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dimanche 9 mars 2025

Les Maîtresses de Dracula - The Brides of Dracula, Terence Fisher (1960)

Marianne a accepté un poste d'institutrice dans un pensionnat pour jeune fille. Alors qu'elle traverse la Transylvanie, son cocher l'abandonne dans un village, où elle trouve refuge dans une auberge. Malgré les mises en garde du propriétaire des lieux, elle accepte l'invitation de la baronne Meinster à passer la nuit dans son château. Heureusement pour elle, le docteur Van Helsing poursuit dans la région sa chasse aux vampires.

Le Cauchemar de Dracula de Terence Fisher (1958) avait été un immense succès commercial et critique, entérinant le virage vers l’épouvante gothique de la Hammer après Frankenstein s’est échappé du même Terence Fisher (1957). Une suite est donc envisagée avec un premier script de Jimmy Sangster qui curieusement choisit de s’éloigner de certains préceptes du film initial. Le méchant est supposé être un disciple de Dracula (qui disparu dans le premier film n’est supposé faire qu’une apparition sous forme de spectre) tandis que sa traque se fera par un nouveau protagoniste, et plus le professeur Van Helsing. Au fil des réécritures certains éléments se remettent en place comme la présence de Van Helsing de nouveau interprété par Peter Cushing, mais Christopher Lee, par réticence de ce dernier ou par choix de la production, ne rempile pas – il fera son retour dans le rôle et dirigé par Fisher dans Dracula, Prince des ténèbres (1966). Plusieurs idées, trop complexes techniquement ou inappropriées dans le ton voulu sur cette suite, seront recyclées pour Le Baiser du vampire de Don Sharp (1963) – notamment l’attaque finale par une horde de chauve-souris.

Le Cauchemar de Dracula avait marqué une rupture avec l’imagerie des films Universal dont le Dracula de Tod Browning (1931). La théâtralité de l’incarnation du vampire par Bela Lugosi en faisait une figure spectrale et aristocratique dans une imagerie expressionniste noir et blanc. Christopher Lee amenait quant à lui une dualité en le port séduisant de la facette lumineuse de Dracula, s’opposant à une animalité plus glaçante renforcé par l’usage de la couleur renforçant la dimension baroque et sanglante du vampire et du gothique Hammer. 

Cette dualité se poursuit dans Les Maîtresses de Dracula mais contamine des aspects plus vastes de la personnalité du vampire. L’ombre de l’inceste plane sur la relation torturée entre le Baron Meinstein (David Peel) et sa mère (Martita Hunt). Cette dernière nourrit les pulsions de son fils en lui fournissant des jeunes filles innocentes dont il se repait, tout en étant séquestré dans la demeure familiale. Son évasion le conduira à « consommer » sa propre mère, ultime sacrilège, avant de prendre sa liberté. 

Les traits carnassiers de Christopher Lee laissent place à ceux plus poupins et juvéniles d’un David Peel certes moins charismatique, mais dont les revirements de personnalités s’avèrent saisissant. Jeune homme fragile et torturé, amoureux transi, châtelain charismatique, le Baron Meinstein semble se plaire à endosser plusieurs masques avant de laisser éclater son visage véritable, celui du vampire particulièrement bestial et sadique. Terence Fisher se plaît à capturer ces bascules dans la caractérisation du personnage, et semble avoir joué du vrai « masque » de David Peel qui à la ville était homosexuel. Le décorum gothique est une nouvelle fois superbe, notamment lorsque Fisher en parallèle des figures imposées orchestre des séquences tout simplement glaçantes. La sortie de terre d’une jeune femme vampirisée est filmée comme un accouchement dans un lent crescendo macabre se concluant par la sortie de terre d’une main avec une puissance macabre rare.

La sensualité brûlante des assauts de Meinstein sur les jeunes femmes se dispute à une sorte de candeur ramenant davantage au gothique littéraire avec le personnage de Marianne (Yvonne Monlaur), archétype de la jeune fille naïve et en détresse. Comme le souligne le spécialiste Nicolas Stanzick dans les suppléments du dvd, elle semble jouer dans un conte de fée (la demande en mariage si vite acceptée de ce prince charmant douteux) sans savoir qu’elle se trouve en fait dans un conte macabre. Le socle et l’unité de cet ensemble repose sur Van Helsing une nouvelle fois brillamment interprété par Peter Cushing. 

Il possède à la fois ce côté froid, croyant et rationnel face au surnaturel auxquels s’ajoutent une humanité profonde. Son empathie envers Marianne n’a d’égal que sa détermination face aux vampires, qui culmine lorsqu’il doit lui-même se purger d’un possible risque de vampirisme. Fisher sait composer quelques images iconiques en diable pour conférer toute la grandiloquence attendue de l’affrontement, notamment cette ombre de moulin formant la croix chrétienne qui achèvera le Mal. Un opus réussi qui fait (presque) oublier l’absence de Christopher Lee.

Sorti en bluray français chez Elephant Film

vendredi 7 mars 2025

Les Arnaqueurs - The Grifters, Stephen Frears (1990)


 Petit arnaqueur minable, Roy Dillon est blessé par un barman à la suite d'une escroquerie ratée. Sa mère, Lilly, employée d'un bookmaker mafieux qu'elle arnaque sur les champs de courses, vient lui rendre visite à l'hôpital et y rencontre Myra, la petite amie de Roy, une ancienne arnaqueuse de haut vol. Entre les deux femmes, c'est aussitôt l'inimitié, puis la haine farouche.

Les Arnaqueurs de Stephen Frears marque en quelque sorte l’entrée officielle de Jim Thompson dans le patrimoine culturel américain. La reconnaissance du romancier était resté assez sous-terraine dans son pays, ses romans étant appréciés par un cercle d’initiés mais son existence chaotique ne lui avait pas permis d’espérer plus. Il va rencontrer des désillusions dans ses incursions hollywoodiennes, notamment de la part d’un Stanley Kubrick s’appropriant le crédit du scénario écrit par Thompson pour L’Ultime Razzia (1956) – le litige se règlera quand Kubrick refera appel à lui pour Les Sentiers de la gloire (1957) en créditant cette fois pleinement sa contribution. L’adaptation à succès Guet-apens de Sam Peckinpah (1972) ne lui sera guère profitable puisqu’il sera évincé du scénario au profit de Walter Hill avant de mourir quelques années plus tard dans un relatif anonymat en 1977. 

C’est en France que l’étoile de Jim Thomson brillera, tout d’abord par l’édition de ses plus fameux romans dans la collection Série Noire entre les années 50 et 70 – avant que la collection Rivages/Noir reprenne le flambeau à partir des années 80 dans de nouvelles traductions et des versions intégrales. Le cinéma français proposera aussi les plus singulières, originales et brillantes adaptations avec Série Noire d’Alain Corneau (1979) d’après Une femme d’enfer, et Coup de torchon de Bertrand Tavernier (1981) d’après Pottsville, 1280 habitants.

Quelques adaptations obscures et médiocres auront parfois émergé au sein de la production américaine (dont Ordure de flic de Burt Kennedy (1976) d’après L’Assassin qui est en moi plus tard magistralement transposé par Michael Winterbottom dans The Killer inside me (2010)) mais Les Arnaqueurs ramène Jim Thompson au rang des projets haut de gamme 18 ans après Guet-Apens. Produit par Martin Scorsese (initialement envisagé pour le réaliser), réalisé par Stephen Frears sortant de Les Liaisons Dangereuses (1988), scénarisé par Donald Westlake et porté par un casting prestigieux, le film avait tous les atouts pour être une grande réussite.

Le script de Donald Westlake est à la fois très fidèle au roman et en même temps très audacieux dans ses choix. Le roman de Jim Thomson était en définitive un récit grandement introspectif dont la pure trame criminelle était pour l’essentiel en arrière-plan, les rebondissements les marquants se produisant même « hors-champs ». Westlake ramène la trame de polar au centre de l’intrigue, tout en y insérant avec brio cette dimension intimiste dans la caractérisation des personnages. Le montage alterné de la scène d’ouverture ramène les protagonistes à leur pure nature d’arnaqueur, à des échelles (dans les environnements et les sommes en jeu) plus ou moins importante. Lilly (Anjelica Huston) officie pour la mafia sur les champs de course, son fils Roy (John Cusack) escroque quidams et barmen pour des sommes ridicules, et Moira (Annette Bening) tente revend des faux bijoux voire son corps pour survivre au quotidien. 

La veine intimiste du livre, par ses retours dans le passé des personnages ramenait derniers à une certaine humanité expliquant à défaut de justifier leur dérive dans le crime. Frears escamote cette facette pour accentuer la fatalité du film noir et davantage travailler la rupture de ton, en particulier pour Moira qu’Annette Benin incarne comme une véritable vamp grotesque (la scène où elle règle son loyer « en nature » à son propriétaire). Ce choix élimine du coup le beau personnage d’infirmière naïve Carol (qui apparait malgré tout brièvement, jouée par Noelle Harling) pour se concentrer sur le véritable triangle amoureux Lilly/Roy/Moira.

Les trois personnages représentent chacun une facette différente de l’arnaqueur. Lilly est la figure depuis trop longtemps dans le circuit, compétente mais usée, tout en étant exposée aux humeurs versatiles de ses très dangereux patrons – une éprouvante scène de passage à tabac, même si moins corsée que dans le livre. Roy est l’escroc doué mais « gagne-petit » qui vivote sans oser franchir le pas d’une arnaque de plus grande envergure. Moira est quant à elle une femme ayant connu l’ivresse des escroqueries les plus prestigieuse, vécu la grande vie de luxe et qui ne supporte pas d’être rentré dans le rang, d’être revenu à une existence précaire et médiocre. Lilly et Moira constituent des pivots moraux et sentimentaux pour Roy, la première l’incitant à quitter la vie criminelle quand la seconde le pousse à y plonger dans une plus grande envergure. Plus le film avance, plus le mimétisme entre Lilly et Moira s’accentue, à travers leur silhouette, coiffure, tenues vestimentaire criardes. Moira est l’assouvissement par procuration du désir coupable que ressent Roy pour sa mère. Lilly voit en elle une contrefaçon vulgaire d’elle-même, et une rivale dans le cœur de Roy dont elle attend aussi autre chose qu’un amour filial.

Stephen Frears capture toutes ces ambiguïtés avec brio, porté par des acteurs en état de grâce. La présence juvénile et hésitante de John Cusack fait merveille, le bagout séduisant déployé durant ses petites arnaques se diluant face à sa mère. Il ne redevient pas un petit garçon mais un amant éconduit et gauche devant Lilly, masquant son malaise par l’agressivité. Anjelica Huston fait montre d’une tendresse maternelle trop appuyée (ces longs baisers de retrouvailles provoquant le trouble) et de même, sa quête de rachat semble vouloir exprimer autre chose de plus inavouable. A l’inverse de ces deux protagonistes, Annette Bening représente la femme fatale sans mystère, exposant sa sensualité agressive dans une volonté explicitement intéressée.

Frears dans cette approche néo-noir installe la trame du roman dans un contexte contemporain, et pose un écrin à la fois lumineux, stylisé et vulgaire dans sa vision de Los Angeles. Intérieurs tape à l’œil (les tableaux de clown de Roy), dominante de couleurs pastel, soleil californien presque constant (hormis la dernière partie), tout concours à traduire la superficialité des personnages et de leur quête. Hormis Moira uniquement guidée par ce but pécuniaire, Roy et Lilly s’avère plus ambivalents. 

Lilly incite Roy à quitter cette vie d’arnaque mais une fois aux abois cherche tout de même à lui piquer son magot. Roy semble un temps convaincu pour de coupables raisons à effectivement se ranger, mais refuse tout de même de laisser le fruit de ses larcins à sa mère. Ces attentes divergentes pourraient se résoudre par l’acceptation de cette attirance qui les ronge, l’amoralité du crime se disputant à l’amoralité de l’inceste mère/fils. Stephen Frears saisit toute cette gamme d’émotions avec un immense talent et égale voire transcende le récit de Jim Thomson. Le film noir rencontre la tragédie grecque dans un équilibre parfait. 

Sorti en bluray français chez ESC et en ce moment visible en streaming gratuit sur youtube ou la plateforme d'Arte 

mardi 4 mars 2025

Les Fleurs du soleil - I girasoli, Vittorio de Sica (1970)

En 1945, la guerre est terminée, mais Antonio ne revient pas du front russe. Giovanna se souvient de son mariage avec ce garçon qu'elle connaissait à peine, de leurs douze jours de bonheur puis du départ de son mari pour le combat. Un soldat lui avoue avoir abandonné Antonio dans la neige, à demi-mort. Giovanna part alors en Union soviétique.

Vittorio de Sica signe avec Les Fleurs du soleil un magnifique mélodrame, et une de ses plus belles associations au mythique couple Sophia Loren/Marcello Mastroianni. Le film est une des premières coproductions entre l'occident et l'Union Soviétique, de surcroît tourné à Moscou et en Ukraine. Absolument pas écrasé par cette logistique, de Sica livre une œuvre profondément intimiste et mélancolique sur une couple à la fois rapproché et brisé par les écueils de la guerre. 

Le film s'ouvre sur les récriminations de Giovanna (Sophia Loren) face aux autorités italiennes ne sachant que lui répondre quant au sort de son mari Antonio (Marcello Mastroianni). Porté disparu sur le front russe sans être officiellement déclaré mort, le sort d'Antonio laisse Giovanna dans l'incertitude alors qu'elle se refuse à accepter son possible décès. Un flashback remonte alors aux origines de cette folle passion, capturant les amours juvéniles et torrides du couple. De Sica entretient ce passé fantasmé à plusieurs niveaux.

Il y a la dimension triviale et charnelle des amants où De Sica entretient une proximité palpable par le schisme régional typique de l'Italie (le patois napolitain de Giovanna corrigé régulièrement par Antonio), et la manière dont le contexte de guerre constitue un horizon à la fois lointain et proche, abstrait et menaçant. La perspective de la mobilisation d'Antonio accélère plus que provoque le mariage avec Giovanna malgré le côté improvisé, et la séparation imminente amène tout d'abord une isolation du monde du couple entre les murs de leur éphémère foyer conjugal. 

Puis ce sera littéralement une tentative folle (au propre comme au figuré) d'échapper à ce destin qui à l'inverse scellera le destin des mariés. La tonalité rieuse, ludique et solaire de cet "âge d'or" romantique est en quelque sorte le souvenir magnifié de Giovanna, et de Sica de façon involontaire ou voulue entretient cette interprétation avec un rajeunissement efficace mais tout de même artificiel de Mastroianni et Loren en jeunes amants immatures. A l'étreinte dans les herbes et sous les bombardements répondent ainsi les poignants adieux dans les sinistres toilettes d'une gare avant le départ d'Antonio.

C'est la passion entretenue durant cette première partie qui rend ardente et possible la folle entreprise de Giovanna de se rendre en URSS sur les traces de son homme qu'elle refuse de croire mort. De Sica orchestre de superbes scènes lassant pourtant bien croire à cette tragique perspective avec ses visions glaçantes du front russe, les idées formelles traduisant à la fois la souffrance d'un collectif dans cette barbarie (le filtre rouge sur les scènes de batailles) et l'agonie lente sous un prisme intimiste à travers un Antonio à bout de forces. La quête de Giovanna donne lieu à une performance parmi les plus ardentes de Sophia Loren, en plus de d'être une véritable capsule temporelle de la Russie et l'Ukraine des années 70 superbement filmées par de Sica. 

Ce moment du film fait figure d'entre-deux en gardant cette dimension lumineuse tant que l'espoir demeure avant un rebondissement bouleversant. A la première partie rurale, estivale, colorée et fougueuses dans le sud pauvre de l'Italie va donc répondre un poignant épilogue dans l'urbanité grise de Milan, grande ville du nord. Les jeux de clair-obscur masquent puis révèlent les outrages du temps qu'Antonio et Giovanna n'osent se montrer, et traduisent les regrets d'une vie qu'ils n'ont finalement pas pu passer ensemble. Les mots se font rares durant ces retrouvailles et tout passe par la décidément incroyable alchimie existante entre Sophia Loren et Marcello Mastroianni, le tout réhaussé par le magnifique thème composé par Henry Mancini. Un grand de Sica tout simplement.

 Disponible en streaming sur la plateforme Mycanal

dimanche 2 mars 2025

Eastern Condors - Dung fong tuk ying, Sammo Hung (1987)

Un commando d'élite est recruté parmi les “irrécupérables” des prisons chinoises afin d'organiser une mission suicide au sud du Viêt Nam. Chargés de détruire un arsenal apocalyptique abandonné par l'armée américaine dans une forteresse souterraine, ces mercenaires durs à cuire experts en armes à feu et en arts martiaux relèvent le défi avec l'espoir illusoire d'y regagner leur liberté et leur honneur perdu...

Un peu à la manière de son ami et condisciple Jackie Chan, Sammo Hung fait avec Eastern Condors un pas de côté le sortant du pur film martial. Hung s’était déjà aventuré dans la comédie policière avec les films de la série Lucky Stars (Le Gagnant (1983), Le Flic de Hong Kong (1985), Le Flic de Hong Kong 2 (1986) et hors de la série Soif de Justice (1984)) et bien sûr de la comédie horrifique dans le génial L’Exorciste Chinois (1980) mais, que ce soit dans le contexte historique des récits, le ton rigolard et la présence des acolytes Jackie Chan et Yuen Biao, on restait dans un registre relativement voisin. Alors que la persona filmique de Jackie Chan fait sa mue vers le cinéma d’aventures (Le Marin des mers de Chine (1983), Le Marin des mers de Chine 2 (1987) et Mister Dynamite (1986)) et le polar musclé (Police Story (1985), Police Story 2 (1988)), Sammo Hung entame à sa manière un virage voisin.

La comédie d’aventures survoltée Shanghai Express (1986) constitue le versant lumineux de ce renouvellement quand Eastern Condors en représente la part plus sombre. Sammo Hung propose là sa variation hongkongaise du film de commando popularisé dans les années 60/70 par des œuvres comme Les Canons de Navarrone de Jack Lee Thompson (1961) Les Douze Salopards de Robert Aldrich (1967), Quand les aigles attaquent de Brian G. Hutton (1968). Sammo Hung retient davantage l’esprit iconoclaste que patriotique du film de commando dans son approche, avec un postulat égratignant d’office les Etats-Unis, missionnant les « rebus » hongkongais pour nettoyer derrière eux les errances commises durant la guerre du Vietnam. 

Par rapport aux archétypes du film de commando, Hung expédie relativement la présentation des membres de l’escouade (un panneau dépeignant le crime initial inscrit sur leur dossier) et les caractérise en situation, en nous faisant comprendre qu’il s’agit de pauvres bougres ayant vécu des désillusions tragiques lors de leur migration aux Etats-Unis et réduits à cette périlleuse dernière chance. Au départ diversion sacrifiable à la vraie mission, ils en deviennent malencontreusement les acteurs principaux et devront affronter mille dangers pour parvenir à leur fin.

Le mélange des genres et l’art plus ou moins fin de la rupture de ton façon Sammo Hung frappe d’emblée. Après le contexte politisé au vitriol (la scène d’ouverture moquant le drapeau américain), la mort frappe le groupe très vite durant la mission et annonce un vrai chemin de croix sacrificiel. Pourtant les bons mots voire les gags sont légions dans les interactions du groupe, et il faut la menace permanente des Viêt-Cong pour faire office de piqûre de rappel pour ramener le récit à davantage de sérieux. Cet entre-deux est notamment représenté par une Joyce Godenzi (et future épouse de Sammo Hung) qui crève l’écran en guérilleros cambodgienne taciturne, et Yuen Biao en electron libre plus rigolard qui viendra s’ajouter au commando. Sammo Hung, même dans ses œuvres les plus loufoques est donc capable de rupture de ton surprenante et ici cela passe entre autres par les scènes d’action. 

Les fusillades sanglantes, les cascades périlleuses et les impressionnantes explosions pyrotechniques offrent un grand spectacle « classique » mais toujours un peu plus outré que les standards d’action moyen (l’incroyable final entre James Bond et Indiana Jones). Les combats font montre d’un mélange de virtuosité et de sadisme laissant pantois. Sammo Hung revisite avec bien plus d’inventivité le massacre d’une escouade par des combattants camouflés popularisé par Rambo 2 (1985) mais surtout orchestre une barbarie sommaire laissant pantois lors des affrontements physiques. Décapitations et coupages de membres à la machette (dont une fort déroutante lors du final), exécutions sommaires et musique emphatique flattant nos plus bas-instincts, Sammo Hung se délecte dans l’excès et est fort loin des pudeurs grand public d’un Jackie Chan.

La réalisation est des plus efficaces, le rythme alerte, l’émotion fonctionne et les éléments plus « bd » s’intègrent étonnamment bien. Ainsi Yuen Wah introduit pour la première fois sa figure de méchant précieux moustachu, mais redoutable et sadique adversaire. Le mélange d’attitudes maniérées (ce petit rire sournois) et de férocité guerrière rend le personnage mémorable (au point que certains spectateurs le pensaient interprété par un Japonais sans reconnaître l’acteur) et d’autant plus délectable le sort que lui réserve Sammo Hung. En définitive les penchants les plus douteux de Hung (nationalisme, machisme) se fondent dans un dosage habile rendant les écarts aussi surprenants que jubilatoires. 


 Sorti en dvd zone 2 français chez Metropolitan

mercredi 26 février 2025

Dortoir des grandes - Henri Decoin (1953)


 L'inspecteur Désiré Marco enquête dans un collège de province suite au meurtre de l'une des pensionnaires retrouvée étranglée. Et si le coupable se cachait du côté des autres collégiennes, moins sages qu'elles n'y paraissent ?

Henri Decoin signe avec Dortoir des grandes une très plaisante comédie de mœurs. Le film adapte le roman 18 Fantômes de Stanislas-André Steeman, romancier plébiscité par le cinéma français depuis le succès de L’Assassin habite au 21 de Henri-Georges Clouzot (1942) puisque suite à ce dernier pas moins de sept adaptations suivront dont le fameux Quai des orfèvres (1947) de nouveau signé Clouzot. Tout comme dans ces deux films, l’argument policier et plus particulièrement la dimension de whodunit que partagent L’Assassin habite au 21 et Dortoir des grandes, le film d’Henri Decoin privilégie l’étude de caractères au suspense. La couleur est annoncée durant la scène d’ouverture durant laquelle l’inspecteur Marco (Jean Marais) est briefé avec humour et désinvolture par son supérieur et mentor le commissaire Broche (Pierre Morin). La bonhomie de flic « à l’ancienne » de ce dernier se heurte aux spécificités d’un environnement doublement complexe, que ce soit la bourgeoisie provinciale ou le monde secret des adolescentes.

Marco, caractérisé comme un jeune novice gauche (alors que Jean Marais avait déjà la quarantaine) se voit ainsi pris de haut par la directrice du pensionnat (Denise Grey) et gentiment moqué par les jeunes élèves espiègles. C’est pourtant cette supposée maladresse et jeunesse qui va créer une certaine proximité de Marco avec les suspectes de ce cadre, susciter une confiance qui permettra les confidences afin de livrer les secrets de ce vernis sage. Un des atouts d’Henri Decoin pour cela est d’exagérément jouer du sex-appeal de sa star Jean Marais. Plusieurs séquences le montrent comme dépassé par les évènements, et cela avant tout à cause du désir qu’il suscite chez l’ensemble du casting féminin. Cela commence avec la scène dans sa chambre d’hôtel où il est plusieurs fois interrompu par la servante (Jeanne Moreau) se délectant de son corps torse nu. On aura ensuite la très audacieuse pensionnaire incarnée par Françoise Arnoul tentant à plusieurs reprises une séduction aussi naïve qu’effrontée envers Marco, notamment lors d’un rendez-vous nocturne dans une cabane. 

Cet atout charme déverrouille les cloisons qui seraient restées fermées à un policier traditionnel, et sont l’occasion pour Decoin de nombreuses affèteries formelles et de quelques menues provocations. Lorsque Marco s’introduira en douce dans le dortoir des jeunes filles et sera malmené par ces dernières, le sein d’une pensionnaire se révèle tandis que de multiples inserts sur les parties nues de leurs chemises de nuit déchirées se laissent voir. Tout en générant de plaisants instants de pure comédie (le mariage et la filiation que s’invente maladroitement Marco avec de fausses photos pour repousser les assauts féminin), cette immersion de Marco devient pertinente et vectrices des vérités cachées du lieu. 
Intéressantes dans l’idée quand elles passent par le seul dialogue, les révélations deviennent jubilatoires quand Decoin se repose uniquement sur des idées formelles. La culpabilité d’une enseignante entretenant une liaison saphique avec une élève (Dany Carel débutante) est l’occasion d’un plan étonnant durant lequel le visage de Jean Marais se reflète dans le bijou d’une bague – cette dernière étant aussi l’indice d’une autre tentative de meurtre récente. Cette approche culmine bien sûr durant la confrontation finale voyant la coupable démasquée par les films amateurs tournés par la défunte qui avait capturé là l’envers plus sulfureux de ce pensionnat respectable.

On pourra regretter que malgré quelques amorces pertinentes, la dénonciation de l’hypocrisie bourgeoise provinciale soit plus timide sorti du microcosme du pensionnat, alors qu’une peinture au vitriol façon Chabrol avant l’heure était possible. La directrice suggère ainsi de trouver un coupable, n’importe lequel, parmi la populace sans entacher la réputation de son établissement et de ses élèves de bonnes familles. Il y a aussi ce croustillant personnage de photographe érotomane incarné par Louis de Funès (partageant un bref instant l’écran avec Jean Marais avant la trilogie Fantomas), mais de même les dialogues davantage que les situations abordent cet aspect sulfureux - n'oublions pas la mère de l'élève défunte empochant l'héritage avec son amant gigolo. Dortoir des grandes n’en demeure pas moins un divertissement plaisant que Decoin parvient ici et là d’imprégner de touches plus personnelles (la célébration du sport et de l’effort physique lors d’une séquence d’exercice en plein air), et qui révèle dans son casting plusieurs talent en germe du cinéma français des années à venir.

Sorti en bluray français chez Gaumont

lundi 24 février 2025

Compañeros - Vamos a matar, compañeros, Sergio Corbucci (1970)


 Yoladf, un trafiquant d'armes, doit vendre son matériel pour une "guérilla", mais l'argent est bloqué dans le coffre d'une banque. La combinaison est seulement connue du professeur Xantos, prisonnier des Américains. Yoladf, accompagné par une équipe de professionnels, va faire évader cet homme dont il a tant besoin.

Compañeros est la pièce centrale d’une trilogie de Sergio Corbucci s’inscrivant dans le western « Zapata », suivant El mercenario (1969) et précédant Mais qu'est-ce que je viens foutre au milieu de cette révolution ? (1972). Le western Zapata est un sous-genre du western italien, se caractérisant par son cadre de la Révolution Mexicaine et un propos très politisé souvent en rapport avec le contexte géopolitique contemporain. Le film fondateur du genre sera El Chuncho de Damiano Damiani (1966) qui en pose la structure presque immuable mais sujette à de nombreuses variations sur le même thème. Il s’agit de l’association et de la confrontation entre un occidental (souvent américain) cynique et un peon mexicain ignare au cœur de ce cadre agité de la Révolution Mexicaine, l’aventure les amenant à un rapprochement amical et possiblement idéologique. Des cinéastes engagés comme Damiano Damiani et Sergio Sollima renforcent l’écho du message politique dans leurs western Zapatta, notamment sous la plume d’un scénariste politisé comme Franco Solinas voyant dans le western une voie plus accessible pour affirmer son propos auprès d’un public populaire.

Ces films, sans forcément être sentencieux, s’avèrent donc très affirmés dans leur message de gauche, alors que Sergio Corbucci semble, notamment sur Compañeros (il sera plus contraint sur El Mercenario avec le scénario justement rédigé par Franco Solinas), davantage faire un pas de côté même si le duo gringo cynique/peon dépolitisé est reconduit. Alors que Franco Nero semble reprendre son personnage de dandy désinvolte de El Mercenario, c’est Tomás Milián qui endosse avec gouaille et énergie celui du peon Vasco. Après des débuts dans un cinéma d’auteur plus intellectuel et une formation classique, l’acteur avait trouvé un second souffle dans le cinéma italien et plus particulièrement le western en devenant l’idole des publics du tiers-monde grâce à la trilogie « Cuchillo » de Sergio Sollima (Colorado (1966), Le Dernier face à face (1967), Saludos Hombre (1968)) qui marque cette bascule de son registre. La première partie du film joue ainsi plus particulièrement sur l’opposition des deux personnages, celle-ci relevant avant tout du rang social et du bagage intellectuel - prolongée par les différences physique, l'élégance et la blondeur stoïque de Nero aux yeux bleux, l'agitation et la présence débraillée du "métèque" Milian-, même si la finalité de leur contribution à la révolution n’est pas si éloignée. 

Passé l’introduction qui amorce le flashback, Corbucci s’amuse du chaos et de la ronde des tyrans lorsque Vasco, cirant les bottes du dominant militaire du moment, a un sursaut de fierté sanglante face à celui-ci mais tombe de Charybde en Scylla lorsque l’échauffourée qui s’ensuit le met sous la coupe de Mongo (José Bódalo). Le péon est un être qui subit les évènements dans le contexte de la Révolution, et se range presque par instinct de survie animale vers la main qui l’épargne et le nourrit, quitte à se perdre. A l’inverse, le « Suédois » (Franco Nero) est montré comme un être distant aux évènements et cupide, usant au contraire de ses atouts sociaux et intellectuels pour s’offrir au plus offrant dans cette poudrière mexicaine. Quelques scènes démontrent que sous ces archétypes les deux personnages n’ont pas un si mauvais fond, sont capable d’empathie et ne demande qu’à être « éveillés ». Le terme « éveillé » est plus en adéquation avec le propos de Corbucci que celui « d’éduqués » qu’on emploierait plus aisément pour aborder la naissance d’une conscience politique chez l’individu.

Ainsi la première partie est un pur récit picaresque durant lequel chacun des héros incarne pleinement l’archétype qui le définit : roublard et individualiste pour le Suédois, débrouillard mais naïf avec Vasco – l’hilarante scène où il est dépassé par les talents d’amante d’une prostituée. Les péripéties comiques et les morceaux de bravoure spectaculaires s’enchaînent avec frénésie tandis que le duo apprend à se connaître à coup de trahison et de rabibochage. « L’éveil » viendra durant la seconde partie avec un troisième larron s’ajoutant au voyage, le leader pacifiste Xantos (Fernando Rey). Là où le scénario d’un Franco Solinas aurait asséné son message à coup de tirades appuyées, Sergio Corbucci construit l’engagement de ses personnages dans l’action. Vasco est surpris par l’empathie de Xantos qui force le Suédois à revenir sur ses pas pour le sauver tandis que le cynisme de ce dernier est ébranlé par tant de bienveillance. 

Le « prisonnier » devient par son calme et son éloquence un mentor et une figure paternelle pour le duo, une dynamique explicitement illustrée lorsqu’il tente de calmer un sévère bagarre entre eux. Corbucci entremêle les métaphores qui auraient pu sembler simplistes à une vraie logique dramatique, telle la fascination de Xantos pour une race de tortue qu’il va collecter durant le périple. Le pas de côté du réalisateur existe dans cet aparté où une logique simple (mais pas simpliste) influence la vision du monde jusque-là uniforme (dans la cupidité pour le Suédois, la survie pour Vasco) de Vasco et le Suédois.

Corbucci oppose d’ailleurs à ses héros des personnages miroirs qui resteront dans la caricature malfaisante chacun à leur manière. Mongo est un chef de guerre mexicain opportuniste voyant la révolution comme un moyen de s’enrichir (José Bódalo ayant d’ailleurs déjà joué ce type de figure pour Corbucci dans Django (1966), tandis que John (Jack Palance) est quant à lui ce gringo désinvolte et bras armé des businessmen américains dont il protège les intérêts moyennant finance. Jack Palance en fait un méchant fascinant, flottant au-dessus des évènements dans les volutes de marijuana, et représentant aussi ce mélange d’allégorie et de pure efficacité narrative recherchée par Corbucci – le faucon de John symbole des Etats-Unis mais aussi implacable prédateur volant traquant nos héros. 

Fort de ces différents niveaux de lecture jamais appuyés, Corbucci peut ainsi célébrer un bel entre-deux. Le dogme pacifiste de Xantos se heurte à la réalité violente de la révolution, et la nature même des péripéties s’en ressent. La première partie immorale mais jouissive s’oppose à la seconde à l’action plus incarnée où l’on a réellement peur pour les personnages, avec en point d’orgue la spectaculaire mais « facile » scène d’évasion alors qu’une traversée de frontière initialement calme provoquera une tension bien plus grande. Le jusqu’au-boutisme pacifiste de Xantos sera louable au point d’en faire un quasi saint, mais c’est bien la désobéissance par les armes de ses jeunes ouailles qui constituera le point de bascule à sa cause. 

Corbucci ne fustige aucune approche, mais par sa fausse simplicité exprime paradoxalement la complexité d’un monde les approches uniformes, même les plus nobles, se heurtent à la réalité. C’est captivant de bout en bout, chaque questionnement se fondant dans une énergie picaresque d’ensemble qui ne se dément jamais et offre son moment « d’éveil » à chacun des protagonistes – le « butin » retrouvé dans le coffre par le Suédois et la leçon qu’il devra en tirer. La dernière scène vibre de cette fougue à travers des archétypes qui vacillent encore pour pencher vers le même objectif, celui de la Révolution et de l’aventure. 

Sorti en bluray français chez Carlotta