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mardi 31 août 2010
La Vie d'O'Haru, femme galante - Saikaku ichidai onna, Kenji Mizoguchi (1952)
Une ancienne prostituée, O'Haru, se souvient... : jeune fille, elle était amoureuse d'un homme de caste inférieure qui, pour cette raison, a été exécuté. La famille de O'Haru a été exilée et la jeune femme, par un enchaînement de circonstances, est passée d'un homme à l'autre : d'abord concubine d'un prince dont l'épouse est stérile, elle est chassée dès qu'elle donne naissance à un enfant ; son père la vend alors comme courtisane...
Un des plus beaux Mizoguchi avec ce film qui le fit connaître en occident où le cinéma japonais se résumait encore à Kurosawa. Grand peintre des femmes brisées, Mizoguchi nous intéresse ici au sort d'O'Haru vieille prostituée claudiquante qui se souvient des raisons l'ayant menées à cette triste condition. Toute jeune fille, elle a eu le malheur de tomber amoureuse d'un homme de rang inférieur qui l'aimait en retour et ce bonheur éphémère scellera son destin.
Le Japon féodal dans toute sa cruauté où la toute puissance masculine fait loi se dévoile donc pour une véritable descente aux enfers. Dans un premier temps, encore jeune et belle O'Haru sera donc le jouet du désir des hommes notamment lorsqu'un prince la prend pour concubine pour pallier à la stérilité de son épouse. Une fois le devoir effectué, en objet qu'elle est (la scène de sélection des candidates sordide va dans ce sens) elle se trouve chassé sans revoir son enfant.
Contrainte de se donner de manière de plus en plus avilissante pour subsister (et aider son père criblé de dettes) elle passe donc la seconde partie du film à payer cette existence qu'elle n'a pas voulue par le regard méprisant et le jugement moral des autres. En dépit de quelques moment plus légers assez épars (l'épisode du faux monnayeur, O'Haru qui se venge de sa maîtresse lui ayant coupé les cheveux) le récit est donc très sombre, la lenteur typique du réalisateur faisant boire le calice jusqu'à la lie à l'héroïne dans le malheur.
Le clou est atteint lors de la terrible conclusion où O'Haru peut enfin voir son fils dans des circonstances douloureuses. Visuellement somptueux (les lents mouvements de caméras glissant sur les passions et conflits si intense) et dramatiquement éprouvant un des grands films du réalisateur.
Sorti en dvd zone 2 français chez Arte
Extrait
lundi 30 août 2010
La Fin d'une Liaison - The End of The Affair, Neil Jordan (1999)
Londres 1939. Sarah Miles, jeune femme fougueuse et passionnée, est prisonnière d'un mariage stérile avec Henry, un epoux riche mais qu'elle rejette. Au cours d'une fête, elle fait la connaissance de Maurice Bendrix, un romancier. C'est le coup de foudre. Apres quelques années de cet amour illicite, un obus frappe la maison de Bendrix tandis que les deux amants sont ensemble. Pendant quelques minutes, Sarah croit Bendrix mort. Lorsqu'il reapparait quelques instants plus tard, Sarah, bouleversée, met brutalement fin a leur liaison sans un mot d'explication.
Un mélo flamboyant et assez inclassable, donnant dans un classicisme assumé mais qui par sa construction, les thèmes et les questions qu'il pose trouve sa propre voie et tutoie les sommets du genre comme le Brève Rencontre de David Lean auquel on pense souvent.
Adapté d'un livre semi autobiographique de Graham Green (déjà mis en image par Edward Dmytryk en 1955), le film surprend par le style de sa narration. La première partie se déroule sous le point de vue de l'amant éconduit interprété par Ralph Fiennes. Dans un brillant montage alterné on découvre tour à tour la rencontre et la passion dévorante passée des deux amants puis leur pathétique retrouvailles quelques années après la rupture le tout accompagné d'une voix off pleine d'aigreur et de haine de Ralph Fiennes. Le passé et le présent se répondent à merveille pour traduire le fossé émotionnel entre les deux époques et créant la confusion chez le spectateur : les mêmes escaliers menant à la chambre qu'on remonte ivre de désir avec l'amante ou de manière pathétique avec le mari dans l'espoir de la revoir, une sortie dans le même restaurant en amoureux transis puis un tête à tête chargé de rancoeur et de non dit.
Une surprenante révélation à mi film renverse la situation en adoptant le point de vue du personnage de Julianne Moore qui si distant jusque là en devient bouleversant. Une relecture des scènes de la première partie oriente le film vers le drame poignant teinté de fantastique avec un questionnement sur la foi face au sacrifice que doit faire le personnage de Julianne Moore. Jordan parvient à traduire ce tourment de sentiments par sa mise en scène inspirée mélange d'emphase et de sobriété : des scènes de sexe d'une grande intensité (et qui font la différence avec les classiques qui ne pouvaient se le permettre) où les amants teste leurs amour en poursuivant l'acte alors que les bombes pleuvent sur la ville, une mort déchirante tout en pudeur et en retenue.
La photo de Roger Pratt est un véritable rêve éveillé avec ses couleurs saturés rendant Londres tour à tour fantomatique et sombre dans les moments dramatiques (subperbes scènes de pluie bleutées) ou aux textures éclatantes lorqu'on nage dans le bonheur. L'atmosphère rappelle souvent l'autre somptueux mélo à venir, Loin du Paradis de Todd Haynes toujours avec Julianne Moore. La musique inspirée de Michael Nyman (qui retrouve les sommets de La Leçon de Piano) accompagne parfaitement les images à travers plusieurs thèmes entêtant de tristesse et de mélancolie.
L'interprétation magnifique dépasse le clichés du triangle femme, amant et mari. Loin des clichés du héros romanesque, Ralph Fiennes interprète un amant jaloux rongé par le doute en colère contre un Dieu auquel il ne croit pas et qui au final ne se remet pas en question. Stephen Rea (habitué de Jordan) est fabuleux en mari résigné, exprimant les contours d'un homme ennoyeux et complexe à la fois. Quant à Julianne Moore c'est sans doute là son plus beau rôle (avec Loin Du paradis), Jordan lui conférant un aura de quasi sainte et mettant en valeur sa beauté comme personne auparavant. Malgré 4 nominations aux Oscars (meilleur film, musique, actrice et photo) le film passa une peu inaperçu (et récolta quelques critiques assassines en France pour son classicisme) ce qui est vraiment dommage un des sommets des 90's.
Sorti en dvd zone 2 français un peu chiche en bonus mais à l'image somptueuse.
dimanche 29 août 2010
Le Pacha - Georges Lautner (1967)
Le commissaire Joss, enquêtant sur un hold-up de diamants exécute au bazooka, constate que de nombreux truands disparaissent de façon violente. Il soupçonne Quinquin, un tueur, mais celui-ci est intouchable, faute de preuves. Quand son ami, Gouvion, qui a eu des faiblesses avec son devoir, est assassine, il décide de réagir.
Un formidable polar, un des tout meilleurs de l'époque produit en France et surtout le film de la rencontre entre le monstre sacré Jean Gabin et le cinéma fou fou de Georges Lautner. Tout le film repose d'ailleurs sur cette opposition entre tradition et modernité. Sur une trame policière en apparente classique, Gabin vestige d'un autre temps traîne sa silhouette imposante de flic à l'ancienne et aux méthodes toutes personnelles. La présence de Gabin semble avoir obligé Lautner à se réfréner sur le délire mais aussi à être plus rigoureux sur sa narration (on a plus ses fameux moments en roue libre).
Sur cette intrigue carrée, Lautner soigne la forme comme jamais (c'est vraiment un de ses film les plus aboutis visuellement) et apporte une vraie touche moderne et novatrice. S'éloignant de tout réalisme, on délaisse les bureaux poussiéreux du Quai des Orfèvres pour faire évoluer nos flics dans un commissariat aux décors high tech typés 60's particulièrement recherchés et leur faire utiliser un matériel dernier cri carrément en avance sur la vraie police de l'époque comme la vidéo surveillance. On retrouve ce ton moderne dans d'autres séquences du film.
Lautner avait déjà montré son ancrage dans l'époque avec les tueurs aux look de mods dans Ne nous fâchons pas, cette fois nous avons droit à un Gabin stoïque qui vient effectuer un interrogatoire dans une boite de nuit hippies où un décor des plus psyché et flower power avec l'appartement de Dany Carel. la mise en scène percutante de Lautner associée à la photo splendide de Maurice Fellous nous donne donc à voir un formidable objet pop preuve qu'en France on savait y faire aussi de ce côté là.
Le film dépoussière l'image du flic et fit un petit scandale à l'époque (visionné par le mistère de l'intérieur avant sa sortie) au vu des méthodes de justicier du divisionnaire incarné par Gabin qui malmène sans états d'âmes les malfrats, et qui pour les plus nuisibles d'entre eux se fait un plaisir d'éviter la case prison avec l'assentiment de sa hiérarchie.
Le mitan, j'en ai jusque-là ! Voilà quarante ans que le truand me chagne ! Dans mon bureau, au ciné, dans le journal ! En costard clair ou en blouson noir, je l'ai digéré à tous les âges et sous toutes les modes ! Ca tue, ça viole, mais ça fait rêver le bourgeois et reluire les bonnes femmes ! C'est romantique ! Alors je vais me mettre au goût du jour. Les voyous, je vais plus les confier aux jurés de la Seine, je vais les sortir du bal ! Et pas à coup de mandat, à coups de flingue ! Cette fois, y aura pas de non-lieu, ni de remise de peine ! Je vais organiser la Saint-Barthélémy du mitan ! Et je compte sur personne pour me couvrir. Je décroche dans six mois. Je sais que vous avez déjà préparé les allocutions et commandé les petits fours. Alors qu'est-ce que tu veux qui m'arrive ? Je serai privé de gâteau ?
Il en va de même sur la violence totalement décomplexée du film (et pas de bruits de silencieux ridicules pour détendre l'atmosphère) notamment avec les multiples tueries orchestrées par Quinquin (excellent André Pousse) se débarassant de ses complices (dont une où il tue froidement un couple et regarde tranquillement les résultats de son tiercé à la télé) ou bien sûr la vengeance finale de Gabin des plus discutables, sans parler de l'attaque de fourgon au bazooka en ouverture.
N'oublions pas l'excellent score de Serge Gainsbourg (qui participe de la volonté moderniste du film) variante sur son morceau "Requiem pour un con" (il fait une petite apparition où il l'interprète d'ailleurs) composé pour le film (les paroles prennent d'ailleurs tout leurs sens en voyant le film) et qui renforce le côté stylisé de certains instants (la première rencontre entre Quinquin et Dany Carel entouré de mannequin de cire). Bref on on est pas loin de la perfection (ne manque que Mireille darc !) pour un des meilleurs Lautner.
Très belle édition dvd sortie chez Gaumont, bonus comme image voyez les captures !
samedi 28 août 2010
La Terrasse - La Terrazza, Ettore Scola (1980)
Des amis de longue date, appartenant au milieu de la gauche culturelle, se retrouvent pour une rituelle soirée-buffet sur la vaste terrasse romaine de l'un d'entre eux. La caméra se promène et surprend des conversations puis, suit un personnage dans sa vie, avant de revenir à la soirée et d'en suivre un autre. L'enthousiasme de la jeunesse a laissé place à l'amertume et aux constats d'échecs, autant professionnels que sentimentaux.
La Terrasse constitue en quelque sorte le testament de la comédie italienne (d'ailleurs Scola n'en fera quasiment plus pour se lancer dans des production historique plus prestigieuses comme La Nuit de Varennes ou Le Bal ). La construction et la narration peuvent d'ailleurs rappeler aussi le Signore & Signori de Pietro Germi en moins réussi et fluide, puisqu'au cours d'une soirée entre amis sur une terrasse romaine le film s'attarde sur quelques convives qu'il va suivre après la réunion.
Chaque personnages représente en quelques sorte la faillite masculine, la fin des idéaux et le déclin d'une génération qui n'aura pas su changer l'Italie. Le personnage de Mastroianni est un éditorialiste cynique et dépassé, incapable d'accepter l'émancipation de sa femme, Vittorio Gassman (tout en retenue et loin de ses personnages excessifs, étonnant) un communiste verbeux engoncé dans une idéologie obsolète et trop lâche pour quitter son épouse alors qu'il semble se ressourcer auprès d'une plus jeune femme. Scola anticipe brillamment tout ce qui va gâter le paysage culturel italien dans les années à venir avec la télévision sombrant dans le n'importe quoi, le cinéma populaire laissé aux mains des "intellectuels" prétentieux...
C'est finalement plus désolant que vraiment drôle même si on a tout de même quelques grands moment, notamment grâce à un Jean Louis Trintignant impérial en scénariste névrosé par la page blanche, où Ugo Tognazzi en producteur. Les rapports hommes- femmes sont voués à l'échec à cause de l'archaïsme masculin, la culture dégringole et les jeunes sont dépourvus de valeurs, le constat n'est pas très joyeux. C'est un peu le prolongement de Nous nous sommes tant aimés mais là où ce dernier gardait allant et légereté, le constat est ici terriblement désabusé. Le film est un peu trop long (2h30 tout de même) et les différents retour à La Terrasse pour suivre un protagoniste différents sont un peu lourd aussi dans la répétition. Le dernier grand Scola néanmoins.
Dvd zone 2 français à fuir car comportant uniquement la vf. Donc à moins de maîtriser l'italien pour avoir l'édition locale, si vous êtes sur Paris le film ressort en salle en ce moment (et devrait probablement avoir une édition dvd digne de ce nom dans la foulée).
Extrait
vendredi 27 août 2010
Contre-Enquête - Q & A, Sidney Lumet (1990)
Juge d'instruction fraîchement émoulu, Al Reilly est chargé par son supérieur, l'ambitieux et retors Kevin Quinn, d'instruire l'affaire concernant la mort du gangster Tony Vasquez, abattu par le lieutenant Mike Brennan. Policier intrépide et efficace, ce dernier affirme avoir agi en état de légitime défense; d'ailleurs, on trouve dans la main de Vasquez un revolver qui, peu de temps avant, a servi à tuer un autre gangster.
Contre Enquête est en quelque sorte la conclusion d'une trilogie que Lumet aura donné sur la corruption policière puisqu'auparavant avaient précédé la chroniques Serpico puis la grande fresque criminelle Le prince de New York (déjà traité en ces pages). Chacun des films précédents avait grimpés dans l'échelle de la description de la gangrène pourrissant la police, les petites magouilles des flics de terrain dans Serpico puis à plus grande échelle avec des liens troubles entre truand et inspecteurs chevronnés dans Le prince de New York. "Contre Enquête" va plus loin encore en montrant les ramifications entre les hautes sphères de la police et de la justice et le grand banditisme.
Tout part d'un meurtre sordide effectué par le flic Mike Brennan (Nick Nolte) chargé des basses besogne. Jeune procureur parachuté sur l'affaire, Timothy Hutton va s'avérer moins malléable que prévu et en démanteler toute les failles jusqu'à la réponse impensable. Le scénario est donc à travers l'enquête, une longue partie d'échecs entre Hutton, Brennan et le truand portoricain incarné par Armand Assante et les différentes puissances qui les manoeuvres, bonnes ou mauvaise que ce soit la mafia ou la police cherchant à couvrir ses pairs. On retrouve ici l'art de Lumet à dépeindre des personnages d'une incroyable profondeur à travers ses thématiques.
Nick Nolte est impressionnant en flic mauvais comme la gale qui semble tout droit sorti d'un roman de James Ellroy, et Lumet l'entoure d'une aura trouble par son curieux rapport au milieu homosexuel le doute étant entretenu sur ses penchants, simple moyen d'arriver à ses fins où vraie attirance ? Les problématiques raciales s'étendant jusqu'à l'intérieur de la police sont très subtilement abordés également, soit sous couvert d'humour dissimulant les clivages bien réel, par le rapport de soumission que semble imposer Brennan aux personnages de Luis Guzman et surtout Charles Dutton ainsi que le secret douloureux que dissimule Timothy Hutton.
Hutton n'est pas un interpréte aussi convaincant et charismatique que Al Pacino et Treat Williams dans les films précédent et Lumet l'oublie un peu par instants au cour de son récit. Nick Nolte etArmand Assante emporte réellement le morceau à travers un duel à distance magistral au suspense haletant et le jeune héros ne retrouve de son intérêt que lors de la conclusion. Là Lumet démontre une nouvelle que l'opacité et la solidarité d'un système corrompu aura toujours raison des plus vertueux et que rien ne changera jamais. On retrouve ici en plus la réalité juridique complexe que Lumet se plaît régulièrement à dépeindre dans le détail. Un peu moins sombre que les autres film il laisse tout de même une chance à son personnage principal sur le plan personnel dans la dernière scène. En dépit de quelques légers défauts (bande son 80's très marquée entre autres) un excellent Lumet donc.
Sorti en dvd zone 2
Extrait
jeudi 26 août 2010
Le Rebelle - The Fountainhead, King Vidor (1949)
Howard Roark (Gary Cooper) est un architecte talentueux et audacieux, trop même pour ses contemporains. Refusant tout compromis aux modes et aux désirs de ses commanditaires, il doit bientôt abandonner l’architecture faute de contrats et devient simple ouvrier de chantier dans une carrière appartenant à Gail Wynand, un riche et puissant magnat de la presse. Dominique Françon (Patricia Neal), chroniqueuse qui travaille pour le journal populiste le Banner, est la seule au Banner à s’opposer au tout puissant Ellsworth Toohey, éditorialiste qui a monté une cabale contre Howard Roark.
The Fountainhead est sans aucun doute l'un des plus ambitieux et complexe film américain jamais réalisé. Pas pour son budget ou ses stars, mais pour l'idée et le discours puissant qu'il défend, l'individu contre le collectif. Adapté du best-seller de Ayn Rand, le projet fut la grande affaire des studios dès le début des années 40. Barbara Stanwick persuada Jack Warner d'en acheter les droits dans l'espoir d'interpréter Dominique Francon, mais King Vidor engagé à la réalisation la trouva trop vieille quand le projet fut lancé quelques années plus tard. D'autres noms prestigieux se disputèrent le rôle comme Jennifer Jones, Lauren Baccall et surtout Joan Crawford qui aura même convié Ayn Rand (qui elle imaginait Greta Garbo pour son personnage) à un dîner où elle portait une robe similaire au personnage. Gary Cooper après un premier refus (craignant la facette intellectuelle du héros et du récit aille à l'encontre de son public habituel) endossa le rôle de Roark convoité notamment par Clark Gable sur les conseil de sa femme qui avait lu le livre.
Le Rebelle se pose en vibrant plaidoyer à l'individualité et à l'intégrité de l'artiste avec ce personnage d'architecte farouchement attaché à ses principe quitte à mettre sa carrière en danger, sûr que le temps parlera pour lui. Le trio de héros fascinants constitue autant des personnages de chair et de sang à l'esprit torturé que la matérialisation de concepts philosophique forts. Gary Cooper incarne donc la droiture (le générique le montrant sous forme de silhouette essuyer refus et quolibets accentue cet idée de concept incarné) inflexible et sans compromis, véritable incarnation de ce que Ayn Rand définit comme Virtue of Selfishness.
King Vidor parvient à donner un tour cinématographique et dramatique à ces concepts finalement très abstraits de manière puissante. L'histoire d'amour entre Roark et Dominique s'avère impossible à cause du renoncement de l'une s'opposant à l'obstination idéaliste de l'autre, persuadé que le temps parlera pour lui. Face au roc indéboulonnable qu'est Cooper, Patricia O'Neal est un être en plein doute, passionné et timoré à la fois car rongé de désir tout en le fuyant (il faut voir cette incroyable analogie où elle se remémore Cooper usant de son marteau piqueur !). Une intense séquence de coup de foudre tout en jeu de regard intense et brûlant puis une incroyable scène d'amour à la violence proche du viol la place face à ses contradictions.
L'idée forte du film (et se rapprochant des thématiques de Vidor dans d'autres films comme La Foule ou Une Romance Américaine) est qu'une oeuvre est l'extension de la volonté et de l'expression de l'artiste, conçue dans un but et une fonction précise. S'inspirer, imiter et faire des compromis sur la nature de cette idée par ambition et se fondre dans le conformisme, c'est un renoncement laissés au faibles qui ne laisseront aucune trace dans l'Histoire. Cet esprit libre s'illustre dans les incroyables créations architecturales de Roark, pour lesquelles Vidor s'inspire des idées du chantre de l'architecture moderne Frank Lloyd Wright dont il adopte les design de maisons individuelles aux buildings imposant conçus par Cooper dans le film.
Cette limpidité dans l'expression des idées trouve son aboutissement dans la conclusion du film. Les faibles comme l'ami architecte de Roark sont anéantis tandis que les prétendus "forts" révèlent leur failles, tel Raymond Massey (prestation impressionnante) tellement habitué au consensus qu'il ne saura tenir la défense de son ami jusqu'au bout. Ayn Rand qui a elle même adaptée son livre avait, à l'image de son héros mis un point d'honneur à ce que la tirade finale de Cooper soit conservée dans son intégralité (elle se plaignit même à Jack Warner quand Vidor souhaita la raccourcir), on comprend pourquoi.
Dans ce qui est un des plus longs monologue de l'Histoire du cinéma Cooper déclame l'essence même de l'idéologie de Rand, un esprit libre et un individualisme qui a guidé les grands hommes et les artistes depuis la nuit des temps et les amenant à mieux servir leur pairs. L'artiste travaille pour lui et c'est cette liberté qui le distingue en faisant évoluer son audience, pas en lui donnant ce qu'elle attend. Un grand moment de cinéma avec un Gary Cooper fabuleux pouvant s'appliquer à toutes forme d'art mais aussi à la politique (certain y virent du fascisme) Ayn Rand d'origine russe ayant nourri une profonde défiance pour les régimes collectivistes durant son enfance en Russie communiste. La mise en scène de Vidor ainsi que le montage, passant du visage de Cooper à ceux de son audience, puis à sa silhouette seule face à son ensemble figure de manière implicite cette idée où son discours sur un principe personnel sera profitable à la collectivité.
Un film à l'influence considérable qui en plus d'offrir la vision de Vidor de son Amérique idéale, définit un type de personnage (le critique culinaire du dessin animé Pixar Ratatouille s'inspire clairement de celui de Robert Douglas) et de mise en scène (le discours final de Kevin Costner dans JFK reprend les idées de Vidor) à la modernité qui ne s'est jamais démentie.
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
mercredi 25 août 2010
Seuls sont les indomptés - Lonely are the Brave, David Miller (1962)
Au Nouveau-Mexique, Jack Burns, authentique cowboy perdu dans notre monde moderne, retourne volontairement en prison pour aider son ami Paul à s'échapper. Mais comme celui-ci a décidé de purger sa peine jusqu'au bout, Jack s'évade tout seul mais est poursuivi par le shérif Johnson...
Dans ce vrai/faux western, Kirk Douglas incarne John W. Burns un cowboy inadapté à la vie moderne vivant toujours au jour le jour en harmonie avec la nature comme à la bonne vieille époque de l'Ouest. Un jour qu'il se rend en ville voir un ami en difficulté, il est provoqué, emprisonné et finalement traqué après avoir réussi à s'évader.
Les cinq premières minutes laissent croire à un vrai western d'époque avant qu'une scène nous montrant Kirk Douglas traverser une autoroute à cheval nous ramène à la dure réalité et à la problématique du film. Le pitch évoque très fortement le futur Rambo (le livre de David Morell ne paraîtra qu'en 1972 et le film de Ted Kotcheff en 1980 on peut soupçonner une inspiration du film de David Miller), le personnage de Douglas s'avérant même être un ancien soldat de la guerre de Corée.
Déjà une guerre honteuse où les vétérans ont du mal à se réintégrer à une vie normale donc, qui s'ajoute à une mélancolie sur un certain esprit de l'Ouest définitivement perdu. On retrouve la fibre politique de Dalton Trumbo (encore sur la liste noire) que Douglas a convoqué au scénario pour adapter un roman de Edward Abbey. Le film accompagnait ainsi une thématique récurrente à ce moment là sur le crépuscule d'un genre le western, mais aussi de l'esprit des pionniers face à la modernité tel L'homme qui tua Liberty Valance de John Ford sorti la même année.
Kirk Douglas (qui dans ses mémoires considère Seuls son les indomptés comme son meilleur film) ici également producteur a investi beaucoup de lui même dans ce touchant nostalgique incapable d'évoluer avec son époque et d'abandonner ses rêves. Ses relation sont aussi paisible et pacifique avec la nature (tel la relation qu'il entretien avec son cheval dont une scène magnifique où il refuse de l'abandonner quitte à se faire prendre) qu'orageuse et violente avec les hommes et la civilisation, hormis quelques rencontres éparses dont son premier amour incarné par une toute jeune Gena Rowlands.
La traque finale en montagne est palpitante et rondement menée tandis que la dernière scène où Kirk Douglas croit toucher au but avant de tout perdre de manière dramatique est tout simplement bouleversante, Douglas exprimant tout son désespoir par la seule force de son regard. La rumeur veut d'ailleurs que Douglas peu satisfait du travail de Miller (il fut souvent un producteur omnipotent se souvenir du renvoi de Anthony Mann au profit de Kubrick sur Spartacus) ait en grande partie réalisé le film lui même. Un néo western puissant et crépusculaire, bel ode à un genre et mode de vie sur le déclin.
Sorti en dvd zone 2 français dans une assez belle édition
mardi 24 août 2010
Jude - Michael Winterbottom (1996)
A la fin du 19e siècle, Jude, un jeune paysan auquel son maître d'école, Phillotson, a fait prendre conscience que l'élévation sociale passe par le savoir, rêve de s'inscrire à l'université voisine de Christminster. Après l'échec de son union avec Arabella, il part pour Christminster où il veut poursuivre ses études tout en gagnant sa vie comme tailleur de pierres. Il fait la connaissance de Sue, sa belle cousine à l'esprit indépendant...Ayant terminé récemment le roman de Thomas Hardy Jude l'Obscur j'étais assez curieux de découvrir cette adaptation très réputée de Winterbottom. Grosse déception puisque paradoxalement tout en respectant très fidèlement la trame du roman, Winterbottom passe complètement à côté de l'essentiel. Le roman narrait comment la société anglaise fermée et opressante de l'époque entravait dans un premier temps les aspirations intellectuelle et d'élévation sociale de son héros Jude aux origines rurales modeste, puis comment son union libre avec sa cousine en faisait les proies de la vindicte morale.
L'aspect concernant le savoir est sans doute le plus raté. Passé une belle scène d'ouverture, l'attrait quasi mystique exercé par Christminster la cité universitaire sur Jude est totalement absent et son goût et plaisir d'acquérir de la connaissance ne se ressent absolument pas (ce n'est pas quelque vagues scènes ou on le voit lire du latin et du grecs qui suffisent). Du coup lorsque ses ambitions échouent à cause de sa provenance modeste on ne ressent absolument pas la même détresse, puisque le film n'a pas insisté là dessus pour embrayer dès le début sur le mariage raté avec Arabella assez expédiée et où la prestation de Rachel Griffiths n'est guère convaincante.
La relation avec la cousine Sue ensuite prouve le total manque de vision de Winterbottom, qui respecte vraiment le roman mais illustre ses thèmes et idées de manières brouillonnes. Sue est dans le livre un personnage très moderne, mais à la fois très ambivalent dans son amour pour Jude et décrite comme frigide et dépourvue de sensualité charnelle. Elle se donne à son mari par obligation et ne cèdera à Jude que quand elle se sentira menacée par une autre femme. Cette idée qui s'exprime en filigrane de manière subtile, Winterbottom la résume en une scène où Sue s'offre enfin à Jude (et un passage un peu gratuit de Kate Winslet nue) son aversion du sexe passant presque pour de la simple timidité. C'est cette propension à aller au dénominateur le plus simple et basique systématiquement qui est le plus agaçant à la longue.
Le poids moral de la société sur le couple illégitime (encore plus dans le film où ils ne divorcent pas) entre Jude et Sue était une vraie toile de fond du livre pesant comme une chape de plomb sur les héros. Là encore jamais on ne ressent cela, Winterbottom fait ce qu'il faut et case fidèlement les passages exprimant cette idée mais de manière tellement terne et mécanique que ça ne fonctionne presque jamais sauf vers les derniers instants du film. Le sort dramatique des enfants du couple est repris également mais perd tout sa puissance tant la culpabilité qui suit est loin de la conclusion terrible du livre, le retour de Sue à la piété après ses élans modernes est moins sacrificielle et pitoyable (et le personnage de Philoston est vraiment sacrifié).
Autre point noir Winterbottom a semble t il choisi la voie de l'adaptation austère donc on ne ressent aucun souffle, les scènettes s'enchaînent (très fidèlement reprenant même le chapitrage par lieu du livre) machinalement, sans saveur ni passion et faisant plus office de transposition scolaire que d'une adaptation pensée.
Les acteurs sauvent tout de même pas mal la chose. Kate Winslet compose une Sue magnifique, sa prestation exprime tout ce que Winterbottom peine à transcrire : la séduction, la modernité mais aussi le côté torturé et indécis. Christopher Eccleston même si jouant trop sur la retenue est néanmoins convaincant en Jude et le couple avec Winslet est vraiment puissant et touchant, le seul vrai atout du film par ailleurs réalisés de façon assez transparente, aucun moment fort ne ressortant vraiment. Comme quoi si on pas saisi l'essence d'une oeuvre, même une adaptation quasi littérale peut être complètement ratée...
Sorti récemment en dvd zone 2 français mais l'édition est à fuir car ne comportant que vf et vo sans sous titres ! Se reporter plutôt vers le zone 2 anglais qui a lui au moins des sous titres anglais.
lundi 23 août 2010
L'Adieu au Roi - Farewell to the King, John Milius (1989)
1945. Deux officiers anglais, le capitaine Nigel Fairbourne et le sergent Tenga, sont parachutés dans la jungle de Bornéo. Ils ont pour mission d'obtenir l'aide des tribus indigènes pour rejeter l'occupant japonais. Ils sont bientôt encerclés par des chasseurs de têtes, capturés et conduits au village de leur chef. A leur grande stupeur, il s'agit d'un homme blanc. Il est américain, il s'appelle Learoyd, il est devenu le roi.
John Milius n'avait jamais caché son mécontentement quant au traitement administré par Coppola sur son scénario d'Apocalypse Now. En adaptant ici le livre de Pierre Schoendoerffer au point de départ proche d'Au coeur des ténèbres de Conrad dont s'inspirait Coppola (un blanc s'enfonce au fond de la jungle en temps de guerre pour y devenir roi d'une peuplade sauvage) c'est l'occasion pour lui de donner sa vraie vision d'Apocalypse Now. Et effectivement la personnalité de Milius, amateur d'armes, de figure militaire légendaire et pour qui le retour à un instinct guerrier transcende l'homme, ce retour à la nature est radicalement différent que l'odyssée au confins de la folie de Coppola.
Learoyd soldat abandonné e en plein doute au début du film est un être transfiguré 3 ans plus tard. Là où un Colonel Kurtz avait créé au fond de la jungle un enfer équivalent à son esprit torturé, Learoyd loin de la civilisation se crée un havre de paix où il règne avec sagesse et où il s'est parfaitement assimilé. Ayant déjà montré qu'il pouvait tirer la quintessence d'un récit épique avec Conan le barbare où d'y élever une intrigue plus intimiste avec Big Wednesday, Milius confère à tout son récit l'aura de haut faits légendaires. Le flashback où Learoyd racontent aux officiers anglais la manière dont il s'est intégré puis élevé roi auprès des indigènes avec la voix off habitée de Nick Nolte et la mise en scène de Milius donnent des allure de gestes épique au récit de Nolte.
Il en va de même pour les ennemis japonais que doivent affronter les héros, entouré d'une dimension mystérieuse et quasi fantastique tel sa pratique du cannibalisme sur l'ennemi ou encore son Colonel traversant la jungle sur un cheval blanc (et un premier duel déroutant avec Nick Nolte où il se volatilise étrangement). L'amitié et la confiance indéfectible se scelle donc au contact cette nature accueillante et au combat, à travers la belle relation entre Nick Nolte (incroyablement habité et noble une prestation fascinante) et l'officier anglais joué par Nigel Havers.
C'est lorsque la civilisation,son hypocrisie et ses traitrise les rattrape que tout se gâte dans la dernière partie où le paradis semble perdu à jamais mais Milius dans une dernière image sublime dessine définitivement les contours de la figure majestueuse du dernier roi de l'île de Borneo en le montrant s'éloignant pour de bon de la civilisation libre. Impressionnant de bout en bout dans ses thématiques et sa mise en scène (on a rarement vu la jungle de cette façon) et porté par un score puissant de Basil Poledouris, un des meilleurs films de John Milius.
Disponible uniquement en dvd zone 1 et doté de sous-titres français
dimanche 22 août 2010
Ambre - Forever Amber, Otto Preminger (1947)
Au XVIIe siècle, Ambre St Clare, une belle jeune femme très ambitieuse mais de condition modeste, est prête à tout pour gravir rapidement les échelons de l’ascension sociale. Elle sera déchirée entre l’amour qu’elle porte à Bruce Carlton et ses ambitions.
En dépit d'une édulcoration prévisible, une bien belle adaptation du classique de Kathleen Winsor. Ambre, premier roman de son auteur fit scandale à sa parution en 1944. Dépeignant l'ascension d'une jeune paysanne durant la période de restauration de Charles II, le récit détonait par son héroïne immorale et sans scrupule séduisant brigand, riches propriétaires, noble vieillissant puis le roi lui même devenant ainsi une des personnes les plus puissantes du royaume. Les passages érotiques très explicites firent la réputation sulfureuse du livre tandis que l'aspect romanesque (tout ces actes sont en faits dans le but d'épater le seul homme dont elle fut jamais amoureuse son premier amour Lord Carlton) et picaresque dans les multiples embûches sur le chemin de la réussite de Ambre en rendait la lecture palpitante. Alexandre Dumas n'était pas loin non plus dans la description plus vraie que nature de certaines grandes figures historique rencontrés par Ambre comme Charles II ou Barbara Palmer.
En plein code Hays, l'adaptation envisagée par Darryl Zanuck ne pouvait qu'être aseptisée et d'ailleurs le tournage ne sera pas sans peine. Pensé comme le nouvel Autant en emporte le vent (film en costume, héroïne romanesque portant un prénom de couleur) le film est commencé par le spécialiste du mélo John Stahl avec l'inconnue Peggy Cummings dans le rôle de Ambre. Zanuck peu satisfait des premières images, du dépassement de budget et de la prestation de Cummins renvoie tout le monde pour imposer Otto Preminger à la réalisation et Linda Darnell dans le rôle de Ambre (alors que Preminger souhaitait Lana Turner qui aurait effectivement sans doute été meilleure).
Une fois la cause entendue qu'on aura pas une trame aussi explicite que celle de Kathleen Winsor (les situations érotiques, les aspect plus sordides comme les méthodes d'avortements des femmes de l'époque) le film est vraiment fidèle au roman et très agréable à suivre. Rarement film en costume aura été aussi flamboyant visuellement, les décors sont aussi monumentaux que luxueux, lles costumes magnifiques et le technicolor étincèle avec la photo absolument prodigieuse de Leon Shamroy.
Le récit tend bien plus vers le pur romanesque que le livre et les différences subtiles concernent essentiellement la nature du personnage de Ambre. Linda Darnell (teinte en rousse) aussi belle en haillons de paysanne qu'en atours de comtesse exprime parfaitement la nature passionnée de Ambre, prête à tout sacrifier à chaque réapparition de Lord Carlton et dont la volonté de s'élever est autant dû à une ambition démesurée qu'à un besoin d'être estimée comme son égal afin d'être sa compagne.
Hormis ses réserves Preminger délivre une oeuvre puissantes aux tableaux saisissant : les coupes gorges que constituent les bas fond londonien de l'époque et ses prisons sordides, la cour aux moeurs dissolues de Charles II (Excellent George Sanders même si un peu en retrait. Le couple Cornell Wilde/ Linda Darnell a une vraie dimension tragique et passionnée à la Rhett Butler/Scarlett O'Hara où un obstacle viendra toujours entraver leur bonheur. L'alchimie entre les deux est palpable et culmine lors de l'apocalyptique séquence de l'épidémie de peste (pour le coup pas du tout édulcorée) où Ambre maintien en vie Carlton contaminé par la seule force de son amour.
Donc hormis les chipotages d'un fan du roman c'est très prenant et réussi, il n'y a que la conclusion (alors que la fin ouverte du roman était assez géniale) qui déçoive réellement, trop expédiée alors qu'on était en droit d'attendre un final en apothéose flamboyant et exacerbé de sentiments.
Sorti en dvd zone 2 français chez Sidonis. Quant aux curieux qui veulent découvrir le roman il est édité aux édition Points en 2 tomes ou alors en un seul volume chez Phebus.