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mardi 16 août 2022

The Odd One Dies - Liang ge zhi neng huo yi ge, Patrick Yau (1997)


 Mo est un gangster criblé de dettes. Son seul moyen de s’en tirer est d’accepter un contrat pour un meurtre, qui entraînera sans doute sa propre mort. La veille du passage à l’acte, Mo gagne $200,000 au casino et décide de rompre son engagement. Son agent trouve Carmen, qui est prête à le remplacer pour moins cher. Mo tombe secrètement amoureux d’elle.

The Odd One Dies est un des premiers films issus de Milkyway Image, la compagnie de production fondée par Johnnie To en 1996. Après une longue carrière de faiseur tour à tour génial ou impersonnel, To façonne là un espace créatif sur mesure qui va lui permettre de rénover le polar hongkongais tout en occupant une place centrale dans le cinéma local post-rétrocession dont les grands talents (Tsui Hark, Johnnie To, Ringo Lam, Kirk Wong) ont tenté l'aventure américaine. Johnnie To s'éloigne des formules à succès du genre pour le déconstruire dans sa mise en scène, le ton adopté, les atmosphères et ce dès les premières années d'activité de Milkyway Image avec des films comme Expect the unexpected (1998), A Hero never die (1998), The Longest Nite (1998) ou The Mission (1999) - le premier et le troisième bien que crédité à Patrick Yau étant officieusement réalisé par Johnnie To en bon producteur interventionniste. On peut même dire que la mue s'était amorcée en amont avec l'excellent Loving You (1995) où les codes du polar n'étaient qu'un arrière-plan, presque un prétexte à une forme de "comédie du remariage". 

On retrouve ce mélange de polar et de romance dans The Odd One Dies mais de façon différente. Le conflit amoureux de Loving You reposait sur l'équilibre difficile entre la fonction de policier et la vie de couple et dénotait même dans le sous-genre du polar romantique qui offrit quelques pépites juvéniles et fougueuses comme A Moment of Romance de Benny Chan (1990) ou As Tear go by de Wong Kar Wai (1988). C'est à cette veine que l'on pense dans un premier temps avec le casting glamour et photogénique de Takeshi Kaneshiro et Carmen Lee. Mais point d'envolée canto-pop, de bad boy en marcel ou veste en jean, de jeune fille énamourée et innocente ou de chevauchée à moto ici, Johnnie To creuse une autre voie.

Le scénario semble au départ être une sorte de cadavre exquis enchaînant les séquences indépendantes à l'image de l'existence sans but de son héros Mo (Takeshi Kaneshiro). Ce dernier enchaîne les provocations rocambolesques où il ne semble qu'espérer une mort dont il réchappe toujours miraculeusement. C'est précisément cet attrait inexpliqué pour l'autodestruction qui semble paradoxalement inciter ses victimes à l'épargner : saccage d'une table de jeu qui entraîne un tabassage en règle, agression d'un truand. Son dernier écart lui vaut d'être contraint à exécuter un contrat pour meurtre mais ses instincts kamikazes vont de nouveau se confronter à un destin bienveillant. Ce sera tout d'abord lors d'une incroyable scène de pari où son jusque boutisme va avoir raison de la malchance et lui faire gagner une énorme somme. 

Dès lors il peut "sous-traiter" son contrat meurtrier, mais va alors tomber sur plus désespérée que lui avec Carmen (Carman Lee), jeune femme fraîchement sortie de prison. Déjà très à contre-courant du polar, le récit avec leur rencontre effectue une longue fuite en avant qui va la voir se jauger, se poursuivre et s'aimer. Les séquences folles et facétieuses s'enchaînent, décousues et incohérentes en apparences mais servant de révélateur du profond dépit des deux protagonistes, véritables parias solitaires. Défis inattendus et pièges divers mis en place par Carmen permettent au contraire au duo de se reconnaître. On est presque dans une sorte de A bout de souffle dans le cadre du polar HK, où l'enjeu criminel importe moins que les multiples pas de côtés où se devine un passé douloureux.

Alors que pour Mo comme Carmen, l'acceptation du contrat relevait presque du suicide programmé et assumé, plus ils apprennent à se connaître, plus cette perspective ne semble difficile. Johnnie To multiplie les séquences introspectives, dans des lieux clos prolongeant le spleen et la romance à l'échelle de la ville (les multiples séquences de trajet en tramway) ou de lieux spécifiques comme le bar, la chambre d'hôtel - magnifiés par la photo de Cheng Siu-Keung. La scène où ils parviennent enfin à réserver une chambre dans un palace est une vraie mue formelle pour le film qui perd de son imagerie heurtée et étouffée, et pour les personnages enfin soucieux d'eux-mêmes qui quittent leur allure négligée (le côté crasseux de Carmen ayant été bien appuyé en amont) pour retrouver une belle prestance physique.

Takeshi Kaneshiro prolonge son incarnation juvénile, paumée et romantique vue notamment chez Wong Kar Wai et Carman Lee confirme la vulnérabilité et les belles aptitudes dramatiques vu dans ses précédents rôles chez To (Loving You, Lifeline (1996)). Johnnie To ne cède jamais au romantisme suranné (même le temps d'une très tendre scène de sexe) et adopte constamment ce petit ton décalé qui rend l'ensemble prenant et original de bout en bout. Le morceau de bravoure du contrat apporte un rebondissement certes attendu mais magnifié par le brio narratif de Johnnie To qui sait nous conduire vers une belle émotion finale. Un "polar" qui ressemble à peu d'autres par son côté feutré et arty, et une belle réussite pour ces premiers pas de Milkyway Image. 


 Sorti en dvd hongkongais chez Fortune Star

 

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