À Tokyo, Ice ramène son frère aîné amnésique
Haruo de l'hôpital pour s'occuper de lui. Il hésite à y aller jusqu'à ce
qu'Ice lui dise qu'elle est son amante. Il la suit. Combien de temps
avant que sa mémoire ne revienne ?
March Comes in Like a Lion est le second film tardif du réalisateur Hitoshi Yazaki après un inaugural Afternoon breezes (1981) où il explorait déjà le thème des amours refoulés et coupables.
Il évoque ici le tabou de l'amour fraternel incestueux dans un film très
étrange. Le récit s'ouvre sur une vision de photo polaroïd de Haruo
(Bang-ho Cho) et sa sœur Natsuko (Yoshiko Yura) enfants, accompagné d'un
texte succinct nous disant que depuis cette époque Natsuko est voue un
amour guère fraternel pour Haruo. Une ellipse nous amène à l'âge adulte
où Haruo est victime d'amnésie pour des raisons que nous ignorons.
C'est
l'opportunité pour Natsuko d'assouvir cette attirance taboue en faisant
sortir son frère de l'hôpital et lui faire croire qu'elle est sa petite
amie. Dès lors s'engage une narration flottante, dépourvue de vraies
péripéties autre que la relation trouble des personnages. Natsuko est
une jeune femme vivant dans les marges en se prostituant, paradoxalement
la romance interdite est le seul éclair dans un quotidien solitaire que
le réalisateur suit dans des déambulations tokyoïtes chargées de
spleen. Haruo est quant à lui un homme-enfant se laissant porter par les
évènements, en pleine redécouverte du monde qui l'entoure.
La première partie donne dans le quotidien romantique languissant,
accompagnant sur une bande-son assez entêtante les pérégrinations du
couple. Cette candeur est contrebalancée par les environnements assez
sordides donnant à voir justement un Japon loin de l'urbanité fière des
grandes villes, entre l'appartement insalubre du couple, les chantiers
sur lesquels travaille Haruo. Cette précarité entrecroisée au lien
fragile des personnage dessine déjà l'es ombres qui planent sur leur
relation. A mi-film, une rupture de ton intervient alors qu'après une
turpitude joyeuse, Haruo a cette phrase terrible : "Je me souviens". La
mémoire ne lui revient pas à ce moment-là mais néanmoins des bribes de
ses émotions passées semblent lui revenir. Dès lors la tension et la
culpabilité s'installent avec cette crainte pour Natsuko que Haruo se
souvienne et li reproche son mensonge. Hitoshi Yazaki multiplie les
idées formelles, notamment rattachées aux miroirs pour traduire la crise
identitaire d'Haruo et laissent flotter une ambiguïté qui restera
irrésolue jusqu'au bout. Et si Haruo à un certain stade de l'histoire
avait effectivement retrouvé la mémoire mais sans l'avouer à Natsuko
afin de préserver leur relation ?
Le doute existe grâce à la subtilité du
jeu des acteurs où la culpabilité possible se mélange à une réelle
passion dont ils ne peuvent se départir. Hitesho Yazaki fait passer tous
ces questionnements avec une sécheresse narrative prononcée, des
dialogues rares, la mise en scène et les différentes atmosphères
installées se chargeant d'orienter nos émotions contradictoires. Dans
cette idée, le tabou de la scène de sexe est absent dans la première
partie très naïve et chaste, et l'interdit charnel n'intervient qu'une
fois ce doute mémoriel installé pour rajouter au malaise dans le
filmage. La dernière scène est assez magistrale de ce point de vue,
franchissant un ultime interdit qui amènent les personnages à verser des
larmes que l'on ne saurait qualifier de joie, ou d'un autre sentiment
plus insaisissable. Un très joli film qui manie avec une rare nuance son
postulat provocateur.
Sur l’île de Crète, chaque recoin est un
terrain de jeu pour Icare, le fils du grand inventeur Dédale. Lors d'une
exploration près du palais de Cnossos, le petit garçon fait une étrange
découverte : un enfant à tête de taureau y est enfermé sur l’ordre du
roi Minos. En secret de son père, Icare va pourtant se lier d’amitié
avec le jeune minotaure nommé Astérion. Mais le destin bascule quand ce
dernier est emmené dans un labyrinthe. Icare pourra-t-il sauver son ami
et changer le cours d’une histoire écrite par les dieux ?
Carlo Vogele signe une jolie relecture du mythe d'Icare dont il exploite
les zones d'ombres (sorti de la péripéties connue et tragique des ailes
se brûlant au soleil) pour l'enrichir d'une matière romanesque
différente. C'est précisément les figures d'Icare et du minotaure
Astérion dont l'amitié enfantine subit tous les conflits intimes et
géopolitiques qui forment l'arrière-plan du mythe, que ce soit le
conflit entre le roi crétois Minos et les Grecs, ainsi que la maternité
contrariée de la reine Pasiphaé ou la relation père/fils tumultueuse
entre Icare et Dédales - ces derniers points revisités pour le film.
Tout le récit tend à dérouler le mythe originel comme quelque chose
d'inéluctable et de subit par les personnages qui aspirent à autre
chose.
C'est particulièrement touchant concernant le minotaure délesté
de ses atours monstrueux et inquiétant pour n'être qu'une créature
apeurée et jouet d'enjeux qui la dépasse. Tous les changements visent à
donner une profondeur à l'archétype, ce qui correspond également à
l'esthétique du film. L'animation se partage en 2D et 3D, la 2D offrant
des à-plats puisant leur inspiration dans diverses sources picturales
grecques antiques dans les compositions de plan et l'usage des décors,
la 3D apportant une modernité avec un design plus bd franco-belge pour
les personnages. L'alternance entre un score de musique baroque posant
une gravité plus haute et des éléments plus immersif de sons orientaux.
Dès lors tout en emboitant les évènements du mythe avec les libertés de
son film, Carlo Vogele leur donne une tonalité différente. La
confrontation entre Thésée et Astérion, le sort final d'Ariane ou le
fameux vol fatal d'Icare trouvent une portée dramatique qui dévient le
sentiment attendu et donnent aux personnage une forme de libre-arbitre
par rapports au destin assigné par les Dieux. Le film trouve un vrai
équilibre par une accessibilité de ce mythe pour les jeunes et/ou
néophyte tout en s'autorisant une gravité, un premier degré assumé (le
réalisateur passé par Aardman et Pixar souhait vraiment s'éloigner du
ton distancié en vogue dans l'animation grand public actuelle) de
surprenants élans de sensualité plus adulte.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez M6 Vidéo
Vivant sous l'emprise d'une mère oppressante, le jeune
Wilhelm décide de partir à Bonn avec l'envie de devenir écrivain. Dans le
train, il rencontre un ancien athlète olympique et sa compagne. Une actrice et
un jeune homme les rejoignent. Dès lors, rien ne se passera comme prévu pour
Wilhelm... 6 jours dans la vie d'un jeune homme, 6 jours pour décider de son
avenir et se confronter à l'apprentissage de la réalité.
Faux mouvement est une œuvre qui creuse un des
sillons thématiques fétiche de Wim Wenders celui de l’errance, géographique
comme existentielle. Le réalisateur se plaît à détourner la simple attente de
road-movie inhérente à ce sujet, surprenant à chaque fois le spectateur. Son
précédent film Alice dans les villes (1974) travaille ainsi davantage ce
principe d’errance sans but plutôt qu’une veine picaresque proche du
contemporain La Barbe à papa de Peter Bogdanovich (1973) au sujet
proche. Plus tard ce sera toute l’imagerie mythologique du western qui sera
anesthésiée dans le magnifiqueParis, Texas (1985). Le détournement est
d’ici d’ordre littéraire pour Wim Wenders. Le film adapte très librement le
roman Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe, publié en
1802. Le livre était, comme son titre l’indique, un roman d’apprentissage
voyant un jeune homme aux aspirations d’acteur parcourir le monde au sein d’une
troupe de théâtre, faire l’expérience de l’amour et de la réalité sociale qui
transformera sa vision jusque-là uniquement biaisée par le prisme des arts.
Faux mouvement reprend ce principe dans le cadre d’une
Allemagne contemporaine. Cependant l’aspect candide du roman de Goethe s’estompe
sur bien des points. Le Wilhelm (Rüdiger Vogler) n’est déjà plus si « jeune »,
en tout cas le jeune adulte curieux et avide du monde laisse place à un
trentenaire torturé qui végète et est poussé à affronter l’extérieur par sa
mère (Marianne Hoppe). Il rêve d’être écrivain sans parvenir à écrire une
ligne, si ce n’est les réflexions existentielles qu’il couche sur son carnet
intime. Toute la relecture de Wim Wenders tire vers l’épure et l’abstraction, à
l’image des perspectives étriquée de son héros qui entame un périple plus
modeste en train vers la ville de Bonn. Le contact du monde ne se fait plus via
une troupe de théâtre, même si le principe d’excentriques qui vont accompagner
Wilhelm perdure. Les compagnons de route forment un groupe d’artistes tout aussi
usés et sans but que Wilhelm, la troupe de théâtre du livre devient la réunion
d’inadaptés sans but pour Wenders. Tous les arts y sont tristement représentés
avec une actrice solitaire (Hanna Schygulla), un musicien vieillissant (Hans
Christian Blech), une adolescente acrobate mutique a(Nastassja Kinski dans son
premier rôle) ou un poète en herbe (Peter Kern).
La réunion des protagonistes ne suit aucune logique
narrative classique, ce sont des âmes perdues qui auront su se reconnaître et
décider de faire un bout de chemin ensemble. L’exaltation artistique tourne
court durant les échanges entre eux où les meurtrissures passées pèsent
davantage que les espérances futures – le passé d’athlète sous le régime nazi
du musicien. L’errance nourrit leur mélancolie, dans l’oppressant cadre urbain
des villes ou l’inquiétant vide des campagnes, de maisons abandonnées en
appartement exigu de ville-dortoir. La passion est absente de cette longue
marche, ou alors moralement discutable à travers l’ambiguïté de la relation
entre Wilhelm, mais également le musicien, et l’adolescente Mignone (Nastassja
Kinski adolescente mais déjà filmée comme objet de désir). C’est souvent
fascinant mais ce côté creux recherché par Wenders finit néanmoins par lasser
sur la longueur, ne trouvant pas le rebond formel, dramatique ou d’interprétation
qui nous sortirait d’une torpeur certes totalement volontaire. Plus qu’un
regard mélancolique sur le monde qui l’entoure, Wim Wenders lui tourne
carrément le dos et ne croit plus en lui.
Timothée Gérardin consacre ce passionnant essai à la figure
de Fred Astaire, génie de la danse et immense star de la comédie musicale
de l’âge d’or hollywoodien. Tout l’ouvrage tourne autour de l’équilibre ténu qu’entretient,
à l’instar d’autres vedettes des studios, Astaire entre sa nature d’artiste et de
produit. Il en va de même pour toutes les stars hollywoodiennes certes mais
Astaire, par ses aptitudes exceptionnelles à la danse dispose d’un attrait plus
spécifiquement identifié (que les adjectifs, les personnalités qui peuvent être
plus artificiellement fabriqués par le studio pour façonner ses vedettes) sur
lequel capitaliser. Le but est pour lui de maîtriser artistiquement et de
profiter commercialement (en s'intéressant vite au pourcentage des recettes de ses films, en étant un des premiers acteurs à faire assurer ses jambes) de cette facette dans la manière dont se concevra sa persona
filmique.
Des succès des années 30 en duo avec Ginger Rogers (Top
Hat (1935), Shall we dance (1937), La Grande Farandole
(1939), au léger creux des années 40 en passant par les triomphes des années 50
(Tous en scène (1953), Drôle de frimousse (1957)), Timothée
Gérardin retrace comment Astaire façonne cette persona filmique, l’adapte et la
réinvente avec le temps, le contact des réalisateurs. L’auteur définit cette
dualité artiste/produit par différents schismes contenus dans les films et leur
conception. Le contexte de Grande Dépression des années 30 est en contrepoint
des cadres aristocratiques des films d’Astaire à cette période, lui-même y
prenant des atours et manières de nanti sans en être un. C’est la légèreté et l’insouciance
qu’il amène dans ces environnements qui lui confèrent cette hauteur par
laquelle il surmonte sa condition sociale, mais aussi les réticences de ses love
interest féminins plus conscientes que lui des dures réalités de la vie.
Timothée Gérardin nous montre la singularité d’Astaire affirmant son individualité
de danseur qui ne s’étend que par le couple, mais s’éloigne de la
démultiplication anonyme et virtuose des comédies musicales de Busby Berkeley à
la même période (42e rue (1933), Prologue (1933)).
Cette fantaisie d’Astaire s’exprime donc par le ce sentiment de décontraction
et facilité dans ses chorégraphies, ses pas de danses, la magie par laquelle il
enjoint ses partenaires féminines, les figurants et en définitives le public à
l’accompagner et partager cette vision de la vie. Il y a un sentiment d’inné
qui se manifeste par le fait qu’Astaire joue rarement des personnages de
danseurs et que cet allant semble venir naturellement. Timothée Gérardin
explique pourtant bien à quel point un travail et une recherche acharnée
intervient en amont pour donner cette impression factice de décontraction.
En analysant les collaborations d’Astaire avec des les
grands maîtres de la comédie musicale hollywoodienne (Vincente Minnelli,
Stanley Donen), il montre comment, de l’onirisme de Minnelli à la sophistication
de Donen, ces gimmicks identifiés peuvent être transcendés pour à la fois
réinventer et magnifier Fred Astaire. C’est cette aura de dandy rêveur qui
guide la tonalité des films, faisant une grande différence avec un Gene Kelly
où la performance physique, l’effort est bien plus mis en avant. L’auteur ne
masque pas les travers machiste et paternaliste qui traversent les films
(notamment sur la fin où Astaire est désormais bien plus vieux que ses partenaires
féminines) mais la persona filmique de l’acteur les articule davantage sur une
logique d’enchantement (de l’amoureuse comme du spectateur) que de la
domination, ce qui les rend encore magiques aujourd’hui. Une des très bonnes
idées du livre est d’avoir mis en place un système de QR Code qui renvoie vers les
vidéos YouTube de numéros dépeints en détail, ce qui offre des exemples où l’image
parle autant que l’analyse pertinente de l’auteur. Un ouvrage passionnant qui
donne une envie folle de se replonger dans la filmographie chaloupée de Fred
Astaire.
Gérard, un docker, est obsédé par sa recherche
de l'homme qui viola sa sœur, provoquant le suicide de cette dernière.
Sa quête lui fait rencontrer la riche Loretta, dont il tombe amoureux au
point d'oublier sa maîtresse Bella. Jalouse, cette dernière tente de le
faire tuer. Gérard en réchappe et retourne à son obsession, oubliant
les deux femmes.
Après le succès de l'inaugural Diva, La lune dans le caniveau
est pour Jean-Jacques Beineix l'occasion de transformer l'essai dans un
second film ambitieux. Il s'agit d'une adaptation du roman éponyme de
David Goodis, bénéficiant de moyens conséquents, d'un casting
prestigieux et d'un tournage dans les prestigieux studios italiens de
Cinecitta. La Lune dans le caniveau confirme les qualités formelles de Diva
mais aussi et surtout ses nombreuses failles narratives.
On a beaucoup
reproché à l'époque à Beineix, Luc Besson ou à leurs contemporains
britanniques également venus de la publicité une esthétique justement
chiadée, maniérée, publicitaire et clippesque. Un reproche parfois
injuste mais qui s'applique malheureusement au film de Beineix où tout
ce qui tient de la narration, la caractérisation et la progression
dramatique est sacrifié sur l'autel d'un formalisme certes souvent
somptueux (très marqué 80's avis aux allergiques) mais tournant à vide.
Les prémices sont pourtant prenant avec ce héros déchiré entre deux
femmes, deux milieux sociaux et par une profonde culpabilité et instinct
de vengeance après le suicide de sa sœur. Beineix ouvre sur une
hypnotique et haletante scène de meurtre sous influence giallo se
terminant sur une image mémorable qui donne son titre au film. Par la
suite le réalisateur tisse des atmosphères stylisées et hors du temps
avec ce cadre portuaire interlope où les différentes communautés
irriguent le design de cette ruelle reconstituée, les figurants
bariolés. Chaque protagoniste est introduit avec des effets marqués,
papier glacé fascinant pour Nastassja Kinski (tout en symbolique entre
la pureté de sa robe blanche et le stupre de sa voiture rouge),
volcanique et jalousie de femme-enfant avec Victoria Abril. Gérard
Depardieu est cependant le seul à parvenir à une certaine profondeur
au-delà du maniérisme de Beineix qui devient de plus en plus vain.
Les
mystères et les questionnements initiaux sont noyés dans des longueurs
interminables fait de couchers de soleil, ruptures oniriques et
sérieuses fautes de goût dans l'interprétation (les séquences grotesques
des prostituées de bar). On sent que l'on baigne dans un vrai moment
formel qui renvoie à des productions contemporaines plus réussies comme Blade Runner mais Beineix ne semble vouloir répondre à la concurrence que par le visuel sans que le film fasse un tout prenant. La Lune dans le caniveau
n'est pas assez ouvertement expérimental pour pardonner ses failles
narratives, et trop poussif pour constituer un spectacle accessible. Il
n'en conserve pas moins un vrai pouvoir de fascination dans ses
meilleurs moments mais ses manques le figent en curiosité de son époque.