Pages

lundi 11 novembre 2024

Blitz - Steve McQueen (2024)


 L’épopée de George, un garçon de 9 ans vivant à Londres pendant la Seconde Guerre mondiale et que sa mère Rita envoie se réfugier dans la campagne anglaise. Mais George, déterminé à retourner chez sa mère et son grand-père Gerald dans l’est de Londres, se lance dans une aventure extrêmement dangereuse, tandis que Rita, folle d'inquiétude, se lance à sa recherche.

Blitz est une œuvre remettant en lumière un contexte historique qui marqua à la fois des heures sombres pour le peuple anglais, mais aussi une période fertile pour le cinéma local. La Seconde Guerre Mondiale est pour les Anglais marquée par le chaos du blitz, soit les bombardements nocturnes quotidiens lancés par l’armée allemande sur Londres et les grandes villes du pays. Winston Churchill va user du cinéma comme outil de propagande pour galvaniser le moral du peuple, la production d’actualités, de documentaires et surtout de nombreuses fictions aptes à toucher toutes les couches sociales. Des œuvres comme Ceux de chez nous de Sidney Gilliat et Frank Launder (1943) saluent la contribution des femmes à l’effort de guerre à travers leur travail dans les usines de fabrique d’armes, Waterloo Road de Frank Launder (1945) aborde les liens distendus des couples séparés par la mobilisation, tandis que les films de guerre plus explicites (Ceux qui servent en mer de David Lean (1942), L’Héroïque parade de Carol Reed (1944)) célèbrent une proximité sociale qui dans ce contexte transcendent les clivages de classe encore prégnant au sein de la société anglaise.

Le film de Steve McQueen apporte la touche spectaculaire des moyens modernes pour illustrer cette période, mais l’immédiateté et le réalisme étaient sans doute plus palpables encore pour les spectateurs d’alors vivant les évènements avec des stock-shots de vrais bombardements et un filmage se faisant parfois parmi les réelles ruines. Cependant Steve McQueen, délesté des contraintes de propagandes de ces œuvres, peut revenir sur leurs aspects les plus marquants tout en allant plus loin. Par le prisme du mélodrame et d’une poignante relation mère/fils, Blitz se situe dans un bel équilibre dans ses deux niveaux de récit. D’un côté, les situations et l’imagerie évoqués plus haut se retrouvent dans le quotidien de Rita (Saoirse Ronan), restée seule à Londres après avoir envoyé son fils métis George (Elliott Heffernan) se réfugier à la campagne. De l’autre, un pan plus sombre et glauque de cette Angleterre oppressée se révèle durant l’odyssée de George qui, rongé par le remord d’avoir boudé sa mère durant leur séparation, décide de traverser mille embûches pour la retrouver à Londres.

Steve McQueen apporte des nuances bienvenues à la supposée union sacrée du pays. Les petits chefs tentent d’imposer leurs autorités dans les usines où travaillent les femmes. Les abris sont limités durant les bombardements, et le refuge que pourraient constituer le métro est restreint de manière arbitraire par la police. Si la question du racisme et du statut des noirs sera bien présente dans les années suivantes dans le cinéma anglais (Pool of London (1951) ou encore Sapphire (1959) de Basil Dearden)), les grands films des années 40 dépeignent avant tout une population blanche. C’est bien sûr un sujet au cœur des thématiques du réalisateur va illustrer les maux du clivage racial dans l’Angleterre d’alors. Une nouvelle fois cela se joue en deux temps.

Les flashbacks magnifient le bonheur passé de Rita avec le père de George par une scène de danse extatique où la race s’oublie par le mouvement des corps, dans le cocon d’une boite de nuit. L’extérieur expose aussitôt aux regards malveillants, aux invectives et arrestations arbitraires. Ces mêmes flashbacks montrent un George préservé par le cocon familial mais subissant par intermittence sa différence auprès des autres enfants du quartier. Le périlleux voyage de retour lui fait crûment voir la part sombre de l’humanité, McQueen jouant sur le collectif et l’intime. L’échelle plus vaste dénonce la violence et le pillage ordinaire dans les décombres, et celle plus restreinte traduit ce racisme auquel est désormais frontalement exposé George sans l’appui de sa mère.

Après s’être ainsi délesté de l’angélisme de circonstances des films de propagandes des années 40 (qu’il a forcément étudié), Steve McQueen peut alors patiemment montrer la construction de cette fameuse et réelle unicité anglaise, ainsi que l’affirmation identitaire de George. Le jeune garçon découvre la représentation grossière et indigéniste de sa communauté dans les vitrines d’une galerie marchande, avant de rencontrer avec le policier d’origine nigériane Ife (Benjamin Clementine) un véritable modèle dont les vertus lui feront accepter ce qu’il est. L’enfant passe d’un déni maladroit de sa négritude (« Je ne suis pas noir, mon père l’est ») à son assumation sincère (« Je suis noir ») après avoir observé Ife. Le réalisateur fonctionne tout en contraste dans sa caractérisation dénuée de manichéisme, la peur, l’ignorance et l’instinct de survie (cette jeune femme noire qui va trahir George) guidant les actions les plus pernicieuses.

Le film est d’une ampleur impressionnante, parfois trop spectaculaire pour son propre bien (George cavalant au milieu des explosions) mais chargé d’une imagerie dantesque convoquant des situations réellement inédites comme les eaux noyant les réfugiés dans le métro. L’horreur et son alternative lumineuse s’entremêlent sans cesse – ce fondu enchaîné entre le visage ensommeillé de George et les vues dévastées de la ville - au sein de séquences où McQueen capture avec brio l’âme anglaise.

La tradition collective du chant durant les scènes de bombardements rappelle des moments similaires dans les films de Terence Davies comme Distant Voices, Still Lives (1988) dans un mélange d’onirisme et de réalisme, tout en étant aussi un fondement de la personnalité de George et sa mère durant les flashbacks au piano. Ce n’est d’ailleurs certainement pas un hasard si McQueen fait jouer le rôle du grand-père à Paul Weller, chantre de ce métissage durant sa carrière musicale, entre son passé de mods et ses groupes The Jam puis The Style Council durant les années 70/80. Steve McQueen signe en tout cas là son film le plus accessible et rassembleur dans le meilleur sens du terme, à la fois lucide et optimiste sur les travers passé de son pays et sa capacité à les surmonter. 

Malheureusement sorti en salle limitée à la seule journée du 10 novembre, mais le film sera prochainement disponible sur la plateforme Apple+

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire