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jeudi 6 avril 2023

Guet-apens - The Getaway, Sam Peckinpah (1972)


 Doc McCoy, un prisonnier, obtient sa libération grâce à l'intervention d'un truand notoire, Jack Benyon, qui a besoin de ses services pour organiser le braquage d'une banque. Une fois le braquage commis, McCoy s'aperçoit que Benyon veut le faire supprimer. Lors d'un face-à-face avec lui, Carol, la femme de Doc, tire sur Benyon et le couple prend la fuite avec le butin.

Guet-apens est la première adaptation cinématographique, et qui plus est hollywoodienne, d’un roman de Jim Thompson ici avec Le Lien conjugal publié en 1958. Il faudra paradoxalement attendre tout d’abord les adaptations européennes (Série noire d’Alain Corneau (1979), Coup de torchon de Bertrand Tavernier (1982)) pour voir retranscrite fidèlement la noirceur des écrits de Thompson puis des adaptations américaines suivront à partir des années 80 avec des réussites comme Les Arnaqueurs de Stephen Frears ou plus récemment The Killer Inside Me Michael Winterbottom (2010). On peut s’étonner que le succès du film de Sam Peckinpah n’ai pas eu tellement d’impact, mais la raison est qu’il s’agit davantage d’un véhicule pour Steve McQueen qu’une adaptation fidèle. On peut même dire qu’il s’agit aussi davantage d’un véhicule pour Steve McQueen qu’un film de Sam Peckinpah, ici très efficace exécutant. 

L’acteur sortait alors de deux échecs commerciaux et véritables gouffres financiers avec Le Mans (1971) et Junior Bonner (1972). L’idée est donc de façonner un projet dans lignée de ses deux plus grands succès de l’époque, le polar Bullitt de Peter Yates (1968) et le caper movie matinée de romance L’Affaire Thomas Crown (1968), le tout en se montrant à la hauteur des nouveaux standards de l’action nerveuse imposée par French Connection de William Friedkin (1971) et L’Inspecteur Harry de Don Siegel. Dès lors Guet-apens se doit d’être un film de studio attrayant (le choix de la star montante de Love Story (1970) Ali McGraw) et finement conçu et calibré par une équipe sur mesure avec le scénariste Walter Hill et donc Sam Peckinpah pour sa virtuosité dans l’action. Il faut donc faire le deuil de la romance toxique et paranoïaque de Jim Thompson (qu’il faudra davantage chercher dans la version de 1994 avec Alec Baldwin et Kim Basinger) pour accepter le film pour ce qu’il est. La scène d’ouverture alterne le quotidien pénitentiaire morose de Doc McCoy (Steve McQueen) avec ses tentatives infructueuses de libération sur parole. Le seul élément lui permettant de s’accrocher est aussi celui qui le torture, le doux souvenir des tendres moments avec son épouse Carol (Ali McGraw). Cette dernière va solliciter à sa demande le shérif Benyon (Ben Johnson) afin d’être libéré, en échange de quoi il effectuera un coup pour lui.

Les retrouvailles du couple nous font comprendre que c’est là que repose le socle du film. Lors d’une promenade, Peckinpah utilise de nouveau un leitmotiv entre le rêve et le flashforward pour nous montre Doc et Carol plongeant dans le bassin d’un parc, ardents et heureux de se retrouver. C’est une manière d’exprimer dans une même image l’idéal et le bonheur présent du couple, distillant une belle et fragile émotion de nouveau dans la scène suivante où Doc a une certaine appréhension à coucher avec son épouse après quatre ans de séparation. 

L’argument criminel du casse se déroule dans un premier temps dans une méticuleuse organisation malgré les mauvais présages visibles (le complice très douteux incarné par Al Lettieri) mais le piège et la cavale ne s’entament que lorsque la confiance du couple est menacée. En effet, Benyon va révéler à Doc qu’il a obtenu de coucher avec Carol en échange de sa libération. Dès lors l’inébranlable Doc vacille. Celle dont le souvenir n’a cessé de le hanter depuis quatre ans, celle dont l’espoir d’un baiser l’a fait tenir dans la solitude de sa cellule, celle-là l’a trahi. Il y a en partie une dimension machiste dans la réaction de Doc (voir son attitude brutale après la nouvelle, d'ailleurs tristement prémonitoire des soubresauts du vrai futur couple à la ville McQueen/McGraw) mais il s’y joue aussi quelque chose de plus profond, que la délicate introduction romantique du film a servit à nous faire comprendre.

Dès lors l’instabilité et la désunion du couple se conjugue aux mille embûches de leur fuite. Peckinpah privilégiait les silences, les jeux de regards, les rapprochements lents et sensuels dans la première partie. Le couple est désormais séparé à l’image (les scènes de voitures), ne se regarde plus et s’invective continuellement. Même une scène anodine comme celle où Carol rate Doc lorsqu’elle doit le récupérer lors d’une fuite en voiture signe subtilement la désunion, l’harmonie rompue des époux. L’argument du polar n’est quasiment qu’un prétexte pour un drame conjugal et la manière dont les protagonistes vont le résoudre. 

Si Sam Peckinpah prête son savoir-faire aux multiples fusillades au ralenti ainsi qu’aux poursuites motorisées, on retrouve aussi et surtout la vraie délicatesse dont il est aussi capable dans des œuvres comme Un nommé Cable Hogue (1970). Il est ici bien aidé par le charisme de ses interprètes et le fait qu’un réel rapprochement amoureux se jouait entre eux en coulisses, au grand dam du producteur Robert Evans qui avait imposé son épouse Ali McGraw. Elle le quittera pour épouser Steve McQueen l’année suivante. Donc Guet-apens polar amoureux ou romance polardeuse ? la réponse est entre les deux et c’est le choix du film plutôt que la conclusion nihiliste et hallucinée du roman de Jim Thompson.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Warner

 

2 commentaires:

  1. Vu récemment, un superbe duo, j'ai trouvé qu'Ali MacGraw s'en sortais vraiment bien face à McQueen toujours plus classe.

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    1. Oui vraiment très touchante prestation d'Ali McGraw, j'avais cru lire que sa prestation était un peu décriée (peut-être par rapport au personnage dans le livre assez différent) mais elle a vraiment quelque chose, mélange de force et de vulnérabilité.

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