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samedi 21 octobre 2023

Traquée - No One Will Save You, Brian Duffield (2023)


 Brynn Adams, est une jeune femme qui vit seule dans la maison de son enfance. Celle-ci est soudain envahie par des visiteurs extraterrestres.

Traquée est une œuvre qui sur le papier et dans l’imagerie est un immense recyclage du récit d’invasion extraterrestre. Le design des aliens renvoie à l’esthétique humanoïde étrange popularisée depuis les années 50, les phénomènes prévenant leur arrivée (coupures d’électricité…) et les prémices anxiogènes d’une certaine intrusion domestique évoque Rencontre du troisième type (1977), la série X-Files ou Signes de M. Night Shyamalan (2002). La faculté de duplication que l’on découvrira assez tard dans l’histoire ravive à son tour l’influence de L’Invasion des profanateurs de sépultures et ses multiples variations. C’est un bagage que le réalisateur et scénariste Brian Duffield assume et sur lequel il se repose pour proposer une approche relativement originale. Il se déleste de toute allégorie politique plus ou moins prononcée propre au genre, les extraterrestres n’étant pas la manifestation d’une peur extérieure, mais plutôt des démons intimes et du passé de l’héroïne Brynn. Alors certes cela renvoie à Signes évoqué plus haut mais Duffield se montre plus nébuleux que le discours sur la foi explicite de Shyamalan, et joue davantage sur la perte de repère.

Brynn (Kaitlyn Dever) nous apparaît dès le départ prisonnière du monde de son enfance, par les maquettes façon maison de poupée occupant son salon, par ses attitudes enfantines et une forme d’obsession pour les souvenirs partagés avec/de son amie Maude dans leur relation épistolaire. Il s’agit d’un refuge l’isolant de la communauté qu’elle fuit, mais qui semble tout autant la rejeter pour des raisons que l’on ignore. L’arrivée des extraterrestres met à mal ce cocon qui devient peu à peu un piège redoutable. Duffield a beau revisiter un postulat et des situations bien connues, le brio formel dans la gestion du suspense est redoutable. La découverte progressive de l’apparence des aliens se fait par le travail sur la bande-son, la gestion de la profondeur de champs où, tapie dans l’ombre se dessine soudain une silhouette « autre ». 

L’introduction légère nous aura inconsciemment fait assimiler la topographie de la maison pour nous préparer au cache-cache angoissant à venir dans un découpage habile, tandis que le montage nous réserve son lot de scènes chocs et d’apparitions subites par de saisissants jumpscare. Il y a une dimension étrange, rêvée et onirique qui fonctionnant autant pour nous faire entrer dans psyché de l’héroïne (et accepter les transitions et ruptures de ton déroutantes) que pour rendre les réactions des aliens imprévisibles. Les règles ne sont jamais claires dans les réactions des créatures faisant preuve d’agressivité soudaine ou marquant des temps d’arrêt inquiétant, leur perception en fait clairement des être autre dans leur vélocité comme leur maladresse dans les multiples cours-poursuites du récit.

Brian Duffield déploie quelques visions puissantes, piochant donc dans l’imagerie de l’invasion alien (les soucoupes volantes surplombant la région dans la nuit) mais aussi presque lovecraftienne comme lorsqu’un alien immense surgit sur le toit de la maison ou dont l’immensité monstrueuse se dessine dans la brume d’une forêt. Malgré cette peur palpable, il apparaît néanmoins que Brynn est toujours celle qui, apeurée, assène le premier coup. Les aliens tout menaçants qu’ils soient paraissent plutôt intrigué par ce qui se révèle de la personnalité de leur proie à travers les objets et photos de la maison. Et quand ils vont enfin la capturer, ces fameuses visions extraterrestres presque clichés ne servent pas une étude anatomique de leur victime, mais psychanalytique. 

Brynn est rétive à leur emprise car souffrant d’un mal, d’une culpabilité au-delà de la peur que les créatures lui inspirent. Le fameux passé va alors se révéler et d’un seul coup le film convoque, à sa manière une nouvelle fois, une autre approche de l’irruption extraterrestre, celle de Le Jour où la terre s’arrêta (1951), de Le Météore de la nuit (1953), de Rencontres du Troisième type ou de Abyss (1989). Le traitement purement visuel évite toute scories démonstratives puisqu’il n’y a quasiment pas de dialogues du film, l’inventivité de Duffield et la formidable prestation muette de Kaitlyn Dever faisant de l’ensemble une pure expérience sensitive et émotionnelle. D'ailleurs même lorsque les enjeux et le propos deviennent très clairs, le film parvient a garder sa part de mystère et de fascination dans sa dernière scène trouble. Brynn s'est-elle libérée ou abandonnée à ses maux ? Une très belle réussite qui arrive brillamment à faire du neuf avec du vieux.

Disponible sur la plateforme Disney +

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