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mercredi 24 mai 2023

The Killer Inside Me - Michael Winterbottom (2010)


 Lou a un tas de problèmes. Des problèmes avec les femmes. Des problèmes avec la loi. Trop de meurtres commencent à s'accumuler dans la juridiction de sa petite ville du Texas. Et surtout, Lou est un tueur sadique et psychopathe. Lorsque les soupçons commencent à peser sur lui, il ne lui reste pas beaucoup de temps avant d'être démasqué...

The Killer inside me est la dernière adaptation à ce jour d’un roman de Jim Thompson au cinéma. Les Etats-Unis avaient repris la main avec pas moins de six adaptations dans les années 80/90 dont le célébré Les Arnaqueurs de Stephen Frears (1990), mais auparavant il fallait remonter à 1972 et au Guet-apens de Sam Peckinpah pour trouver une transposition prestigieuse et c’était plus la France avec Série noire d’Alain Corneau (1979) et Coup de torchon de Bertrand Tavernier (1981) qui avaient redorés le blason du maître du roman noir. L’Assassin qui est en moi est une des œuvres les plus dérangeante de l’auteur, un voyage des plus désagréable dans la tête d’un authentique psychopathe.

Michael Winterbottom signe une adaptation très fidèle (la seconde après une précédente réalisée par Burt Kennedy sortie en 1976) dans laquelle il parvient habilement à s’approprier le matériau original. L’histoire nous fait partager le point de vue trouble de Lou Ford (Casey Affleck), shérif adjoint d’une petite ville du Texas. Sollicité pour expulser de la ville la prostituée Joyce Lakeland (Jessica Alba), il s’amourache d’elle et va l’utiliser pour se venger de Chester Conway (Ned Beatty), riche notable de la ville qu’il estime responsable de la mort de son frère quelques années plus tôt. On comprendra vite que tout cela n’est qu’un prétexte pour libérer ses penchants meurtriers. Une des grandes idées de Winterbottom consiste dans le casting de Casey Affleck). Le Lou Ford du livre est un homme masquant sa redoutable intelligence et sa psychopathie sous de faux airs de plouc provincial à la bonhommie nonchalante, adepte des aphorismes frelatés suscitant les moqueries de son entourage.

Winterbottom conserve superficiellement cet aspect mais Affleck n’a pas la lourdeur béate pour convaincre sur ce registre (au contraire sans doute de Stacy Keach jouant Lou Ford dans la version de 1976). Cependant il possède cette gueule d’ange séduisant et cette douce voix l’auréolant d’une candeur innocente qui rend imperceptible « l’assassin qui est en lui ». Lors de la première rencontre avec Joyce, il faut d’ailleurs que celle-ci l’invective avec vigueur et le pousse à bout pour qu’il se résolve à la « punir » sévèrement. La douleur mêlée de plaisir de Joyce face à la violence de Lou trahit d’ailleurs l’aura de séduction et de menace de ce dernier, une sorte d’envers sulfureux au cadre d’Amérique Wasp puritaine et hypocrite dont il faut maintenir l’apparence. C’est le cas de Lou, de son autre amante « respectable » et adepte des plaisirs SM Amy Stanton (Kate Hudson), pour les conclusions biaisées des plus atroces méfaits de Lou afin que le vernis de bienséance ne s’écorne pas.

Casey Affleck est fascinant, monstre de brutalité et de froideur qui glace le sang tant dans ses débordements explicites de violence (deux traumatisantes et sèches séquences de passage à tabac de femmes) que dans l’indifférence teintée de mélancolie suivant ses méfaits. Le supposé engrenage dans lequel Lou se pense piégé n’est qu’un leurre, il doit et aime tout simplement tuer, se plaçant dans les circonstances propices à déchaîner ses bas-instincts. Winterbottom fait montre de subtiles idées de mises en scène pour traduire la folie du personnage. A plusieurs reprises, le point de vue essentiellement partagé de Lou s’estompe, offrant comme un regard extérieur et schizophrène observant ses pires actes. Une explication rationnelle interviendra plus tard pour justifier ce parti-pris, mais malgré tout il y a une scène (celle où Lou va voir un jeune suspect en prison, aucun regard extérieur dû à un personnage n’étant possible à ce moment) où elle ne tient pas, renforcée par une ellipse cruelle renforçant la monstruosité de Lou quand son sourire carnassier nous laisse deviner ce qu’il vient de faire.

A première vue le casting féminin semble bien timoré pour propager le stupre des héroïnes du roman. Jessica Alba (auditionnée pour le rôle d’Amy mais qui voulut jouer celui de Joyce) est certes très jolie, mais paraît dépourvue de la sensualité incendiaire de la Joyce version papier, notamment lors du lâcher-prise nécessaire lors des scènes sadomasochiste. On devine trop l’actrice sage qui souhaite s’encanailler mais sans complètement oser, le côté lascif paraissant forcé dans certaines postures peu naturelles où l’on devine qu’elle essaie de cacher sa nudité. Kate Hudson s’en sort mieux sur ce registre sulfureux, sans que l’inconséquence du personnage existe aussi bien que dans le livre. 

Mais justement Michael Winterbottom dévie légèrement (tout en la respectant) de la conclusion du livre par un rebondissement inédit qui donne tout son sens à la caractérisation des figures féminines. L’amour toxique auquel Lou soumet ses amantes offre une vertu romantique inattendue à la « fille perdue » (Jessica Alba), et une passion immorale et soumise à la « fille bien » (Kate Hudson), toutes deux étant tragiquement perdantes dans ce reniement d’elles-mêmes. Lou lui-même paraît en définitive moins cynique et plus meurtri qu’à l’écrit, dans les flashbacks fiévreux de ses étreintes avec Joyce (dont il était peut-être malgré tout amoureux en définitive) et ceux sordides sur son enfance et les origines de son mal. Cette nuance existe grâce à la prestation de Casey Affleck, dont d’ailleurs la face plus sombre allait par la suite nourrir l’actualité. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

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