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vendredi 18 août 2023

Suburbia - Penelope Spheeris (1984)

Dans une banlieue pavillonnaire américaine, un fugueur d'une quinzaine d'années rencontre une bande de punks qui squattent une vieille maison, échappant ainsi à une vie de famille franchement malsaine ou à un ennui profond. Pendant ce temps là, dans les rues, des hordes de chiens errants agressent les passants. Une milice citoyenne s'organise…

Suburbia est considéré comme une des fictions les plus justes sur le mouvement punk, et de plus s'inscrit parfaitement dans l'observation de la jeunesse américaine white trash au sein de la filmographie de Penelope Spheeris, qui l'abordera sous l'angle du thriller dans l'excellent The Boys Next Door (1985) puis sur le mode potache avec Wayne's World (1992). Penelope Spheeris sait de quoi elle parle puisqu'elle baigne dans ce milieu depuis plusieurs années au moment de réaliser le film. Après ses études de cinéma, elle devient une des pionnières dans la réalisation et production du vidéoclip naissant et côtoie alors toute la scène musicale de l'époque, des gros artistes populaires qu'elle n'affectionne guère à la scène punk à laquelle elle s'identifie totalement. Cela va l'inciter à réaliser The Decline of Western Civilization (1981), un documentaire sur la scène punk de Los Angeles qui faute de distribution conséquente, sera un échec. 

Elle se dit alors que la fiction est l'angle le plus pertinent pour attirer une audience plus conséquente sur le sujet et écrit le script de Suburbia. Elle va réunir avec difficulté un mince budget de 500 000 dollars, en partie apporté par ce vieux filou de Roger Corman qui voit dans Suburbia un potentiellement lucratif teensploitation plutôt que le manifeste social et culturel voulut par la réalisatrice. Il n'interfèrera pas outre mesure sur le film, si ce n'est par l'exigence d'avoir toutes les dix minutes une scène de sexe et/ou de violence pour satisfaire les attentes du public de cinéma d'exploitation - ce qui n'altère pas le film mais rend certains moments incongrus et superficiels comme la scène d'ouverture semblant échappée d'un film d'horreur. Un autre sujet de discorde sera le choix de Spheeris de tourner avec de vrais punks plutôt que des acteurs, le casting sauvage se faisant dans les clubs ou les files d'attentes de concert.

L'histoire nous fait suivre un groupe de marginaux adolescents et punk se faisant appeler les TR (The Rejected) et vivant en communauté dans une vieille maison abandonnée. Les confidences des uns ou l'aperçu de la vie "d'avant" des autres nous fait comprendre la réalité sordide que certains ont dû fuir (parents violents, pauvreté...) et à quel point les TR constituent un refuge paisible pour eux. L'environnement n'en est pas moins périlleux pour autant, que ce soit l'hostilité de la communauté pavillonnaire environnante qui les rejette mais subit aussi leurs larcins, ou encore la violence même de ce milieu punk. Comme l'explique un dialogue, le terme Suburbia est la fusion des termes suburb (banlieue en anglais) et utopia, la banlieue constituant à l'époque justement l'utopie d'une vie paisible pour la classe moyenne WASP loin du tumulte des centres-villes. Cet idéal est vicié désormais, la crise économique laissant cette population sans emploi et gangrenant ce paradis pavillonnaire avec des pans de quartier à l'abandon et désormais le nid d'un "engeance" urbaine qu'ils ont cru fuir. Les punks issus de milieux défavorisés rejettent cette communauté qui de son côté en fait les bouc-émissaires parfaits de leurs maux. Tout le film développe une lente montée de tension entre les deux, jusqu'à l'explosion de violence finale aux tragiques conséquences.

Le quota sexe/violence, tout racoleur qu'il soit, permet de traduire le danger, l'adrénaline et l'urgence de cette scène punk à travers de furieuses scènes de concert parfaitement servies par le passif de Penelope Spheeris. Sur scène, les apparitions de vrais groupes (D.I., T.S.O.L. et The Vandals) donnent un cachet d'authenticité tandis que dans le public, les inserts sur les looks excentriques des spectateurs, les pogos sauvages et les bagarres nous placent au cœur de l'évènement. Parallèlement à cela, sous l'aspect choral Spheeris capture une mélancolie, le passé douloureux et l'innocence intacte de certains protagonistes - la très belle scène où Sheila lit le conte Hansel et Gretel pour ses amies. Le personnage de Sheila (Jennifer Clay) est par exemple très touchant, jamais remis des abus incestueux de son père, et d'autres traînent avec eux les préjugés de l'époque (l'un ayant fui le foyer car sa mère a épousé un noir, un autre car son père est gay). 

Cette vie au jour le jour est aussi insouciante que sans issue, le décor insalubre du squat témoignant de cette impasse, lieu de communion mais véritable taudis. Penelope Spheeris partage beaucoup avec ses protagonistes, elle qui perdit son père très jeune et vit défiler les compagnons violents de sa mère toute son adolescence, dans un conflit permanent. On ressent donc une vraie authenticité dans cette caractérisation, d'autant qu'elle pioche certaines anecdotes personnelles qu'elle retranscrit dans le film comme cette jeune fille morte d'overdose dont les amis rapportent le cadavre chez ses parents. Il y a certes un petit côté décousu inhérent aux contraintes économiques du film, mais l'ensemble est vraiment tenu et Penelope Spheeris montrera un versant plus virtuose et formaliste avec The Boys Next Door qui suivra et doté d'un plus gros budget. En l'état un très joli film et le vrai portrait d'un lieu et d'une époque.

Sorti en bluray français chez Ecstasy of Films

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