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dimanche 13 juin 2021

Laura Antonelli n’existe plus - Philippe Brunel

A la suite du coup de fil énigmatique d’un producteur, le narrateur embarque pour Rome investi d’une obscure mission  : retrouver Laura Antonelli, l’actrice oubliée dont Visconti disait qu’elle fut «  la plus belle femme du monde  ». Il erre dans une Rome caniculaire, traversant les décors mythiques qu’on connaît, à la rencontre des témoins de sa vie tragique. Il épluche les vieux tabloïds et les interviews pour tenter de raconter, sans la trahir, cette femme insaisissable.

Laura Antonelli incarne l’un des destins les plus tragiques du cinéma italien. Auréolé du titre mérité de « plus belle femme du monde » dans les années 70, elle connaît durant cette décennie une ascension fulgurante. Après avoir triomphé au box-office dans des comédies polissonnes mettant sa plastique en valeur, elle démontre peu à peu ses talents dramatiques et collabore avec les plus grands réalisateurs italiens d’alors : Luigi Comencini, Dino Risi, Ettore Scola, Mauro Bolognini ou encore Luchino Visconti. En coulisse, elle sera en couple avec Jean-Paul Belmondo pendant 8 ans. Une terrible déchéance l’attend pourtant, tout d’abord lorsqu’en 1991 elle est arrêtée pour possession de cocaïne et jetée en pâture aux médias dans une instruction à charge.  Pressée par les producteurs de Malizia 2000, suite tardive de son premier grand succès Malizia (1973), elle accepte de se faire faire des injections de collagène pour maintenir l’aura juvénile du précédent film. Elle en fera une réaction allergique qui va la défigurer. Ruinée, traquée par la presse à scandales et escroquée par des « amis » peu scrupuleux, elle va se retirer du monde pour vivre dans le dénuement le plus complet 25 ans durant. Elle disparait dans l’anonymat et la solitude en 2015, les dernières images vues d’elles nous la montrant méconnaissable, hagarde et en surpoids. Elle se fermait aux derniers amis qui cherchaient à lui venir en aide en leur disant un définitif « Laura Antonelli n’existe plus ». 

Entre les visions du temps de sa splendeur et cette sinistre fin, Laura Antonelli sera cependant restée un vrai mystère dont Philippe Brunel va donner son interprétation dans ce captivant ouvrage entre fiction et biographie. L’auteur brode un prétexte pour inciter son personnage principal à marcher sur les traces de Laura Antonelli et dénouer les fils de sa triste destinée en tentant de percer le fameux mystère de sa nature profonde. Philippe Brunel entremêle souvenirs personnels (ce camarade de classe disparu qui était fan de l’actrice qui intervient dans le récit) et évocation de Laura Antonelli, à travers les rencontres et révélations de proches dont elle s’est détachée et qui en révèlent des pans inattendus. Tout cela se fait dans la traversée d’une Rome bercée du souvenir de la grandeur du cinéma italien, où la traversée de différents espaces éveillent le souvenir d’images mythiques. 

Le livre avance au fil des réflexions du narrateur et de son obsession pour Laura Antonelli, alimentée des éléments factuels et médiatiques la concernant, et que chaque rencontre va auréoler d’un regard nouveau. Son enfance instable avec la fuite de sa famille de leur Istrie natale la marque durablement, notamment la communication difficile avec un père taciturne et amputé d’un bras (laissant supposer des accointances politiques douteuses qui explique la fuite du pays). Laura Antonaz devient Laura Antonelli et après un premier métier de professeur de sport, elle va gravir les échelons en posant pour des couvertures de magazines, faisant de la figuration et obtenant des petits rôles jusqu’au triomphe de Malizia. L’aura sensuelle de ce film ne la quittera plus et sera autant une bénédiction qu’une malédiction. Philippe Brunel s’attarde plus sur cette image qu’elle dégage que sur les films en eux-mêmes où, au-delà de sa plastique affolante elle amène un mélange de dérision, de tragédie et de distance pour des classiques comme Ma femme est un violon de Pasquale Festa Campanile (1971), Sexe fou de Dino Risi (1973) ou L’innocent de Luchino Visconti (1976). Brunel interprète ce charme vénéneux comme source de ses triomphes mais future cause de ses problèmes (ironiquement annoncés dans le titre de certains de ses films comme Mon dieu comment suis-je tombé si bas ? de Luigi Comencini (1974) ou Péché véniel de Salvatore Sampari (1974)) lorsque la liberté de mœurs de ses personnages sera l’axe sur lequel s’appuiera la justice et l’opinion publique quand elle sera mise en accusation.

C’est la toute l’ironie d’une Italie acceptant les écarts à l’écran quand ils sont dictés par et pour les hommes (avant le succès les auditions et demandes dégradantes de producteurs seront légion pour Laura Antonelli) mais qui les punit en retrouvant son catholicisme inquisiteur quand ils sont librement exécutés dans la vie par une femme. Assez ironiquement l’auteur met en parallèle l’arrestation « scandaleuse » et l’incarcération de l’actrice pour possession de cocaïne quand le lendemain et pour la même raison Diego Maradona est immédiatement relâché par les autorités argentines à Buenos Aires. Brunel imagine que Laura Antonelli, éduquée dans une stricte foi religieuse qu’elle défia par sa carrière, vit dans ces malheurs comme une punition divine à ses dérapages. Ni la société italienne (quelques captivants passages laissent supposer que son arrestation fut un coup monté « pour l’exemple ») ni le ciel ne semblait lui pardonner sa liberté et en expiation elle vivra en recluse pieuse et à la santé mentale vacillante pour le restant de sa vie. 

Le mystère Laura Antonelli reste cependant entier car cette mélancolie, cet attrait pour l’autodestruction existait en creux même au temps de sa splendeur et les malheurs les activent de manières différentes lors de sa déchéance. Le roman se conclut d’ailleurs en partie sur la réelle entrevue que Philippe Brunel réussit à avoir avec Laura Antonelli, rencontre étrange et forcément décevante face à cette femme meurtrie qui justifie le titre de l’ouvrage. C’est remarquablement écrit, captivant pour le connaisseur de la carrière et destin de l’actrice mais cela peut tout autant intéresser le néophyte qui ira forcément creuser plus loin après sa lecture. Philippe Brunel ancien journaliste à L’équipe et célébré pour son livre Vie et mort de Marco Pantani sait assurément équilibrer son style entre le mythe et l’intime dans une écriture ciselée.

Disponible chez Grasset

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