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mardi 8 août 2017

Cirque en révolte - Man on a Tightrope, Elia Kazan (1953)


Tchécoslovaquie 1952. Le cirque Cernik n'est plus libre de ses déplacements depuis que les communistes ont pris le pouvoir. Le directeur Karel Cernik doit s'expliquer auprès du bureau politique. Il n'est pas arrêté, mais il doit modifier certains aspects du programme qui ne plaisent pas au parti. En fait, le but de la troupe est de se diriger vers la frontière allemande et de passer en zone libre. Il apparaît alors qu'un espion, qui renseigne les autorités, se trouve dans le cirque.

Cirque en révolte s’inscrit au centre d’une trilogie politique pour Elia Kazan, débutée avec Viva Zapata ! (1952) et conclue avec le célèbre Sur les quais (1954). Chacun de ces films reflète le rapport ambigu et conflictuel qu’entretient Kazan l’homme de gauche avec le parti communiste et explique certaines de ses actions les plus discutables. Les convictions de gauche du réalisateur s’opposent ainsi à la nature totalitaire que ne manque pas de toujours représenter le parti communiste à ses yeux. Dans Viva Zapata !, le révolutionnaire en accédant au pouvoir comprend qu’il cède au même autoritarisme que ceux qu’il a renversé et Sur les quais justifie presque la dénonciation controversée de Kazan avec son héros s’aliénant ses amis en dénonçant la corruption des syndicats de dockers.  

Cirque en révolte, adapté du roman éponyme de Neil Paterson (qui s’inspirait lui-même de la vraie évasion du cirque Brumbach en 1950), part d’une même réflexion et trouve sa source dans une expérience personnelle marquante d’Elia Kazan. Membre du parti communiste depuis 18 mois au milieu des années 30, il est convoqué par le bureau politique afin d’espionner ses partenaires du Group Theatre (troupe où il fit ses premiers pas d’acteur puis de metteur en scène) et les inciter à produire des œuvres de propagande. Kazan refuse et quitte le parti dans la foulée, et ce refus de l’intrusion brutale de la politique dans l’art imprègne complètement Cirque en révolte.

Karel Cernik (Fredrich March) est donc un patron de cirque entravé depuis que les communistes ont pris le pouvoir en Tchécoslovaquie. Une scène dénonce ainsi l’absurdité du dogme où tout doit être politique quand Cernik est convoqué pour modifier la teneur d’un numéro de clown. Il aura beau expliquer aux agents du bureau politique que les changements exigés enlèvent la nature première du spectacle, faire rire le public, au service de l’idéologie, ces derniers n’en ont cure. Cet instant comique révèle pourtant l’atmosphère de suspicion et paranoïa que suscite le régime, tant chez les oppresseurs que les oppressés d’ailleurs puisque la fuite finale sera facilitée par l’arrestation inopinée du plus farouche agent incarné par Adolphe Manjou - avec une tirade d’une belle ironie de ce dernier. Elia Kazan capture à merveille l’atmosphère en vase-clos de ce monde du cirque, à l’opposé de luxuriance de Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. DeMille sorti l’année précédente. 

Ici c’est plutôt le quotidien monotone, les voyages laborieux, le matériel défectueux et les conflits sous-jacents qui rythment la troupe hors de l’exaltation pure de la performance scénique. Le scénario évite le côté trop soap opera (les rapports conjugaux tumultueux entre Cernik et son épouse adultère jouée par Gloria Grahame) en liant toujours la quête des personnages à ce contexte politique. L’audacieuse évasion envisagée par Cernik est ainsi l’occasion pour lui de redorer son blason auprès de son épouse et sa troupe pour lesquels il apparaît ramolli depuis que le régime a repris son spectacle en main. C’est aussi une manière habile de croiser ces enjeux intimes avec un passé douloureux, Tereza (Terry Moore) la fille de Cernik tombant amoureuse de Vosdek dont la famille a connu les horreurs du nazisme.

Formellement on sent les bienfaits de l’expérience du grand spectacle de Viva Zapata ! dans la mise en scène de Kazan. Même si sa réalisation était loin d’être figée dans Un tramway nommé Désir (1951) et qu’il arpentait déjà l’urbanité dans Panique dans la rue (1950), on ressentait encore l’influence théâtrale dans les décors studios et environnement clos de films comme Le Lys de Brooklyn (1945) et L'Héritage de la chair (1949). Ici il dompte enfin les grands espaces dans une volonté de suspense, de compréhension topographique pour le spectateur - essentielle dans un film d’évasion réussi – mais aussi d’action avec un morceau de bravoure final haletant. 

Le climax célèbre d’ailleurs ce pouvoir du divertissement, la troupe de cirque dupant longuement les gardes de frontières et fuyant ouvertement sous leurs yeux grâce à la magie de leurs numéros qui ramènent les geôliers en enfance. Le film restera longtemps inédit en France à cause de son message ouvertement anti-communiste (et impossible à bidouiller par la vf comme Le Port de la drogue (1953) de Samuel Fuller) alors que le parti a encore à l’époque une assise électorale forte. C’est donc l’occasion de découvrir une des belles réussites méconnues de Kazan.

Sorti en dvd zone 2 français chez ESC

 

2 commentaires:

  1. Merci par votre chronique de m'avoir fait découvrir cette rareté qui évoque la vie de cirque de naguère.

    J'ai par ailleurs eu le plaisir de voir hier un excellent thriller (dans la veine de Usual Suspects,des 9 reines ou de House of games).
    Contratiempo (contretemps) est le titre original, le titre us the invisible guest et le titre français l'accusé... Ce film est scandaleusement sorti directement en DVD.
    Ce film est éblouissant de maîtrise et d'inventivité.jusqu'à la fin où, en fait, on apprend qu'en fait la vérité c'est que... Sérieusement, le final est très réussi.
    Un grand moment de cinéma que j'espère vous aurez l'occasion de chroniquer un jour.
    Amicalement.

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    1. Merci du conseil je note, en plus je vois que c'est un thriller espagnol qui nous proposent d'excellents polars ces dernières années !

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