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vendredi 22 décembre 2023

La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar - The Wonderful Story of Henry Sugar, Wes Anderson (2023)


 Henry Sugar est un homme riche qui a un penchant pour le jeu. Un jour, il lit le rapport d'un médecin qui décrit un étrange patient originaire d'Inde, capable de voir malgré le fait que ses yeux soient cousus. Depuis, l'homme aurait développé des étranges capacités pour réaliser un numéro incroyablement lucratif dans un cirque. Henry découvre la méthode par laquelle les médecins ont "retiré" la vue à cet homme...

La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar voit Wes Anderson revenir à l’univers de l’écrivain anglais Roald Dahl, quatorze ans après l’extraordinaire Fantastic Mister Fox (2009), premier essai dans l’animation et véritable œuvre du renouveau dans l’inspiration du réalisateur. Il s’agit d’un moyen-métrage s’inscrivant dans un ensemble de quatre autres adaptations de Roald Dahl pour la plateforme Netflix puisque The Swan, Ratcatcher et Venin sortent simultanément mais sous une durée plus ramassée de dix-sept minutes quand La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar en fait quarante. Le format court est un exercice fondamental pour Wes Anderson, constituant avec la première mouture de Bottle Rocket (1996) un brouillon prometteur de son œuvre à venir, et avec Hotel Chevalier (2007), une prémisse enchanteresse et finalement bien plus réussie de sa suite en long-métrage À bord du Darjeeling Limited (2007).

Plus globalement, on ressent ce plaisir de « l’historiette » dans ses long-métrages à travers les apartés stylisés servant à caractériser les personnages dans immédiateté et efficacité narrative où l’esthétique et le sens du détail du réalisateur font mouche – l’enfance et la gloire déchue des héros de La Famille Tennenbaum (2003). Wes Anderson tournait aussi autour de l’idée dans certains passages de Moonrise Kingdom (2012) ou The Grand Budapest Hotel (2014) où certaines séquences pouvaient exister de manière presque indépendante. Le pas fut franchi avec l’excellent The French Dispatch (2021) dans lequel mélancolie, rires et larmes s’harmonisaient dans les trois récits captivants et inventifs.

La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar est très habile pour marier l’art littéraire de Roald Dahl et la narration de Wes Anderson. Le réalisateur met littéralement en scène l’auteur (joué par Ralph Fiennes) qui va se faire le témoin d’un destin individuel, celui du nanti et oisif Henry Sugar (Benedict Cumberbatch) qui va à son tour par la lecture d’un livre nous introduire un troisième narrateur, Dr Z.Z. Chatterjee (Dev Patel) nous narrant sa rencontre extraordinaire avec un Yogi (Richard Ayoade) aux facultés surnaturelles. Les récits enchâssés sont une approche typique de Wes Anderson (sublimée dans The Grand Budapest Hotel) dont la connexion s’avère thématique, formelle et ludique. Il y a dans la logorrhée et le déluge d’informations débitée par les trois protagonistes de quoi nous perdre, mais cette destruction du quatrième mur et narration complice avec le spectateur vient aussi de l’écriture de Roald Dahl qui, dans ses nouvelles (la nouvelle L’Auto-stoppeur par exemple) nous tenait ainsi par son bagout sans que l’on sache exactement où il voulait nous emmener.

Wes Anderson procède de la même façon et son esthétique travaillée est une sorte de matérialisation du genre de projection mentale que peut se faire un lecteur lorsqu’il parcourt ce type de récit foisonnant. La voix-off nous noyant de détails trouve son contrepoint par une expression limpide des transitions (le panoramique nous faisant passer de Roald Dahl à Henry Sugar se morfondant d’ennui un week-end pluvieux à la campagne), des décors pliés à la psyché des personnages (la composition de plan isolant et écrasant Henry dans la bibliothèque pour souligner sa futilité) et les idées folles pour introduire la dimension magique et psychédélique à venir (les arrière-plans bariolés où se construisent tels des jeux d’enfants les éléments du décor suivant). Les trois niveaux de récits définissent la perception d’un rapporteur (Roald Dahl), d’un spectateur (Henry Sugar), d’un témoin (Dr Z.Z. Chatterjee) et enfin d’un héros (le Yogi) qui expriment tout le spectre d’émotion et d’impact que peut avoir une histoire vue, lue et vécue par la grâce d’un conteur. 

En partant d’un point A surchargé dont il a le secret, Wes Anderson nous noie faussement pour au contraire dévoiler une leçon limpide, la façon dont le poids de la fiction et l’imaginaire peut nous faire évoluer en tant qu’individu. Le Yogi voit dans son don acquit un intérêt matériel avant d’en faire un art du spectacle, le Dr Z.Z. Chatterjee une possibilité de gloire scientifique qui finalement deviendra une expérience humaine, Henry Sugar un moyen de s’enrichir avant de trouver la sagesse et se mettre enfin au service des autres, et enfin Roald Dahl y trouvant un récit à sensation dont il va en définitive faire une leçon de vie. Wes Anderson condense finement en quarante minutes ce qui faisait la réussite de The French Dispatch, faux exercice de style et grande œuvre désenchantée. Une grande réussite de plus pour Wes Anderson. 

Disponible sur Netflix avec les trois autres courts adaptés de Roald Dahl

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