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vendredi 26 mars 2021

Voleur, voleuse - Ladro lui, ladra lei, Luigi Zampa (1958)


 À Rome, Cencio (Alberto Sordi) est un voleur qui fait des allers-retours incessants entre la prison et la liberté. Il fait la connaissance de Cesira (Sylva Koscina) qu'il entraîne dans la délinquance et fait la partenaire de ses méfaits.

Ladro lui, ladra lei est une nouvelle plaisante collaboration entre Luigi Zampa et Alberto Sordi. On n’y trouve pas l’ambition de L’Art de se débrouiller (1954) où la satire féroce de L’Agent (1960) et Il medico della mutua (1968), ni même le portrait en creux et angoissé d’un Alberto Sordi instable. L’acteur est plutôt ici le catalyseur de la vraie héroïne qu’est Cesira (Sylva Koscina) dont il va orienter le parcours initiatique et moral. Cesira est une jeune femme séduisante mais complexée par son milieu modeste. Un élément brillamment exprimé dans la scène d’ouverture où au réveil, elle observe de sa fenêtre les train wagon-lit partant pour Venise, son rêve étant d’être assez riche pour s’offrir ce genre de « grand voyage ». 

En attendant elle vivote en tant que vendeuse mais ne peut guère conserver longtemps ses postes, victimes de patrons aux mains baladeuses attirées par ses formes. Ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’elle est l’objet d’une sorte de pari machiste entre les patrons cherchant à avoir ses faveurs et se gargarisant de leurs échecs. Raimondi (Ettore Manni) son nouveau patron aux volontés plus nobles va un temps se laisser pousser à la même attitude cavalière, mais repoussé par Cesira il tentera de s’amender en l’aidant à lancer sa propre affaire. La jeune femme désormais méfiante va alors tenter de se prémunir en cédant à une autre tentation, celle de la malhonnêteté exprimée par son voisin et ami d’enfance Cencio (Alberto Sordi) habitué des allers-retours en prison. 

Alberto Sordi n’a pas la dimension veule appuyée de certain de ses plus fameux rôles, il incarne ici plutôt une joyeuse canaille qui ne connaît que l’arnaque et la duperie pour subsister. On s’amuse du pédigrée criminel de sa famille qu’il revendique à travers des dialogues hilarants (le fait d’occuper la même cellule que celle de son père jadis en prison) et la placidité de l’habitude de sa mère anticipant déjà sa prochaine arrestation. Plus qu’une intrigue linéaire, le film est surtout une suite de morceaux de bravoures à travers plusieurs arnaques où Censio tente d’entraîner une Cesira qui se prend dangereusement au jeu. 

Et on savoure donc un festival de situations où Censio se grime tour à tour en policier, prêtre, agent du fisc ou joue les maîtres-chanteurs à la fois pour venger Cesira de ses anciens tourmenteurs (l’entrepreneur italien m’as-tu-vu et un peu escroc sur les bords en prend pour son grade) mais aussi et surtout pour son enrichissement personnel. Alberto Sordi nous offre un grand numéro dont il a le secret, dans un seul objectif comique, sans explorer les fêlures de certains de ses grands rôles. C’est donc l’audace des situations et le sens de l’exagération dans la gestuelle, l’intonation de la voix, la pétillance du regard pour tromper ses interlocuteurs qui prime pour notre plus grand plaisir. Parmi les sommets, on pense à la scène où déguisé en adjudant il amène une victime dans la prison même où il passe la plupart de ses séjours et doit se dissimuler des camarades détenus qui le reconnaissent. 

Sous le rire, Luigi Zampa (également coscénariste) offre une fable sociale intéressante sur le déterminisme social. Censio représente le cercle vicieux qui nous amène à répéter les travers de notre milieu, Cesira est à la fois la volonté d’honnêtement s’en extraire mais aussi la tentation du raccourci douteux pour y parvenir, tandis que Raimondi reproduit malgré lui le machisme que l’on attend d’un homme et la potentielle fourberie du bourgeois homme d’affaire (lorsqu’il cherchera à faire sortir de l’argent du pays). Sous le comique Censio représente la stagnation sociale et l’impossibilité de changer quand Cesira et Raimondi par leur romance naissante se nourrissent l’un l’autre et pourront prendre un nouveau départ loin des carcans sociaux et moraux de leur milieu. Zampa amène la tentation de l’apparat par la surcharge du cadre, des personnages, de l’outrance des réactions et laisse s’immiscer la sincérité des sentiments par le dépouillement. 

Ainsi l’aboutissement chic de Cesira sera lorsqu’elle sera vue de loin par sa famille et son voisinage dans le train-wagon dont elle a enfin pu s’offrir un billet. Raimondi lui s’épanouit avec ses amis dans les temples de machisme que sont les stades de football, où de consumérisme comme les restaurants. Lorsque le couple se rapprochera, ce sera sur une plage déserte, dans une forme d’épure formelle et à travers une conversation à cœur ouvert. Une belle réussite qui donne autant à rire qu’à réfléchir par son propos social plus subtil qu’il n’y paraît. 

Disponible sur Amazon Prime

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