Vie Privée est un film qui sort en quelque sort au cœur du cyclone Brigitte Bardot et qui va chercher à le documenter sous un angle schizophrène, entre fiction et autoportrait. De la révélation et du scandale de Et Dieu créa la femme de Roger Vadim (1956) jusqu’à l’entérinement du mythe dans Le Mépris de Jean-Luc Godard (1963), Brigitte Bardot va vivre sept années folles la voyant imposer son mythe cinématographique à travers des collaboration prestigieuses (En cas de malheur de Claude Autant-Lara (1958), La Vérité d’Henri-Georges Clouzot (1960)) et devenir un véritable phénomène médiatique dont le moindre geste est traqué par les médias. C’est au départ la perspective de se refaire commercialement après l’échec de Zazie dans le métro (1960) qui motive Louis Malle à collaborer avec Brigitte Bardo sur ce qui doit d’abord être l’adaptation d’une pièce de Noel Coward.
Ce sont les confidences de Bardot sur son enfer quotidien qui incitent Louis Malle et son coscénariste Jean-Paul Rappeneau, fascinés, à transformer le projet pour en faire cet objet étrange biographique que sera Vie Privée. Brigitte Bardot est partante pour cette orientation et se livrera encore davantage sur sa jeunesse, son présent dont des pans entiers se retrouvent dans diverses situations du film. En plus de satisfaire la curiosité des spectateurs sur sa vie, le quota glamour et romantique semble assuré avec l’engagement d’un Marcello Mastroianni tout juste auréolé du succès de La Dolce Vita de Federico Fellini (1960). Le pouvoir de fascination du film réside dans le fait qu’une Brigitte Bardot, à ce stade encore jeune de sa carrière, a dépassé le stade de l’interprétation pour ne devoir plus que représenter des avatars d’elle-même. Ce sera la force et la limite de ce Vie Privée.Louis Malle au-delà de la commande partage des origines sociales bourgeoises communes avec Brigitte Bardot, ce qui lui permet de capturer et comprendre les éléments les plus insaisissables de sa psychologie. Il ne faut pas y voir néanmoins une biographie authentique, mais une vision fantasmée dans les côtés sombres comme lumineux du récit. Brigitte Bardot voit la bascule et le début de ses ennuis dans son arrivée à Paris et son introduction dans le milieu du cinéma, son statut de star étant vu comme une sorte de malédiction. Pourtant les provocations à venir viennent justement d’une volonté de transgression en réponse d’une éducation sévère. Dans le film Malle dépeint au contraire comme un paradis perdu, presque un prologue, le segment de la jeunesse de Jill à Lausanne. La beauté de Bardot est saisie dans le juste équilibre entre sensualité et innocence gironde dans une esthétique de roman-photo. Le départ de ce cocon est une frustration amoureuse, puis une ellipse efface toute la possible exaltation de l’ascension vers la starification, la découverte du métier d’actrice, pour passer immédiatement aux seules souffrances de cette notoriété.Brigitte Bardot est de tout les plans, défiante, torturée, désespérée, Malle apportant une emphase opératique à certaines épreuves où Jill fait figure de martyr -le malaise en plein festival, harcelée par la foule. On est frappé par ce degré de mise à nu, même si le mimétisme avec la réalité correspond avant tout à la difficulté de son personnage médiatique plutôt que de vrais évènements intimes et personnels – sa grossesse difficile, ses ruptures amoureuses. Le mariage de ces deux aspects (la biographie et le romanesque de fiction) ne fonctionne pas totalement malheureusement, la faute à une romance jamais vraiment incarnée et flamboyante avec Mastroianni. Il y a comme un filtre qui transparaît à l’image et empêche la passion de vraiment s’exprimer entre eux, notamment les scènes en Suisse. Le décorum théâtral de la dernière partie en Italie constitue un écrin renforçant la dramaturgie, sans que l’alchimie du couple en soit plus intense pour autant. Le questionnement est pourtant intéressant, la dévotion et attention exclusive impossible que réclame Jill d’un amant ne pouvant être compensé que par les paparazzis honnis. La dernière scène en témoigne, Jill est à la fois dans l’impossibilité d’être celle en retrait qui pour une fois ne ferait que regarder, et n’assume pas demeurer celle captant seule l’attention. Un dilemme qui provoquera sa chute, au propre comme au figuré dans une conclusion tragique et onirique. Vie Privée est un objet très imparfait par troublant, posant en quelques sortes les jalons de Le Feu Follet (1963) dans son observation de la dépression, et Le Souffle au cœur (1971) pour l’autobiographie fantasmée.Sorti en bluray chez Gaumont
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