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mardi 17 septembre 2019

Evening Primrose - Yoi-machi-gusa, Tatsumi Kumashiro (1974)


Le cinéma de Tatsumi Kumashiro s’est constamment placé sous le signe de l’insoumission. Le registre contraignant des Roman Porno de la Nikkatsu va paradoxalement lui apporter la liberté qu’une première carrière plus traditionnelle ne lui avait pas autorisée. Plaçant les trois ou quatre scènes érotiques de rigueur du genre, Kumashiro célèbre ainsi une insoumission souvent placée sous le signe de la jeunesse et du féminisme dans des œuvres comme Sayuri, strip-teaseuse (1972), Les Amants mouillés (1973) ou encore La Femme aux cheveux rouges (1979). Evening Primrose creuse le même sillon libertaire, à cheval entre esthétique expérimentale, érotisme trouble et une vraie dimension politique par sa nature de film historique.

Le film a pour cadre le Japon de l’ère Taisho (1912-1926), période trouble qui voit le pays agité entre élans nationalistes et militaristes contrebalancés par une montée des mouvements anarchistes, tandis que paradoxalement les arts et les mœurs s’ouvrent à des penchants plus hédonistes. Toutes ces contradictions se bousculent à travers le trio de héros du film, enfermés chacun à leur manière dans une idéologie, un milieu social ou encore des désirs refoulés. Daijiro (Yoshiro Aoki) est le meneur d’un groupe d’anarchiste que l’on voit en action lors d’une loufoque scène d’ouverture où un coup de force plus ou moins préparé contre une caserne tourne court. Cette entrée en matière ridiculise ainsi la « cause » pour bien nous signifier que la vraie liberté n’est pas là. L’acolyte Tanigawa (Kenji Takaoka) est un jeune homme impuissant qui vient également compenser cette frustration par l’adrénaline de la rébellion mais n’y trouve pas son compte non plus. Tout bascule avec la rencontre de la belle Shino (Yoko Takahashi), fille de bonne famille engoncée dans un milieu bourgeois étouffant.

 
Quel que soit leur parcours et/ou statut social, les personnages paraissent tout autant entravé, ce que Kumashiro fait passer par motifs et idées formelle immédiatement identifiables, les mantras politiques de Daijiro, les crises de Tanigawa dès qu’il approche une femme ou encore le « chaperon » se profilant dans l’ombre de Shino au moindre de ses gestes. Des rebondissements farfelus (Shino prise en otage par les anarchistes mais qui ne voudra plus les quitter) fait virer le film vers le road-movie où l’on explorera l’intime de chaque membre du trio. Chaque étape est un renoncement volontaire qui les déleste de leurs origines et qui les place en défiance de l’institution militaire (la scène de hold-up en uniforme) de droite, mais aussi l’idéologie de gauche tout aussi contraignante à sa manière (le combat entre anciens frères d’armes après la prise d’otage). 

Les élans de liberté passent symboliquement par une fuite dans les airs en ballon ou encore les scènes charnelles où l’érotisme trouble se dispute à une approche feutrée loin des excès du Roman Porno. Il s’agit en effet de capturer la passion amoureuse de Daijiro, observer la séduction et l’innocence dégagée par Shino (Yoko Takahashi déjà merveilleuse en héroïne fugueuse dans Journey into solitude (1972) en une nouvelle fois envoutante ici). L’un des aboutissements de cette odyssée sera notamment la magnifique scène où Tanigawa semble enfin suffisamment libéré pour enfin s’unir à Shino. Les chansons, qu’elle soit comptines enfantine ou hymnes politiques rythment le récit, exprimant l’hésitation entre fantaisie et rattachement au réel des personnages.

On pense à un Bande à part ou un Jules et Jim (François Truffaut se fit d’ailleurs élogieux à l’époque envers Kumashiro) par la liberté de ton de l’ensemble pour accompagner ce triangle amoureux, le tout porté par la toujours stupéfiante tenue visuelle du cinéma d’exploitation japonais des 70’s (photo superbe de Shinseku Himeda, dont le final avec Shino face à un ciel couchant, somptueux). Encore une belle réussite pour Kumashiro. 

Sorti en dvd zone 2 japonais

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