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dimanche 11 juillet 2021

Benedetta - Paul Verhoeven (2021)


 Au 17ème siècle, alors que la peste se propage en Italie, la très jeune Benedetta Carlini rejoint le couvent de Pescia en Toscane. Dès son plus jeune âge, Benedetta est capable de faire des miracles et sa présence au sein de sa nouvelle communauté va changer bien des choses dans la vie des sœurs.

Vraie arlésienne de ces dernières années, Benedetta sort enfin en salle après une longue attente et voit Paul Verhoeven poursuivre sa collaboration dans un cadre de production français après Elle (2016). Le film s’inspire de faits réels du 17e siècle autour du destin de la nonne Benedetta Carlini et plus précisément la description qu’en fit Judith C. Brown dans son livre Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne parue en 1987. C’est Gerard Soeteman son scénariste emblématique qui propose le sujet à Paul Verhoeven mais finalement les deux hommes ne s’entendront pas (le script étant finalement signé David Birke) dans le ton à adopter. Soeteman est plus intéressé par la dimension politique quand Verhoeven souhaite laisser une plus large place à la sexualité, à l’ambiguïté entre pouvoir et désir. Ce sont des éléments qui font le sel des opus les plus corrosifs du réalisateur et l’attente était donc grande quant à son traitement ici. 

Dès la scène d’ouverture où Benedetta encore enfant éloigne un groupe de voleur par la seule conviction de sa piété, le ton est donné. Ce n’est pas la force de sa foi qui permet à Benedetta mais un savant équilibre entre l’illusion qu’elle en donne et la tournure avantageuse des évènements qui fait vaciller ses interlocuteurs. Il se joue là sous une forme amusée tous les futurs enjeux du film. Aux différentes strates du monde religieux, le sacerdoce est une affaire de pouvoir pour s’y immiscer (la négociation pécuniaire pour que Benedetta intègre le couvent) puis pour y imposer ses vues. Ainsi si l’abbesse Felicita (Charlotte Rampling) semble témoigner d’un certain pragmatisme dans sa foi (son explication du premier « miracle » de Benedetta (Virginie Efira) en début de film puis sa méfiance par la suite), ces équilibres instables vont prendre une tournure bien plus folle à travers la figure imprévisible de Benedetta. Presque toutes les manifestations instaurant la possibilité de la sainteté arrivent à des moments clés de sa vie et de ses aspirations au couvent. Le premier miracle où elle survit à l’écrasement d’une statue de la Vierge intervient alors qu’elle vient de s’installer enfant au couvent, se sent seule et en insécurité dans ce nouvel environnement. Le miracle permet donc de marquer sa singularité et un regard différent des autres sur elle. La sainteté possible de Benedetta lui sert à prendre la place de l’abbesse Felicita puis à vivre librement ses amours avec la jeune et désirable nouvelle venue Bartolomea (Daphné Patakia). 

Paul Verhoeven instaure des séquences crues et sanglantes aux visions de Benedetta, où la brutalité de l’Ancien Testament se mêle à la présence martyr et angélique du Christ du Nouveau Testament. L’hystérie de Benedetta naît du fait de littéralement « désirer » Jésus comme un homme, dont elle assène le nom avec passion et dont elle ne cesse de se proclamer l’épouse. La sainteté de Benedetta est un marchepied pour les ambitions d’un entourage qui n’est pas dupe, l’église représentant une façade hypocrite de moralité dont chacun s’accommode. Le doute viendra donc des actions de Benedetta dont on s’interroge si elle son déterminée par la folie, le calcul, voire les deux. Cette description au vitriol d’une société, d’une institution, et de ses contradictions, n’est pas neuve chez Paul Verhoeven et notamment dans un cadre historique avec le fabuleux La Chair et le sang (1985). Il y a cependant un effet de redite qui se fait au détriment de ce nouveau film. Verhoeven n’est jamais aussi intéressant que quand il parvient à tenir un équilibre ténu entre des émotions contradictoires dans ses films.

Le cynisme se dispute à la sincérité, le premier degré au second, la farce au pur mélodrame. Sous le pastiche totalitaire SF, même un Starship Troopers (1997) parvenait à nous impliquer au destin de ses héros pantins de sitcom. Catherine Trammell dans Basic Instinct (1991) parvient quasiment jusqu’au bout à nous faire douter si elle est une manipulatrice, une meurtrière ou une vraie amoureuse. La fange clinquante du Las Vegas de Showgirls (1995) oscille entre rêve américain dévoyé et sororité authentique. Le drame humain et (déjà) la métaphore religieuse émeut dans le vernis du capitalisme carnassier de Robocop (1987). Et enfin romance impure et sentiments contradictoires font tous le sel du monde barbare de La Chair et le sang

Benedetta n’atteint jamais cette dualité dans tous les chemins qu’il entreprend. Si les agents de Dieu sont certes tous plus corrompus les uns que les autres (savoureuse interprétation de Lambert Wilson en nonce), le film se déleste de la moindre ambiguïté ou mysticisme quant à une réelle existence divine observant les évènements. Tous les miracles et stigmates de Benedetta sont désamorcés par un élément qui exprime sa duplicité (en plus d’intervenir à des moments qui la servent comme évoqué plus haut), pour en faire une Catherine Trammell du Moyen Age. L’empathie ou le mystère autour de l’héroïne sont cependant difficiles malgré la composition habitée de Virginie Efira puisque ses intrigues ne sont pas déterminées par l’amour mais le seul désir physique. Cela aura pu être un aspect intéressant et provocateur dans le plus pur style Verhoeven avec des scènes charnelles inspirées. Malheureusement la fièvre, la furie et l’excès de Katie Tippel (1975), La Chair et la sang, Basic Instinct ou Showgirls qui plaçait le spectateur dans une position inconfortable entre excitation et dégout sont absents ici. Même un Elle plus feutré provoquait un réel malaise quand ici nous sommes dans un érotisme chichiteux où certes les actrices donnent de leur personne mais où l’on ne dépasse pas le fantasme fétichiste de voir des nonnes lesbiennes. Le corps féminin est souvent l'instrument de la soumission puis du pouvoir de la femme chez Verhoeven, en écho et revanche face à un monde corrompu. Cette soumission n'existe pas ici puisque dès le départ Benedetta est tout autant une intrigante que les autres.

Les ruptures de ton chères à Verhoeven tombent le plus souvent à plat, que ce soit par de la provocation un peu vaine (la statue de la vierge transformée en godemichet) ou des dialogues et un ton souvent trop contemporain qui nous sortent du film. Enfin esthétiquement on peut être déçu aussi par une reconstitution timorée et proprette, où la thématique passe trop timidement par l’image et les compostions de plans (hormis les visions kitsch de Benedetta mais c’est probablement voulu) malgré l’inspiration picturale et certaines réminiscences d’iconographie religieuse. Finalement un des problèmes de Benedetta est d’être un digest aseptisé de Verhoeven, loin des sommets du réalisateur ou même du film définitif sur le sujet à savoir Les Diables de Ken Russell (1971). Il faut attendre les derniers instants pour avoir un semblant d’incertitude, lorsqu’après avoir semée un tel chaos Benedetta souhaite pourtant retourner au couvent, sa seule maison dont elle a pourtant cherché à malmener les codes. Benedetta est indéniablement un film de Paul Verhoeven, mais déclinant. 

En salle

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