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jeudi 30 novembre 2023

Door 2 : Tokyo Diary - Banmei Takahashi (1991)


 Ai est une call-girl dont le travail comporte de nombreux risques. Chaque fois qu’elle franchit une porte, c’est à un nouveau type d’homme auquel elle a affaire. Un jour, elle rencontre M. Mamiya, un artiste étrange et captivant qui va peu à peu l’initier aux plaisirs SM.

Trois ans après le tour de force de Door (1988), Banmei Takahashi signe cette "suite" surprenante. Sur bien des points, ce nouveau film s'avère en formidable contrepoint de son prédécesseur. L'approche thriller et invasion domestique disparaît tandis que le portrait de femme demeure, mais avec une protagoniste aux antipodes de la femme au foyer timorée de Door. Ai (Chikako Aoyama) est en effet une call-girl indépendante partant à la rencontre de ses clients après que ces derniers aient laissé sur une boite vocale leurs coordonnées, la nature de leurs fantasmes et fixé un lieu de rendez-vous. L'exaltation de Ai réside dans la surprise qui l'attend à chaque fois qu'elle franchit la porte de l'antre du client, et savoir à quelle sauce elle va être mangée si l'on ose dire. Dans Door, la porte du domicile familial symbolisait un mélange de peur et d'attrait pour l'héroïne symbolisant par le refoulé la stimulation et le danger consistant à laisser entrer l'étranger masculin dans le cadre domestique aseptisé. Door 2 en multipliant les possibles à travers les multiples entrées correspondant aux différents clients prend l'option inverse. On peut y voir à travers les nombreuses séquences sensuelles une sorte de retour aux sources pour le réalisateur Banmei Takahashi qui fit ses débuts dans le cinéma érotique.

L'objectif est cependant beaucoup plus vaste que de simplement réaliser un film érotique que Door. Le point commun entre les deux films consiste dans le ton neutre adopté par Takahashi. Dans Door cette neutralité se conjuguait aux peurs, aux frustrations étouffées et invisibles de l'héroïne. Ai semble au contraire un personnage en pleine confiance et épanoui, dévoué aux attentes les plus surprenantes ou triviales de ses clients. Les séquences étranges, farfelues (le fétichiste des talons hauts rouges), malsaine et parfois franchement violentes s'enchaînent sans qu’Ai ne se dérobe. Un client particulièrement menaçant et jouant du ciseau lors d'une partie à trois va ainsi amener un moment de tension suffocant où Ai tout à son service n'oppose qu'une maigre rébellion, certes tétanisée de peur mais aussi conditionnée à le satisfaire quoiqu'il en coûte. On comprend alors que la "normalité" de Ai réside dans ces expériences parfois extrêmes tandis que le refoulé s'incarne dans tout ce qui pourrait ressembler à une existence ou relation normale. 

A Ichiro (Shingo Kazami), l'ami qui semble sincèrement amoureux d'elle, elle préfère s'attacher (dans tous les sens du terme) à Mamiya (Joe Yamanaka), client adepte des jeux érotiques les plus extravagants et tout autant en conflit avec une expression classique des sentiments. Chikako Aoyama offre un portrait aussi sensuel qu'opaque de cette héroïne jamais plus à l'aise que lorsqu'elle est à la fois le jouet et le guide des fantasmes troubles des hommes. L'argent n'est pas la motivation principale (la scène où elle refuse la proposition d'un riche vieillard impuissant de l'entretenir) et seuls comptent les situations périlleuses qu'elle va initier ou dans lesquelles elle va tomber. L'esthétique recherche moins la banalité anonyme (que le thriller venait malmener) que le film de 1988, et penche plutôt vers une stylisation jouant sur le luxe et le vide (chambre d'hôtels de luxe, villas désertiques) du paraître de la bulle économique finissante, la photo bleutée et froide de Kazuhiro Miyoshi et Ikuo Nakamura masquant sous la couche érotique les émotions que les protagonistes ne souhaitent pas révéler. 

L'ambiguïté ne fonctionne donc pas comme dans Door ou le refoulé est charnel en étant absent à l'image, il est cette fois sentimental en exposant justement crûment tout ce qui a trait au sexe. La menace du stalker de Door éveillait la peur et un désir coupable, la libido décomplexée de Mamiya attise un attrait amoureux inattendu chez Ai, notamment après une assez folle séquence de concert exhibitionniste. La prison de Ai n'est donc pas la triste normalité d'un espace domestique étouffant comme dans Door, mais la normalité de son statut d'objet sexuel qu'elle comprendra en voulant se lier à Mamiya en dehors du cadre de sa profession. Ce dernier ne voit aucune différence et va la soumettre à une situation humiliante dont elle ne reprendra le dessus qu'en recouvrant ses atours d'amante provocante et insaisissable lors d'une mémorable scène en voiture. Deux plans jumeaux nous avaient préparé à ce schisme. Lors de la première rencontre Ai/Mamiya, une composition de plan place Ai se déshabillant en arrière-plan de Mamiya, comme un prolongement mental de son désir qu'il manifestera avec la plus grande des politesses. Plus tard lorsque Ai s'exposera à montrer son attirance pour Mamiya, une composition de plan voisine la place comme observatrice impuissante de la satisfaction du désir imposé de Mamiya avec une autre. 

La sidérante séquence finale de mariage la voit accepter ce statut en rompant même les ultimes liens, cette fois amicaux, qui la liait au commun des mortels. Ai (traduction japonaise de "mourir") disparait des regards sans nous avoir laissé deviner si elle voulait être possédée, aimée, ou les deux. Sans réitérer l'électrochoc du premier film, une suite thématiquement et formellement passionnante qui renouvèle brillamment la proposition initiale. Un troisième et ultime volet sera réalisé par Kiyoshi Kurosawa, qui semble mélanger le pur thriller de Door et l'érotisme de Door 2.

Sorti en bluray anglais chez Third Windows avec le premier film

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