vraie distribution internationale dont les Etats-Unis où il sera retitré, remonté et distribué par la société de production balbutiante de James B. Harris et Stanley Kubrick.


 Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Artus Film

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