Sé infiel y no mires con quién - Fernando Trueba (1985)
Chasses-croises et quiproquos pour un couple
adultère dont les membres demandent en même temps a un ami commun de
leur prêter sa maison...
Quatrième film de Fernando Trueba, Sé infiel y no mires con quién
est un très plaisant exercice de style du réalisateur dans le
vaudeville et la screwball comedy. La mécanique assez imparable du récit
ne doit rien au hasard puisqu'il s'agit d'une adaptation de la pièce Move Over Mrs Markham (plus connue en France sous le titre Tout le plaisir est pour nous
quand elle fut adaptée sur scène en 1972 puis en 2009) du dramaturge et
maître de la comédie britannique Ray Cooney. La narration et le
dispositif du film paie donc largement son tribut à cette origine
théâtrale mais dans l'ensemble Fernando Trueba réussit avec brio à s'en
affranchir ou d'en user avec inventivité.
Le postulat est simple mais d'une redoutable efficacité. Paco (Santiago
Ramos) et Fernando (Antonio Resines) sont ami et associés au sein d'une
maison d'édition qui s'apprête à franchir un cap crucial avec la
signature d'une célèbre autrice pour enfant, Adela Mora (Chus
Lampreave). Paco est un séducteur impénitent bien que marié à Carmen
(Carmen Maura) et s'apprête justement à se désister de ce rendez-vous
professionnel pour rencontrer une sulfureuse amante dont il ne connaît
pas le visage. Fernando s'avère lui bien trop cérébral, terre à terre et
timoré, au grand désespoir de sa femme Rosa (Ana Belén). Il se trouve
que Carmen et Rosa sont amies et que, à l'instar de son époux, Carmen
s'apprête ce même soir à retrouver son jeune et bel amant militaire.
Problème, chacun des époux adultère a décidé de retrouver son
amant/maîtresse dans la demeure inoccupée de Rosa et Fernando puisque
ces derniers seront en entretien avec la fameuse autrice.
Toute la
première partie du film sert à mettre en parallèle puis entrecroiser le
ressenti et les frustrations des couples respectifs. Les confidences et
la vantardise des conversations entre hommes/femmes font ainsi l'objet
d'un montage alterné qui sert à caractériser chacun et faire monter
l'attente quand on devine progressivement que les deux situations
adultères vont forcément s'entrechoquer. Fernando Trueba excelle à
façonner un écho de dialogues, situations par une belle science du
montage, du raccord en mouvement qui rend ce va et vient limpide et
inventif. Il faut cependant être très attentif au cumul d'informations
véhiculés par les longues discussions car absolument toutes serviront
l'ampleur du quiproquo dans la seconde partie (Paco ne connaissant pas
physiquement son amante d'un soir, Carmen se faisant passer par jeu pour
une prostituée auprès de son amant, la supposée bigoterie de l'autrice
visée...).
L'amoralité du couple Paco/Carmen déteint progressivement chez
Fernando/Rosa et façonne des dynamiques comiques irrésistibles. Carmen
en racontant ses aventures à Rosa titille la libido en berne de
celle-ci, qui va se montrer plus entreprenante avec Fernando. Ce dernier
ayant malencontreusement trouvé une lettre torride adressée à Carmen
soupçonne sa femme de le tromper, et toute l'attitude émoustillée de
Rosa correspond aux indices que lui donne Paco quant au comportement
d'une femme infidèle. Il y a une sorte de ping-pong dramaturgique qui
s'articule de manière redoutablement efficace où Trueba se sert même
d'éléments éculés sans doute vieillot du vaudeville pour les retourner à
son avantage. On pense au soupçon d'homosexualité du chef décorateur et
ami de Rosa, Oscar (Guillermo Montesinos) qui lui-même va soupçonner
Paco et Fernando tout à leurs conciliabules de l'être également. Trueba
use brillamment de son double décor où le bureau de la maison d'édition
donne directement via un passage secret à l'appartement. Les quiproquos
ne se déploient pas par le seul dialogue mais aussi par le décor et la
mise en scène, un simple cadrage, une profondeur de champ sur des pièces
dédoublées et un jeu sur le point de vue pouvant donner en un seul plan
presque deux ou trois quiproquos différents. L'esthétique art déco
ligne claire très typée années 80 possède un charme fou, Trueba
alternant surcharge de mauvais goût (la garçonnière pleine de
chausse-trape de Paco) et épure rétro, traduisant aussi par
l'environnement les tempéraments différents de chacun.
La montée en puissance est irrésistible mais étrangement, au moment de
l'apothéose qui devrait nous amener au feu d'artifice attendu, Trueba la
joue petit bras. Des ellipses frustrantes et pour le coup des effets de
théâtre malvenus (le sommet d'une situation de quiproquo seulement
entendue et filmée derrière une porte, pourquoi ?), ainsi qu'un retour
forcé aux bons sentiments amène une morale absente jusque-là. Le couple
Fernando/Rosa est certes attachant mais on pouvait espérer plus
d'inventivité pour amener leur réconciliation. On se met alors à
imaginer ce que le Pedro Almodovar de Kika (1993) aurait fait de pareille amorce, la belle anarchie qu'il aurait laissée s'exprimer. En parlant de Kika
on retrouve d'ailleurs ici la regrettée Verónica Forqué, géniale en
secrétaire sexy et folle d'amour. Tour à tour génial et frustrant, Sé infiel y no mires con quién est néanmoins un opus plaisant et annonciateur des réussites de Manolo (1986) Belle Epoque (1992) ou La Fille de tes rêves
(1998) où il se lâchera bien plus (il est peut-être corseté ici par le
matériau original) dans une latinité comique et un érotisme plus
prononcé.
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