Don Bellows rencontre son idole Joyce Heath,
une ancienne actrice de théâtre, dans un bar. Comme elle est ivre-morte
et qu'elle n'a aucun papier sur elle, il la raccompagne chez lui. Malgré
les reproches de Mrs Williams, la gouvernante, elle s'installe chez lui
et avoue porter malheur à tous ceux qui l'approchent.
L'Intruse est pour Bette Davis une forme de prolongation d'un de ses plus fameux rôles tourné l'année précédente, L'Emprise de John Cromwell (1934). Bette Davis y retrouve en effet cet emploi de
fille perdue entraînant égoïstement dans sa chute un homme éperdument
amoureux d'elle. Consciente de cette proximité, Bette Davis refusera
d'ailleurs le rôle quand il lui sera proposé, avant que le producteur
Hal B. Wallis parvienne à la convaincre. En effet, contrairement à la
fille des rues de L'Emprise, Joyce Heath
(Bette Davis) est une grande actrice déchue et le scénario de Laird
Doyle s'inspire du destin tragique et encore contemporain de Jeanne Eagles - d'ailleurs explicitement cité dans un dialogue comparant son
talent à celui de Joyce Heath.
Le film s'ouvre ainsi directement sur une
Joyce Heath dont l'ancien éclat demeure imprégné au sein d'un public
restreint, tandis qu'elle végète dans les bas-fonds. Don Bellows
(Franchot Tone) a justement vu sa vie bouleversée par une prestation de
Joyce Heath au temps de sa splendeur, au point de le convaincre
d'abandonner sa vie médiocre pour entamer une carrière d'architecte à
succès. Lorsqu'il retrouve l'ancienne gloire à l'état d'épave, il décide
de lui rendre ce qu'elle lui a indirectement donné en la remettant sur
pied.
Bette Davis parvient à offrir une vraie variation de son rôle dans L'Emprise
auquel on serait maladroitement trop tenté de le comparer. Là où le
personnage du film de 1934 était d'une bassesse irrécupérable, un
véritable fruit pourri, Joyce Heath est davantage une figure qui a
abandonné, qui a laissé le malheur définitivement submerger son
existence. Quand un quidam croit la reconnaître dans la rue, elle renie
son ancienne identité et, lors d'une magnifique scène, laisse entrevoir
son ancienne grâce quand titubante et hagarde elle déclame soudain avec
passion une tirade de Shakespeare.
Bette Davis exprime la légende du
talent déchu et la malédiction du malheur inéluctable pesant sur Joyce
Heath, par mélange séduisant d'agressivité et de douceur. Don Bellows
passe de bon samaritain à amant bien malgré lui, Alfred E. Green
exprimant cette bascule dans une magnifique montée de tension érotique
durant une scène de tempête. La fureur des éléments en contrepoint de
l'étreinte langoureuse du couple exprime ainsi implicitement la destinée
funeste et la passion gravitant autour de Joyce Heath, appuyée par les
nuances de la photo d'Ernest Haller instaurant une atmosphère sombre et
langoureuse.
L'alchimie entre Bette Davis et Franchot Tone est vraiment
électrique dans ces moments-là, puisqu'une liaison s'était nouée en
coulisse entre les deux stars, la légende voulant que l'inimitié avec
Joan Crawford (alors fiancée à Franchot Tone) naisse de cet épisode. On
sent malgré tout une autre différence avec L'Emprise,
celle d'un film plus explicitement marqué par l'application désormais
stricte du Code Hays. La dernière partie se tient thématiquement dans
l'idée de faire prendre conscience à Joyce du mal qu'elle a pu faire et
de l'amener à réparer ses erreurs. Néanmoins le scénario endosse cela en
refusant tout élément "immoral" mais satisfaisant romantiquement pour
le spectateur, pour choisir l'issue la plus consensuelle qui soit. Bette
Davis remportera son premier Oscar de la meilleure actrice avec ce
film, mais estimera qu'il s'agissait d’un prix de compensation par
l'académie après ne pas lui avoir attribué pour L'Emprise.
Disponible en dvd zone 1 chez Warner ou en streaming sur MyCanal
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