Pages

dimanche 6 janvier 2019

Accusé, levez-vous - Life for Ruth, Basil Dearden (1962)

Alors que Ruth, sa fille de 8 ans, est à l’hôpital entre la vie et la mort, son père John (Michael Craig) refuse qu’elle soit transfusée par conviction religieuse de témoin de Jéhovah. Malgré l’insistance du docteur James Brown (Patrick McGoohan), il s’obstine ne voulant pas compromettre sa vie éternelle. Après la mort de Ruth, le docteur Brown décide porter plainte contre le père pour homicide.

Life for Ruth s'inscrit dans la série de films engagés que signe Basil Dearden au sein de la maison de production fondée avec son partenaire Michael Relph. Il s'agit à chaque fois de sujet sociaux audacieux questionnant la société anglaise d'alors tel que le racisme dans Sapphire (1959), la délinquance avec Violent Playground (1958) ou encore l'homosexualité avec Victim (1962). Il s'attaque à la question religieuse dans Life for Ruth adapté de la pièce éponyme de Jane Green qui en signe également le script (tout comme sur les précédents films évoqués).

Suite à un incident en mer, la petite Ruth a besoin d'une transfusion pour survivre à ses blessures. Son père John (Michael Craig) va s'y opposer car sa religion de témoin de Jéhovah (jamais nommée mais l'interdit est bien connu) s'oppose à cette pratique. La mère Pat (Jane Munro) aura beau contredire son mari et autoriser la transfusion à son insu, il est trop tard et la fillette va mourir. Révolté par le drame, le docteur Brown (Patrick McGoohan) décide de porter l'affaire en justice et va entraîner un vrai déchaînement médiatique.

La première partie nouant le drame est pratiquement filmée comme un thriller par Dearden. L'urgence du besoin de soin de Ruth s'observe ainsi en parallèle de l'incompréhension du refus de John. La photo d'Otto Heller donne un tour oppressant à la tragédie en marche et Dearden par ses cadrages saisit la stupeur du médecin comme celle du spectateur face à la décision du père. Le choc est d'autant plus grand que l'introduction nous aura présenté cette famille comme normale et chaleureuse, ne laissant pas présupposer la folie à venir. C'est là la force du film qui tout en ayant le parti pris de la vie plutôt que du dogme, capture et fait comprendre la logique du père. Le suivi de la règle religieuse anticipe l'accès à la vie éternelle ou alors une intervention divine permettra la survie sans la souillure d'une transfusion. Le script ne fait pourtant pas du personnage un fou de dieu mortifère, la scène de noyade le voyant même aller sauver un camarade de Ruth avant sa propre fille car il était plus en danger. La complexité de l'expression de la foi passe ainsi par des dialogues subtils où est questionné le degré que chacun accorde au suivi des écritures dans le cadre du monde contemporain.

La prestation de Michael Craig est impressionnante, habitée et chargée d'espoir alors qu'il commet l'irréparable et rongée par le doute quand il se produit. L'existence du couple et ses bases sont remis en question et Dearden les oppose par le drame tout en les rapprochant face au regard inquisiteur du monde qui les entoure. Dearden laisse s'exprimer tous les points de vue et observe avec empathie la détresse de chacun, tout en les confrontant à leur contradiction. L'hôpital plié aux règles administratives plutôt qu'à la vie du patient s'avère ainsi aussi coupable que le père dans son aveuglement religieux.

Le jeu intense de Patrick McGoohan fait bien passer cette colère et impuissance qui culmine dans la scène de procès finale. Les mots et la simplicité révoltante des faits sont martelés avec une force qui ébranle Michael Craig, les plongées sur la salle d'audience adoptant presque un regard "divin" tandis que les contre-plongées sur Craig la barre le toise en appuyant sa culpabilité. Une belle réussite à nouveau pour Dearden, assumant brillamment son sujet difficile.

Sorti en dvd zone 2 anglais chez Network sans sous-titres 

2 commentaires:

  1. Bonjour et bonne et heureuse année tout d'abord. Merci pour cette chronique qui me renforce dans la conviction que Basil Dearden est un metteur en scène important et trop méconnu chez nous.Viennent heureusement de sortir en france en dvd Pool of London et Police sans armes. J'ai acheté The Victim mais pas encore vu. Merci pour vos chroniques sur le cinéma britannique dont je suis fan.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup et très bonne année à vous aussi. Sinon oui petit à petit on voit quand même quelques titres émerger en France Pool of London et The Blue Lamp c'était asse inespéré. Victim est vraiment très bon et risqué, ça devait vous plaire je pense.

      Supprimer