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dimanche 12 avril 2020

The Deserted City - Haishi, Nobuhiko Obayashi (1984)

On associe souvent l'univers de Nobuhiko Obayashi aux expérimentations formelles de ses films les plus fou (House (1977) en tête) ou à son talent pour capturer l'adolescence au féminin dans de brillants films fantastiques (The Little Girl Who Conquered Time (1983), I are you, You am me (1982)). Avec ce magnifique The Deserted City il se montre tout aussi capable d'émouvoir dans une veine sobre et introspective avec cette adaptation du roman Bōkyaku no kawa (« Le fleuve des souvenirs perdus ») de Takehiko Fukunaga.

Dès les premières minutes, la beauté des images est contrebalancée par le voile funeste d'une révélation. On observe le jeune héros Eguchi sortir d'une gare provinciale pour arriver au sein de la cité de fluviale de Yanagawa, surnommée la Venise japonaise. La voix-off d'Eguchi nous révèle pourtant que ce que nous voyons n'est qu'un souvenir de sa venue en ces lieux 10 ans plus tôt, ce long flashback étant ravivé par la terrible nouvelle de la destruction de la ville dans un incendie. Ainsi les premiers pas d'Eguchi sont marqués de cette fatalité par le travail chromatique d'Obayashi qui fait de Yanagawa une ville fantôme dans des compositions de plan où le noir et blanc vient strier des décors en couleurs et inversement - dans un vrai travail de peintre mais aussi d'artiste plastique dans le travail sur les collages et les caches. Un sentiment chaleureux de vie voit ainsi comme des spectres blafards venir le troubler, ou à l'inverse la désolation d'une ruelle est ravivée par le passage d'Eguchi souriant qui amène la couleur avec lui. Venu s'isoler pour finir sa thèse, notre héros va loger dans une auberge traditionnelle où il est accueilli par la jeune Yasuko (Satomi Kobayashi) qui tient les lieux. Le mélange de pulsion morbide et de vie éclatante s'exprime aussi dans ce cadre, le sourire et l'allant de Yasuko étant contrebalancé par le vide de l'auberge dont Eguchi est le seul client, mais aussi le poids d'un passé dont on ne peut se défaire. La rencontre et la cérémonie de thé avec la grand-mère montre cette dernière sénile, confondant les personnes et les époques.

Cette dichotomie se fait plus subtile ensuite, adoptant le regard émerveillé d'Eguchi sur Yanagawa que le réalisateur baigne d'une radieuse imagerie pastorale. Nous sommes comme dans un rêve éveillé lors d’une longue séquence de ballade en barque à la lenteur hypnotique, où l'imagerie se fait élégiaque pour magnifier cet espace d'eau et d'arbre tout en façonnant un écrin intime entre Yasuko et Eguchi au sein de l'embarcation. Il faut pourtant se souvenir que dans House, certes avec plus d'artifices, Obayashi débutait dans le shojo acidulé et insouciant avant de faire basculer le tout dans le cauchemar. Le même changement opère ici mais de façon plus retenue et feutrée. Alors qu'Eguchi s'extasie sur ce qu'il voit et dit qu'il rêverait de réellement vivre là, Yasuko le rappelle à l'ordre. Ce qui le charme, c'est justement ce qui tue à petit feu la ville et ces habitants. Ce clapotis incessant de l'eau du fleuve signifie aussi la monotonie de leur existence, que l'on refuse en partant et laissant le village dépérir, ou que l'on accepte en étant condamné avec lui. Le temps de ce dialogue les personnages se trouve d'ailleurs dans la pénombre d'un sous-bois face au fleuve, et la musique envoûtante d'Obayashi (qui a décidément tous les talents) s'estompe pour laisser les bruits de cette campagne envahir la bande-son. Le charme s'évapore pour laisser place à un sentiment plus inquiétant et mélancolique.

Cette sensation reste diffuse mais Obayashi a semé les graines qui la rendront plus concrète, que ce soit les pleurs qu'entend Eguchi à l'extérieur lors de sa première nuit, ou l'insaisissable Ikuyo (Toshie Negishi) sœur effacée et torturée de Yazuko dont l'évocation ou les furtives apparitions distille un malaise certain. On pense vraiment souvent à un House à l'échelle d'une ville et sans l'excentricité ni la présence maléfique concrète. Le village de Yanagawa agit pourtant comme la demeure hanté du film de 1977, exacerbant et figeant les traits de caractères de ses habitants non par un sortilège, mais par une torpeur qui les empêche de se rebeller, d'empêcher la fatalité dans la tournure de leur relation réciproque. Eguchi est spectateur du phénomène à travers les non-dits tragiques entre Yazuko, Ikuyo et son époux Naoyuki (Tôru Minegishi), mais également victime en enfouissant en lui ses sentiments naissant pour Yazuko. Les vérités ne se devinent ou n'éclatent que dans cet élan de pulsion de mort lors des deux cérémonies mortuaires en début et fin de film.

Les élans amoureux sont donc comme engourdis dans ce malaise ambiant, mais se ressentent par des images furtives comme ce magnifique plan (photo somptueuse de Yoshitaka Sakamoto) capturant la lumière d'une fin d'après-midi estivale où Eguchi réconforte Yazuko. Obayashi place d'ailleurs judicieusement ce plan à la fin en flashback et pas au moment du déroulement de la scène, comme si la prise de conscience de ce sentiment ne pouvait toujous se faire qu'à rebours - le leitmotiv de la montre en retard renforce cet aspect. L'élément révélateur est le plus omniprésent mais paradoxalement aussi le plus discret et silencieux du récit, avec le conducteur de barque Saburoh (l'acteur fétiche Toshinori Omi) qui d'une rive à l'autre observe les dilemmes et déchirements de chacun, devine leurs pensées secrètes (l'échange final à la gare avec Eguchi). Le gothique et survolté House montrait la jeunesse surmonter l'emprise d'un environnement et le poids du passé (celui de la guerre qui hante l'œuvre d'Obayashi), le pourtant paisible The Deserted City l'incapacité à y échapper, concrètement (pour les habitants) ou en pensée pour Eguchi qui restera hanté par cette été tragique, par cette Ville Morte comme l'exprime en français le titre original.

Sorti en bluray japonais

 

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