Jake emmène sa petite
amie avec lui pour la présenter à ses parents qui vivent dans une ferme
reculée. Mais après un détour surprise au cours duquel Jake abandonne son amie,
la tension et la fragilité psychologique vont se mêler à la terreur pure.
Charlie Kaufman s’est tout d’abord imposé au cinéma grâce à
des scripts conceptuels farfelus dont les idées transcendées par des
réalisateurs à l’univers visuel forts comme Spike Jonze ou Michel Gondry. Sous
l’inventivité ludique, on distinguait cependant ces thèmes de la solitude et du
mal-être typique de Kaufman associés au dépit amoureux dans Eternal sunshine of spotless mind (2004)
ou aux tourments de la création dans Adaptation
(2005). Une fois passé à la réalisation, Kaufman accentue cette approche dans Synecdoche, New York (2008) et dans le
poignant Anomalisa (2015). Dans I'm Thinking of Ending Things, Kaufman
poursuit l’idée de dédale narratif et mental de la plupart de ses films mais à
travers l’approche sensible et à vif de Anomalisa.
Alors que la narration est encore linéaire, le présent insupportable
et la volonté de fuite en avant est manifeste. Les pensées morbides de la
petite amie (Jessie Buckley) déteignent sur Jake (Jesse Plemons) qui a le
sentiment de l’entendre. Le regard de la jeune femme se perd vers l’extérieur
opaque et enneigé, signe d’un horizon personnel et commun sans but. Le
découpage de leur conversation détone avec les échanges banals pour traduire le
fossé qui les sépare, les divagations mentales nihilistes de la fiancée jurant
avec le ton enjoué de Jake. Les plans extérieurs autour des vitres de la
voiture trahissent volontairement le studio et finalement l’illusion d’un
chemin à deux pour le couple, pour imposer un sentiment de surplace pathétique.
Ce sentiment culmine lorsqu’elle déclame un poème dépressif à souhait qui pose
définitivement une chape de plomb sur le récit.
Cette perte de repères typique de Charlie Kaufman s’accentue
avec la rencontre des beaux-parents. La prison psychique de la maison se
ressent par le cadrage étouffant, les lents travellings qui rétrécissent les
pièces et isolent les personnages. La question du point de vue se pose alors.
La nature gâteuse et pathétique des parents de Jake semblent est reflet de la
perspective sans but tristement palliative du couple selon ce qu’a laissée
entrevoir la petite amie. Cependant les traumatismes plus spécifiquement
associés au lieu (la peur du sous-sol), à la honte de présenter ses parents ou
encore les bascules temporelles qui les vieillissent ou rajeunissent, tout cela
relève plutôt du regard de Jake. Finalement les indices contradictoires (la
photo de la fiancée enfant, le poème retrouvé dans l’ancienne chambre de Jake)
perpétuent le doute, et plutôt qu’une réponse ce qui importe ici est l’errance
désespérée à laquelle nous invite Kaufman.
Cette idée du présent stagnant et du futur sans but s’accentue
dans le retour en voiture où, tout en reprenant le dispositif de début Kaufman,
le radicalise. L’hypocrisie du bonheur s’estompe dans une discussion tendue, les
visages des personnages disparaissent sous la neige et la buée derrière les
vitres et la nuit noire les enveloppe dans leur désespoir. Le passé traumatique
se devine dans le pèlerinage morbide de Jake sur les lieux de son adolescence,
les rencontres moqueuses (le snack à glace) et les espaces aliénant (le lycée)
constituant illustrant les maux passés dont on veut se détacher mais dans
lesquels on ne peut s’empêcher de s’enfoncer, encore et toujours. C’est bien là
le propre de la dépression, la volonté d’aller mieux mais l’impossibilité
mentale et physique de s’y résoudre. Le futur s’affiche quant à lui dans deux
perspectives fantasmée ou relevant du cauchemar, rester prisonnier jusqu’à l’automne
de la vie dans cette prison du lycée ou y revenir triomphant et heureux.
Dans
les deux cas l’impossibilité à se détacher de cette expérience trahit une
nouvelle fois les abimes du mal-être. Reste cet aparté de comédie musicale,
véritable bulle suspendue o tout se rejoue dans une inspiration proche des Chaussons Rouges de Powell/Pressburger
où là aussi l’espace dansé est un prolongement des questionnements intimes.
Perte de pied hallucinée pouvant être interprétée comme schizophrène ou alors
réellement collective, I'm Thinking of
Ending Things est en tout cas un instantané de crise d’angoisse filmée. Pas
facile d’accès mais très intéressant, un jalon de plus dans l’univers du très
torturé Charlie Kaufman.
Disponible sur Netflix
Casuellement, je viens de revoir, il y a quelques jours, "Being John Malkovich", le chef d'oeuvre que Kaufman a écrit au début de sa carrière comme scènariste.
RépondreSupprimerÀ plus tard!
Juan