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mercredi 31 mai 2023

The Happenings - Ye che, Yim Ho (1980)

Un groupe d'adolescents s'arrête dans une station-service en sortant de discothèque. À la suite d’une bagarre, le personnel en service est tué par le groupe. Toute une nuit, ils jouent au chat et à la souris avec la police.

Yim Ho est un des réalisateurs piliers de la Nouvelle Vague hongkongaise dont il pose les bases avec The Extras (1978). Cependant les grands films (reconnaissance publique et critique, récompense prestigieuse locale et en festival) du réalisateur se feront en dehors de ce courant, à travers le magnifique récit de « retour au pays » Homecoming (1984), la fresque historique Red Dust (1990), le drame The Day the Sun Turned Cold (1994) ou encore The Sun Has Ears (1996). Avant cela, Yim Ho va connaître un passage plus difficile après le coup d’éclat de The Extras, notamment lorsqu’il va engager une collaboration compliquée avec le studio Golden Harvest. Il va y réaliser la comédie adolescente Wedding Bells, Wedding Belles (1981) qui sera un échec commercial, puis entamer le tournage d’un projet plus personnel mais dont la production sera interrompue. Entre ces deux expériences mitigées, il signe pour le studio l’étonnant The Happenings

Le postulat suit le temps d’une nuit un groupe de jeunes gens à la dérive, embarquée dans une spirale de violence avec le braquage maladroit d’une station essence car il n’avait pas assez d’argent pour régler la note. Le film est voisin dans son argument de deux autres sommets de la Nouvelle Vague hongkongaise sortis la même année, L’Enfer des armes de Tsui Hark et Nomad de Patrick Tam à là aussi des circonstances malheureuses mènent des jeunes désœuvrés dans une escalade de violence. Tsui Hark choisit la voie d’un nihilisme radical dans son film, tandis que le spleen papier glacé de Patrick Tam capture l’ennui d’une jeunesse dorée qui va se perdre dans une conclusion brutale. Dans The Happenings, Yim Ho prend une voie intermédiaire, oscillant entre le ton enjoué de ses comédies adolescentes et un côté plus sombre et imprévisible.

La veine teenage est dans un premier temps la plus agaçante même si remarquablement mise en scène, lors des premières scènes où l’on découvre le groupe de personnages débordant d’énergie hystérique et de comportement infantile lors de scène de boite de nuit bariolée. Quelques prémices du désastre à venir se devinent dans les dialogues et situations, trahissant la superficialité des protagonistes. Des garçons discutant de la manière de draguer deux filles qui leur plaisent embrayent sur l’éventuel projet de les mettre sur le trottoir et devenir leur maquereau pour gagner de l’argent facile. Ces deux mêmes filles qui vont se ruer vers un jeune rédacteur de magazine de mode arrivé dans la boite de nuit, dans l’espoir d’un raccourci vers la célébrité et la belle vie. Si tout cela paraît inoffensif dans le cadre de ce club de danse, cette mentalité douteuse se propage à l’extérieur, Yim Ho faisant un montage alterné entre les pistes de danses et l’extérieur où l’un des amis vole une voiture, concrétisant par les actes ce que l’on a entrevu par les mots.

Ensuite la virée du groupe d’amis va virer au cauchemar, à cause de hasards malheureux en apparence mais tous provoqués par cette quête de facilité, cette immaturité et inconscience. L’interprétation est très bancale et surjouée, l’émotion passant plus par la mise en scène que par des acteurs trop dans le surjeu pour être attachant malgré quelques situations se prêtant au drame. D’un côté ce chaos permanent joue pour le film et trahit l’inconséquence des personnages, mais de l’autre ce côté agité brasse beaucoup de vent sans la moindre accalmie. Yim Ho filme une Hong Kong nocturne de ces environnements les plus hédonistes et tapageurs jusqu’à une descente aux enfers dans les quartiers les plus sordides et reculés où le groupe doit désormais se cacher. 

Il confronte l’égoïsme des personnages (capables à tout moment de s’invectiver et se trahir entre eux) aux conséquences toujours plus catastrophiques de leurs actes dans une escalade apocalyptique qui culmine dans un final qui justifie à lui seul la vision du film. Piégés sur le toit d’un immeuble et encerclé par la police, le groupe de héros sème la mort et la violence aveuglément dans un pur instinct de survie, le tout filmé avec une furie barbare par Yim Ho, lorgnant sur la conclusion dantesque du pourtant postérieur Le Bras armé de la loi (1984). Donc assez inégal (surtout comparé au Patrick Tam et au Tsui Hark) mais sacrément électrisant, et surprenant vu que le talent de Yim Ho s’épanouira dans des eaux plus apaisées à l’avenir. 

Sorti en dvd hongkongais chez Fortune Star


lundi 29 mai 2023

Romances et Confidences - Romanzo popolare, Mario Monicelli (1974)

Giulio Basletti est un ouvrier métallurgiste milanais, célibataire, fervent activiste syndical et supporter du Milan AC. Il revoit après dix-sept ans Vincenzina, la fille d'un de ses collègues qui a émigré depuis le sud, de la province d'Avellino en Campanie, qu'il avait tenue sur les fonts baptismaux. Après quelques mois, ils se marient et mettent au monde un enfant.

Entre les attitudes matamore entre grotesque et pathétique d’un Vittorio Gassman, le désamorçage toujours astucieux de son glamour d’un Marcello Mastroianni, la normalité géniale d’un Nino Manfredi et la fourberie malicieuse d’un Alberto Sordi, Ugo Tognazzi a su trouver sa place dans le quintet magique des acteurs emblématiques de la comédie italienne. Il arrive à installer une forme de mélancolie à l’allure élégante de ses personnages, conscient de leur attrait mais inconscients de leurs failles. Un des registres les plus intéressant pour exploiter cette facette de lui réside dans les postulats où son personnage d’homme mûr tombe sous le charme d’une femme plus jeune et s’y confronte à son déclin. Cela a donné deux comédies brillantes avec Elle est terrible de Luciano Salce (1962) où il était subjugué par une jeune Catherine Spaak, et Dernier amour de Dino Risi (1978) voyant Ornella Muti raviver la flamme d’amour, de désir et de vie en lui. La réunion d’Ugo Tognazzi et Ornella Muti dans le film de Risi découle totalement de la première association à succès du couple dans Romances et Confidences de Mario Monicelli.

Giulio (Ugo Tognazzi), ouvrier milanais, tombe amoureux de Vincenzina (Ornella Muti), la fille d’un ancien collègue originaire du sud de l’Italie, l’épouse et l’emmène avec lui dans le nord industriel et nanti milanais. A l’ascendant par l’âge de Giulio s’ajoute ainsi celui de l’expérience de la vie urbaine quand Vincenzina n’a connu que le dénuement et les mœurs étriquées du sud de l’Italie. Mario Monicelli dote Giulio de tous les atouts physiques, moraux et progressistes de l’homme moderne. Activiste syndical virulent, beau parleur, il semble aussi paradoxalement plus ouvert que sa jeune épouse. Une des premières scènes le voit vider son ancienne garçonnière avant d’investir le domicile conjugal et c’est Vincenzina qui va piquer une crise de jalousie en imaginant toutes les femmes qu’il a emmené là avant elle.

Giulio se montre d’une rare franchise (voire vantardise) pour lui répondre, et lorsqu’elle lui demande ce qu’il penserait si elle avait le même passé amoureux, il ne s’en offusque pas. Un des running gags des dialogues est «nous sommes dans les années 70 » pour affirmer son ouverture d’esprit et sa confiance, plusieurs scènes (une sortie cinéma où Giulio emmène Vincenzina voir un film érotique) témoigne de la modernité de Giulio. Les plus amusantes sont les discussions qu’il a avec son voisin père de famille et originaire du sud, et au comportement moyenâgeux avec sa fille adulte de vingt-cinq ans. Giulio le tance avec verve sur son comportement et lui conseille de devenir à son tour un « homme des années 70 », quitter ses oripeaux de paysan du sud pour s’adapter à la mentalité moderne du nord.

Le cadre milanais et ce thème du dilemme moral prolongé par le schisme régional (un thème central du cinéma et plus précisément de la comédie italienne) rappelle beaucoup mais sous l’angle de la comédie Un vrai crime d’amour de Luigi Comencini sorti la même année 1974. On retrouve le cadre milanais, l’atmosphère grisâtre propageant l’aura de cité industrielle, et le paysage urbain changeant où les anciens pauvres accèdent à la classe moyenne à travers des logements HLM flambants neufs, des week-ends et des loisirs plus prenant leur importance dans le quotidien. Comme chez Comencini, l’intrigue va mettre à l’épreuve les préceptes progressistes de cet environnement face au fardeau de l’éducation et de l’ancienne rigueur morale italienne.

La narration est inventive et ludique avec cette voix-off distanciée de Tognazzi se moquant à postériori de tous ses beaux discours d’ouverture, Monicelli appuyant cela par des ralentis, rembobinages et commentaire cinglant de son héros. La raison est qu’il va provoquer sa propre perte en rapprochant malgré lui par un concours de circonstances Vincenzina de Giovanni (Michele Placido), un jeune policier avec lequel il s’est lié d’amitié. Cet horizon plus large de la ville a fait naître des désirs inconnus et coupable chez Vincenzina envers ce vigoureux, jeune et pressant policier qu’elle repousse de sa voix tout en le désirant de son cœur et de sa chair. En bon « homme des années 70 », Giulio accepte de se retirer pour son rival, ce que Vincenzina refuse pour rester avec lui. Afin d’entériner cette confiance, elle va lui raconter en détail leur aventure et tester les limites de la tolérance de son époux. 

L’hilarant récit de cette romance est une nouvelle fois une merveille narrative de Monicelli, d’interprétation faussement candide d’Ornella Muti, et de sagesse placide de façade de Ugo Tognazzi. Chaque fois que l’histoire de Vincenzina semble s’arrêter sur une note « acceptable » pour Giuliano, celle-ci relance (« c’est pas fini » constituant un autre running gag mémorable) d’une autre anecdote scabreuse qui finit par faire exploser notre héros de jalousie. Plus que l’infidélité c’est la mise à mal de sa virilité par un rival plus jeune qui fait perdre pied à Giuliano. Il y a d’ailleurs un autre à lien à faire à Luigi Comencini puisque c’était déjà Michele Placido dans Mon dieu comment suis-je tombée si bas ? (1974) qui du haut de sa vigoureuse jeunesse déniaisait une Laura Antonelli pudibonde dans une scène d’anthologie. 

Dès lors la modernité de « l’homme des années 70 » vole en éclat pour céder au bon vieux machisme et à la jalousie pathétique d’antan. Monicelli n’accable pas son héros dont on a vu la tolérance poussée dans ses derniers retranchements, et questionne plutôt les limites de ces penchants libertaires face aux imperfections de nos sentiments humains ordinaires. Finalement la modernité trouve sa limite dans les motifs ordinaires et inchangés des maux de couples comme l’infidélité et la jalousie. La dernière partie est aussi drôle que mélancolique, rendant tout retour en arrière impossible. C’est un très beau film dont le désenchantement final est très touchant, loin de la cruauté pathétique de Dernier amour de Dino Risi. Tognazzi est fabuleux et c’est aussi une des meilleures prestations dramatiques d’Ornella Muti, existant au-delà de sa beauté ravageuse.

Vu dans le cadre de la rétrospective consacrée à Mario Monicelli à la Cinémathèque française