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mardi 3 septembre 2024

Soltero - Pio de Castro III (1984)


 Crispin Rodriguez est un soltero (célibataire). Ce jeune homme de 29 ans travaille à la Traders Royal Bank de Manille. Il passe son temps libre à traîner avec ses collègues, aller à des fêtes dans des bars, manger au restaurant et regarder des films au Manila Film Center. Toujours célibataire à presque 30 ans, il souhaite désespérément rencontrer une femme...

La découverte d’un nouveau cinéma philippin dans les années 70/80 aura fait découvrir certains pans sociétaux marquant du pays. Parmi eux, on trouve les racines d’une société profondément patriarcale, un éloge très ancré d’un profond virilisme. Les œuvres le dénonçant exposent de multiples situations, couches sociales, générations et genres au sein des victimes comme des oppresseurs. Les parents peuvent entretenir cette culture dans des œuvres comme Caïn et Abel de Lino Brocka (1982), Kisapmata de Mike de Leon (1981 ou Karnal de Marylou Dias-Abaya (1983). Les jeunes femmes la subissent dans Insiang (1976), Manille (1975) de Lino Brocka ou Brutal de Marilou Diaz-Abaya (1980), et les hommes se heurtent malgré eux à cet appel au virilisme planant au-dessus d’eux comme une malédiction coupable dans Itim de Mike de Leon (1976).

Soltero est une proposition différente de ces exemples sur plusieurs points. Il ne s’inscrit pas dans un cinéma de « genre » par lequel l’action et l’adrénaline font davantage passer ces questionnements. De plus, il fait le choix de montrer à travers son personnage principal le modèle d’une masculinité sensible et vulnérable, dans un récit doux et introspectif plutôt qu’une confrontation. On doit Soltero au dramaturge Bienvenido M. Noriega jr, qui signe là un de son premier scénario pour le cinéma. Noriega a la particularité d’avoir rencontré une certaine reconnaissance dans le monde des arts (au théâtre avant tout), tout en menant une carrière particulièrement fructueuse dans celui des affaires. 

Après de grandes études dans les universités américaines, il sera l’un des plus jeunes dirigeants de la Philippine National Bank ou plus tard président de grands fonds d’investissements. Parallèlement à ses études puis à ses hautes fonctions, il va étudier la littérature, l’art dramatique, le cinéma puis donc entamer cette voie dans l’écriture. Dès lors, toutes les séquences accompagnant le héros Crispin (Jay Ilagan) dans ses fonctions au sein de la banque, ses interactions avec ses amis et collègues, respirent le vécu. L’histoire observe Crispin mais aussi toute une génération de jeunes trentenaires issues de la classe sociale aisée, traîner leur spleen face à l’insatisfaction de leur existence. Crispin est un célibataire ne s’étant jamais vraiment remis de sa rupture avec Cristina (Rio Locsin), lui ayant préféré une relation adultère auprès d’un homme marié avec lequel elle a un enfant.

La pression sociale renvoie Crispin à son dépit amoureux, mais ses amis rangés ne s’en sortent guère mieux professionnellement et sentimentalement. Le film est d’une grande modernité et universalité, le public contemporain pouvant largement se reconnaître dans le dépit existentiel des personnages. L’urgence de nos sociétés modernes s’est encore accélérée depuis la sortie du film, l’instabilité et la difficile quête de relations amoureuses aussi. Le sentiment du temps qui passe se ressent dans les choix de vie qui éloignent humainement et/ou géographiquement les proches, ainsi que la maladie et la mort. Toutes ces mues sont subies par Crispin qui a le sentiment de stagner, obnubilé par une seule femme et ne parvenant pas à se lier à une autre.

Le réalisateur Pio de Castro III alterne les possibles pistes sentimentales (RJ (Chanda Romero) la séduisante supérieure de Crispin) entretenant l’espoir, avec une forme de répétitivité. Cette dernière se joue dans une dimension collective et en apparence festive avec les sorties au restaurant entre amis, les soirées en boite de nuit. Il y a une hauteur plus solitaire prise dans cet éternel recommencement lorsque la caméra s’attarde sur les paysages. Les panoramas urbains surchargés soulignent la place insignifiante de l’individu et de ses attentes dans cette grande agitation, alors que le sentiment d’attente de quelque chose, de quelqu’un plane sur les méditations silencieuses de Crispin face à des ciels crépusculaires. 

Tout en se montrant fort touchant dans la caractérisation de son personnage principal (Jay Ilagan tout en sensibilité à fleur de peau), toutes sortes de solitudes gravitent autour de lui à travers son entourage. Quel que soit le temps accordé à ce cercle et à ses problèmes, l’empathie fonctionne, telle la concierge dépressive (Mona Lisa) de la résidence de Crispin. C’est d’ailleurs là que repose une des plus belles audaces du film, un archétype romantique attendu débouchant sur la description courageuse d’une femme lesbienne, elle aussi confrontée à cette pression sociale altérant son identité.

Soltero est une œuvre d’une force traversant avec brio le temps, en capturant les maux intimes de la vie urbaine, à peine différents aujourd’hui qu’en 1984.

Sorti en bluray français chez Carlotta

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