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vendredi 19 mai 2023

Le Train sifflera trois fois - High Noon, Fred Zinnemann (1952)


 Alors qu'il s'apprête à démissionner de ses fonctions de shérif pour se marier, Will Kane apprend qu'un bandit, condamné autrefois par ses soins, arrive par le train pour se venger. Will renonce à son voyage de noces et tente de réunir quelques hommes pour braver Miller et sa bande. Mais peu à peu, il est abandonné de tous...

Le Train sifflera trois fois est une vraie date dans l’histoire du western, par ses thèmes, son approche formelle et son impact sur le genre. C’est un projet porté par le scénariste Carl Foreman qui va croiser un traitement initial qu’il avait rédigé avec la nouvelle The Tin star de John W. Cunningham publiée en 1947 et dont le sujet était voisin. Foreman en écrit les grands axes officieusement aidé par son ami Richard Fleischer avec lequel il travaille à ce moment là sur le film noir Le Pigeon d’argile (1949) au sein de la RKO. Il essaiera d’ailleurs d’engager Fleischer lorsque la production du film se lancera mais ce dernier est lié par son contrat à la RKO, dont il ne pourra se défaire que pour préparer Vingt mille lieues sous les mers chez Disney. La volonté de départ de Carl Foreman est de faire du film une métaphore sur l’ONU, mais contexte de chasse aux sorcières à Hollywood va faire évoluer son idée dans cette direction. 

L’ironie voudra que Foreman, durant la production du film soit effectivement convoqué par la Commission des activités anti-américaines pour ses sympathies communistes, et qu’il vive exactement la situation du personnage de Gary Cooper face à un entourage hollywoodien suspicieux et lâche qui le délaisse. Cela inclut son partenaire coproducteur Stanley Kramer (ce qui est très ironique au vu de l’aura de réalisateur politisé et progressiste que va acquérir Kramer par la suite) qui se détournera de lui et récoltera tous les lauriers lors du succès du film, alors que Foreman placé sur la liste noire a dû s’exiler en Angleterre.

Le Train sifflera trois fois a donc l’originalité de sa parabole politique conjuguée à son unité de temps et de lieu. Le shérif Will Kane (Gary Cooper) fraîchement marié et s’apprêtant en rendre son étoile voit le retour imminent d’un dangereux criminel arrêté autrefois, mais gracié et bien décidé à se venger. Le nouveau shérif n’arrivant que le lendemain, Kane décide de prendre ses responsabilités et de demeurer en ville pour se confronter à son ennemi qui arrivera par le train de midi.  Le film est quasiment dépourvu d’action hormis son climax, et repose avant tout sur la tension de son compte à rebours, l’étude de caractère de ce microcosme lâche laissant le héros livré à lui-même, et le sentiment de désespoir croissant de ce dernier. Ces aspects construisent d’ailleurs le dispositif formel simple mais redoutablement efficace de Fred Zinnemann dont ce sera le seul western. 

Les plans d’ensemble font de la ville une cité fantôme dès lors que les cavaliers de l’apocalypse que sont les complices de Miller la traversent pour attendre leur chef à la gare. Dès lors cet espace est filmé dans tout son vide désertique, ne laissant que la frêle silhouette de Kane la traverser, signifiant sa solitude et sa vaine quête de mains fortes pour l’aider. Zinnemann démultiplie aussi les plans sur les différentes horloges de la ville, soulignant l’anxiété de Kane qui les regarde et sentant le danger se rapprocher, ou dans une approche presque subliminale faisant partager au spectateur ce sentiment d’inéluctable. Le scénario fait voler en éclat un certain idéal de solidarité américaine, tous les prétextes les plus vains justifiant l’abandon du shérif par la communauté. La religion quaker de son épouse (Grace Kelly) la détourne un temps de lui dans son initiative héroïque, les frustrations refoulées de son adjoint (Lloyd Bridges) génèrent un abandon de plus, la lâcheté ordinaire du collectif joue son rôle également. Le culte du profit sera l’ultime clou du futur ( et déjà en fabrication) cercueil de Kane puisque certains notables lui reprochent de générer moins d’argent dans leurs affaires depuis qu’il bouté le tyran hors de la ville. Le seul regard solidaire vient du personnage de Katy Jurado, comprenant l'isolement de Kane de par son propre statut de minorité mexicaine mise au ban.

Gary Cooper incarne en théorie un idéal de droiture et de justice, choisissant de faire face au danger alors que la fuite lui était possible. Dans la pratique, le personnage est grandement humanisé dans la peur et le désespoir légitime que génère sa situation. Gary Cooper se déleste de l’aura de surhomme octroyée par un rôle comme Sergent York (1941) et annonce le protagoniste vulnérable de Ceux de Cordura (1959). Visage anxieux, regard alerte et apeuré, langage corporel craintif, tous les motifs sont bons pour le fragiliser à l’écran et ne rendent que plus intense et palpitant le courage final dont il va faire preuve. Ce n’est pas la virtuosité du filmage de Zinnemann qui rendent le climax haletant, mais bien l’angoisse qui précède et ayant rendu possible, probable voire inéluctable la mort de Kane. 

John Wayne à qui fut proposé en premier lieu le rôle le refusa pour cette raison, en plus de percevoir un peu trop clairement la parabole sous-jacente, en bon anticommuniste qu’il était. Kane ne correspond pas non plus selon Howard Hawks à l’idéal de mâle alpha de western avec cette attitude de « lâche » consistant à réclamer de l’aide, et Rio Bravo (1959) est une réponse assumée à Le Train sifflera trois fois. Même les westerns américains des décennies suivantes ne suivront pas les pas de Zinnemann puisque L’Homme des hautes plaines (1971) de Clint Eastwood, tout en ayant ce même regard cinglant sur la lâcheté collective fait de son héros un spectre vengeur au-dessus de la mêlée.

Le Train sifflera trois fois est donc un film courageux dans son fond et sa forme à contre-courant de certains grands archétypes de westerns, du moins une œuvre populaire qui ose ce pas de côté. La concision (1h20 à peine) et la sécheresse du traitement (magistrale et cinglante dernière scène) évite aussi d’en faire un pensum trop appuyé. Comme évoqué plus haut, une date dans le genre.

Sorti en bluray français chez Sidonis

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