Pages

mercredi 9 septembre 2020

Je veux juste en finir - I'm Thinking of Ending Things, Charlie Kaufman (2020)


Jake emmène sa petite amie avec lui pour la présenter à ses parents qui vivent dans une ferme reculée. Mais après un détour surprise au cours duquel Jake abandonne son amie, la tension et la fragilité psychologique vont se mêler à la terreur pure.

Charlie Kaufman s’est tout d’abord imposé au cinéma grâce à des scripts conceptuels farfelus dont les idées transcendées par des réalisateurs à l’univers visuel forts comme Spike Jonze ou Michel Gondry. Sous l’inventivité ludique, on distinguait cependant ces thèmes de la solitude et du mal-être typique de Kaufman associés au dépit amoureux dans Eternal sunshine of spotless mind (2004) ou aux tourments de la création dans Adaptation (2005). Une fois passé à la réalisation, Kaufman accentue cette approche dans Synecdoche, New York (2008) et dans le poignant Anomalisa (2015). Dans I'm Thinking of Ending Things, Kaufman poursuit l’idée de dédale narratif et mental de la plupart de ses films mais à travers l’approche sensible et à vif de Anomalisa.

Alors que la narration est encore linéaire, le présent insupportable et la volonté de fuite en avant est manifeste. Les pensées morbides de la petite amie (Jessie Buckley) déteignent sur Jake (Jesse Plemons) qui a le sentiment de l’entendre. Le regard de la jeune femme se perd vers l’extérieur opaque et enneigé, signe d’un horizon personnel et commun sans but. Le découpage de leur conversation détone avec les échanges banals pour traduire le fossé qui les sépare, les divagations mentales nihilistes de la fiancée jurant avec le ton enjoué de Jake. Les plans extérieurs autour des vitres de la voiture trahissent volontairement le studio et finalement l’illusion d’un chemin à deux pour le couple, pour imposer un sentiment de surplace pathétique. Ce sentiment culmine lorsqu’elle déclame un poème dépressif à souhait qui pose définitivement une chape de plomb sur le récit.

Cette perte de repères typique de Charlie Kaufman s’accentue avec la rencontre des beaux-parents. La prison psychique de la maison se ressent par le cadrage étouffant, les lents travellings qui rétrécissent les pièces et isolent les personnages. La question du point de vue se pose alors. La nature gâteuse et pathétique des parents de Jake semblent est reflet de la perspective sans but tristement palliative du couple selon ce qu’a laissée entrevoir la petite amie. Cependant les traumatismes plus spécifiquement associés au lieu (la peur du sous-sol), à la honte de présenter ses parents ou encore les bascules temporelles qui les vieillissent ou rajeunissent, tout cela relève plutôt du regard de Jake. Finalement les indices contradictoires (la photo de la fiancée enfant, le poème retrouvé dans l’ancienne chambre de Jake) perpétuent le doute, et plutôt qu’une réponse ce qui importe ici est l’errance désespérée à laquelle nous invite Kaufman.

Cette idée du présent stagnant et du futur sans but s’accentue dans le retour en voiture où, tout en reprenant le dispositif de début Kaufman, le radicalise. L’hypocrisie du bonheur s’estompe dans une discussion tendue, les visages des personnages disparaissent sous la neige et la buée derrière les vitres et la nuit noire les enveloppe dans leur désespoir. Le passé traumatique se devine dans le pèlerinage morbide de Jake sur les lieux de son adolescence, les rencontres moqueuses (le snack à glace) et les espaces aliénant (le lycée) constituant illustrant les maux passés dont on veut se détacher mais dans lesquels on ne peut s’empêcher de s’enfoncer, encore et toujours. C’est bien là le propre de la dépression, la volonté d’aller mieux mais l’impossibilité mentale et physique de s’y résoudre. Le futur s’affiche quant à lui dans deux perspectives fantasmée ou relevant du cauchemar, rester prisonnier jusqu’à l’automne de la vie dans cette prison du lycée ou y revenir triomphant et heureux.

Dans les deux cas l’impossibilité à se détacher de cette expérience trahit une nouvelle fois les abimes du mal-être. Reste cet aparté de comédie musicale, véritable bulle suspendue o tout se rejoue dans une inspiration proche des Chaussons Rouges de Powell/Pressburger où là aussi l’espace dansé est un prolongement des questionnements intimes. Perte de pied hallucinée pouvant être interprétée comme schizophrène ou alors réellement collective, I'm Thinking of Ending Things est en tout cas un instantané de crise d’angoisse filmée. Pas facile d’accès mais très intéressant, un jalon de plus dans l’univers du très torturé Charlie Kaufman. 

Disponible sur Netflix 

1 commentaire:

  1. Casuellement, je viens de revoir, il y a quelques jours, "Being John Malkovich", le chef d'oeuvre que Kaufman a écrit au début de sa carrière comme scènariste.

    À plus tard!
    Juan

    RépondreSupprimer