Wai, une jeune Hongkongaise de 15 ans, est sur
le point de suivre ses parents au Canada. Au même moment, elle rencontre
Tokio, un jeune touriste japonais en pleine confusion existentielle.
Très vite ils deviennent amis, malgré les différences de culture.
Autumn Moon est sans doute le film le plus
connu et acclamé de la réalisatrice Clara Law. Celle-ci s'inscrit dans
une sorte de seconde Nouvelle Vague hongkongaise qui émerge entre le
milieu et la fin des années 80 avec des auteurs comme Stanley Kwan, Wong
Kar Wai ou encore Mabel Cheung. Si l'on retrouve pour certains un
parcours proche des ténors de la première Nouvelle vague du début 80's
(Tsui Hark, Patrick Tam, Ann Hui) avec des débuts à la télévision, des
études à l'étranger, ils se démarquent néanmoins par une volonté moins
grande de déconstruire les genres (ce qui ne les empêchera pas
ponctuellement de s'y essayer comme Clara Law avec The Reincarnation of Golden Lotus
(1992)) et cherchent plutôt à signer un cinéma plus introspectif et
personnel. C'est le cas de Clara Law qui en collaboration avec son époux
Eddie Fong (les deux alternant les postes de scénariste et réalisateur
sur leurs projet respectifs) va proposer une filmographie captivante
dans les années 80/90. Parmi ses films les plus marquant on trouve le
traumatisant Farewell China (1988), cauchemardesque évocation de l'exil et, bien que très différent, Autumn Moon creuse en partie le même sillon.
Si Farewell China évoquait les maux des classes pauvres chinoises dans leur tentative d'exil en occident, Autumn Moon
s'intéresse à l'avant départ, du point de vue de classes plus aisées
mais pour lesquelles le changement est tout aussi difficile à accepter.
On va suivre Wai (Pei-Hui Li) une adolescente hongkongaise de 15 ans qui
vit seule avec sa grand-mère. Ses parents et son frère aîné ont
déménagés au Canada pour les études universitaires de celui-ci et Wai
doit les suivre l'année suivante, situation qu'elle vit mal. Elle va se
lier d'amitié avec Tokio (Masatoshi Nagase), jeune japonais d'une
vingtaine d'année qui est lui en exil à Hong Kong. Tokio observe le
monde qui l'entoure avec distance, filmant son quotidien tel un
entomologiste avec sa caméra et commentant ses images d'une voix-off
désenchantée. Sa mélancolie semble plus existentielle, sans que l'on ne
sache vraiment malgré quelques indices les raisons de son exil et de
cette errance. Cet usage des images vidéo est en tout cas très novateur,
annonçant justement l'introspection et la bulle numérique que certains
se constitueront par le biais de leur smartphone. Wai et Tokio se
rejoignent en tout cas dans la façon dont ils ont mis leur quotidien en
suspens, lui errant sans but dans Hong Kong et elle séchant les cours ce
qui provoque leur première rencontre et un dialogue amusant. Why don't you are at work lui demande-t-elle, Why don't you are in school?
lui répond-il. Il échange d'ailleurs maladroitement en anglais, langue
intermédiaire qui les éloigne ou rapproche de leurs vies passées et à
venir dans une forme d'écrin intime qui leur est propre.
Le souvenir et la tradition jouent un rôle essentiel dans le récit.
Lorsque Tokio demande à Wai de l'emmener dans un restaurant local
traditionnel, il a la surprise de voir celle-ci le conduire dans un
McDonald. En effet c'est dans ce lieu qu'elle a fêté enfant son premier
anniversaire en famille elle sait qu'elle n'aura bientôt plus l'occasion
d'y revenir. La tradition s'incarne à travers la grand-mère de Wai (Siu
Wan Choi) qui va cuisiner des plats typiques qui enchantent Tokio,
cette facette très asiatique du repas comme moment de communion et de
rapprochement offrant des scènes aussi simples que touchantes. Tokio
semble fuir un passé qu'il veut occulter dans cet exil, Wai dans son
exil annoncé craint à l'inverse de voir tous ses souvenirs s'estomper.
La voix-off de Wai diffère donc de celle de Tokio plus flottante et
nourrie de réflexions désabusées, puisqu'elle se rattache
essentiellement à l'évocation de moments partagés avec son grand-père
décédé, ses parents, les comptines qu'ils lui apprenaient et les lieux
où ils l'emmenaient. Les petits gestes du quotidien prennent un tour
fondamental pour marquer l'empreinte de cet environnement bienveillant
comme le fait de brûler des encens pour le grand-père disparu. Peu à
peu, les personnages se nourrissent l'un l'autre et reprennent goût à la
vie, se reconnectent à la vie qui les entoure.
Formellement Clara Law filme littéralement Hong Kong comme ce lieu de
transit et d'oubli qu'il représente pour les personnages. Toutes
l'urbanité de la ville et filmée de manière distante, dans des plongées
arpentant la ville depuis le ciel (sans doute filmé en hélicoptère), et
les environnements où l'on s'attarde sont plus restreints, associés soit
à cette idée de souvenir ou au contraire à la volonté néfaste
d'isolement (l'appartement de Tokio). Les personnages secondaires
symbolisent d'ailleurs les aspirations contradictoires et les sentiments
refoulés des personnages. La grand-mère bien sûr illustre tout ce que
Wai ne veut pas quitter, le garçon de son école dont elle est amoureuse
tout ce dont elle ne doit plus se soucier. Pour Tokio il s'agira de Miki
(Maki Kiuchi) la sœur aînée de sa petite amie d'adolescence, tout
autant en perdition et fuite que lui (divorcée, alors que son ex et ses
enfants sont retournés au Japon) et avec laquelle il va entamer une
liaison. Wai et Tokio s'aident mutuellement à sortir de leur coquille,
ce qui permet à Clara Law de livrer de passionnantes réflexions. Le film
est vraiment une photographie de Hong Kong alors que la récession est
imminente en 1997.
Cette peur de perdre ses racines mais aussi cette
nécessité de partir étaient sans doute au cœur des préoccupations des
hongkongais à l'époque, notamment Clara Law ayant en partie fait ses
études à l'étranger et qui allait émigrer définitivement en Australie en
1994. Cette perte des valeurs traditionnelles se révèle dans la scène
où Wai décide de passer une nuit avec son petit ami, moment où il ne se
passera rien tant celui-ci la glace par sa discussion qui ne porte que
sur le matériel, ses futures études à l'étranger et les affaires qu'il
compte monter une fois adulte. Cela donnera aussi une des plus belles
scènes du film lorsque la caméra de Tokio ne capture plus la froideur
urbaine, mais au contraire cette tradition en filmant la grand-mère
hospitalisée qui lui fait part de ses dernières volontés et comment elle
imagine ses funérailles. Tokio a beau ne pas parler cantonais, la
douceur de la vieille dame par le prisme de l'image de la caméra éveille
une émotion qui fonctionne naturellement et semble faire
instinctivement comprendre à un Tokio bouleversé ce qu'elle lui dit.
La photo de Siu-Hung Leung baigne l'ensemble dans une lumière bleutée
qui peut autant constituer un doux cocon que cette modernité glaciale
synonyme de fossé entre les individus. Cet entre-deux se ressent par le
poème définissant l'automne tout au long du film, derniers relents de
l'été et d'une certaine idée du bonheur et prémices de l'hiver avec le
spleen qui l'accompagne. La réconciliation des protagonistes avec leur
passé, présent et futur passera par la célébration des fêtes
traditionnelles chinoises et japonaise. Pour Wai c'est une continuité et
un bonheur à faire perdurer avec la fête d'automne ou fête de la lune
chinoise (ce qui explicite le titre du film) et avec Tokio une manière
de renouer avec son identité par le Tsukimi, la fête de la lune
d’automne au Japon - manière aussi de montrer la proximité des cultures
chinoises et japonaises. Les deux scènes sont somptueusement filmées par
Clara Law dans un élans à la fois féérique, fantomatique et chaleureux.
Les acteurs sont parfaits d'émotion et de justesse notamment la jeune
Pei-Hui Li fascinante de fraîcheur et dont ce sera le seul rôle. Le film
fera le tour des festival internationaux où il fera un triomphe,
notamment à Locarno où il remportera le Léopard d'or en 1992.
Sorti en dvd zone 1 américain et doté de sous-titres anglais
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