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vendredi 29 avril 2011
Samedi soir, dimanche matin - Saturday Night and Sunday Morning, Karel Reisz (1960)
Dans les années 1960, à Nottingham, Arthur, un ouvrier de 24 ans, le week-end venu, s’étourdit dans les pubs pour oublier sa condition sociale précaire malgré son travail consciencieux à l’usine. Dès le samedi, la bière coule à flots pour lui et ses copains. Sa maîtresse, Brenda, une femme plus âgée que lui et épouse d’un de ses collègues de travail, lui est très attachée. Mais Arthur est bientôt attiré par une jeune fille de son âge, Doreen, une nouvelle relation qui a pour effet de rompre avec son morne quotidien.
Saturday Night and Sunday Morning est un des films manifeste du "free cinéma" anglais, mouvement britannique des sixties équivalent à la Nouvelle Vague française même si plus politiquement engagée que cette dernière. Le phénomène trouve d'ailleurs en partie son origine du côté littéraire puisque certaines de ses préoccupation se retrouvent déjà chez les Angry Young Men, groupe de jeunes auteurs britanniques apparus durant les années cinquante. Leurs écrits se caractérisaient par la touche authentique et réaliste des milieux prolétaires dépeints, que ce soit les personnages type working class heroes favorisant une écriture au langage simple ou dans les situations issues du quotidien qui leur vaudront également le qualificatif de kitchen sink drama (variation du terme Kitchen sink painters attribué au peintres réalistes anglais des années 40/50). Le film de Karel Reisz adapte donc un des livres les plus culte du mouvement, écrit par Alan Sillitoe (qui en signe également le scénario) en 1958 et qui verra un autre de ses écrits transposé dans le cadre du free cinéma avec La Solitude du Coureur de fond réalisé en 1962 par Tony Richardson (ici producteur).
Saturday Night and Sunday Morning c'est donc aussi et surtout l'histoire d'un jeune homme en colère, ce Arthur incarné avec une fougue et authenticité peu commune par le jeune Albert Finney qui crève l'écran pour son premier rôle au cinéma. La vie d'Arthur se partage entre les semaines morne où il ronge son frein à l'usine et le weekend où enchaîne les beuveries épique au pub avec ses amis et aligne les conquête féminines. Car Arthur a trouvé la solution parfaite pour s'évader de ce Nottingham grisâtre, se ficher de tout et de tout le monde et n'en faire qu'à sa tête. Albert Finney campe ainsi un personnage impulsif et imprévisible dans ses actes comme ses propos, un gamin espiègle qui n'a aucune envie de grandir comme le montre d'hilarantes scènes où il joue de bien mauvais tours à ses congénères comme placer un rat mort au poste d'une collègue d'usine ou tirer au fusil à plomb dans la fesse d'une voisine récalcitrante.
Arthur ne cherche qu'à vivre au jour le jour et sans attache, et le mariage aboutissement logique de tout les jeune gens de son âge est synonyme de prison à laquelle il faut échapper. Le film se fait le portrait d'une certaine Angleterre de l'après guerre résignée et sans perspectives. Les quidams qui ont connus la guerre et les privations se contentent aisément d'un travail modeste et monotone qui leur apporte sécurité, la télévision étant une distraction bien suffisante et ils n'aspirent finalement à rien d'autres. La génération suivante, celles de leurs enfants ne se reconnaît pas dans cette perspective toutes tracée mais le film montre finalement l'impasse de ces jeunes gens face aux possibilités d'avenir terriblement limitées.
Pour Arthur, l'étau va même se resserrer dangereusement lorsqu'il mettra enceinte une amante mariée où à travers la rencontre d'une jeune fille (Shirley Anne Field) plus délicate que ses conquêtes habituelles. Le filme nous promène ainsi au fil des pérégrinations quotidiennes et des pensées de Arthur dans une ligne narrative ténue et liées aux états d'âmes de son héros. La mise en scène de Karel Reisz est une alliance d'authenticité (qui se réperrcute dans les dialogues et situations où on évoque ouvertement le sexe, l'avortement...) et d'élégance nous faisant visiter les recoins les plus prolétaires de Nottingham avec ses pubs enfumés ou la pinte coule à flot, les plans d'ensemble de paysage avec cheminées d'usines à pertes de vues, espaces ruraaux de plus en plus restreint, petites ruelles où jouent les gamins...
La photo de Freddie Francis propose un noir et blanc somptueux et tout en nuances qui capte la vérité ce cadre tout en lui conférant une recherche visuelle toute cinématographique. La description est d'ailleurs loin d'être négative et avec le temps c'est une vraie nostalgie qui se dégage pour cette Angleterre chaleureuse et faîtes de plaisir simple comme la promenade dominicale à bicylette, les excursion à la pêche, les sorties au dancing (belle bande son mod jazzy du et bien évidemment les réunions au pub. La conclusion laisserait notre héros presque rangé mais rien n'est moins sûr tant rien ne laisse totalement penser que sa nature indomptée saura être domestiquée surtout quand on sait que la société anglaise sera amenée à être bien plus libérée dans un avenir proche.Le film est un immense succès et multipliera les récompenses en Angleterre pour son acteur principal et son réalisateur promis à un bel avenir.
Saturday Night and Sunday Morning a également un immense impact sur la culture pop anglaise jamais démentie à ce jour. La chanson des Smiths There is a light that never goes out de l'album The Queen is dead s'inspire d'une phrase de Doreen (I want to go where there's life and there's people devenant I want to see people and I want to see life) tandis que le titre du premier album des Arctics Monkeys Whatever People Say I Am, That's What I'm Not (dont la pochette affiche le visage d'un pur lads glandeur clope au bec à la Albert Finney) reprend une des répliques cultes d'Arthur. On peut ajouter un titre des Stranglers et aussi de Madness en 1999 intitulé Saturday Night and Sunday Morning en hommage au film pour mesurer son importance dans l'appel à un nouvel idéal de vie pour les jeunes anglais.
Sorti en dvd zone 2 français chez Doriane Films mais l'édition est un peu chère donc éventuellement opter pour le zone 1 bien moins onéreux sorti chez MGM et dotée se dous -titres français. Ensuite pour les anglophones il existe une belle édition collector sorti en zone 2 anglais dotés de sous-titres anglais et les plus équipés peuvent même tenter le très beau bluray édité récemment et également doté de sous-titres anglais.
Bande annonce
Et pour rester dans l'esprit pop anglais un montage du film sur le morceau des Last Shadow Puppets, My mistake was made for you
jeudi 28 avril 2011
Vera Cruz - Robert Aldrich (1954)
Mexique, 1866. Alors que la révolution fait rage, l’empereur Maximilien (George Macready) engage le bandit Joe Erin (Burt Lancaster) et un ancien officier de l’armée sudiste, Benjamin Trane (Gary Cooper), tous deux réfugiés au Mexique, afin de convoyer la comtesse Marie Duvarre (Denise Darcel) jusqu’à Vera Cruz.
Vera Cruz fait partie, avec Bronco Apache, Attaque et En Quatrième Vitesse du tir groupé qui enflamma la critique française sur le cas Aldrich, au milieu des années 50. Tous ces films de début de carrière témoignent de l’aspect frondeur d'Aldrich, qui bouscula le cinéma américain d’alors en malmenant ses genres, thématiquement et visuellement. Ainsi le virulent Bronco Apache s’affirmait comme un des premiers westerns pro indien, tandis que En quatrième vitesse amenait un surplus de sadisme et d’onirisme dans le film noir. Attaque quant à lui égratignait avec brio l’institution de l’armée. Vera Cruz ne déroge pas à la règle, annonçant les profonds bouleversements à venir dans le western.
La grosse rupture qu'apportera le western spaghetti n'est censée intervenir que dix ans plus tard avec Pour une poignée de dollars de Sergio Leone, mais Vera Cruz en comporte déjà tous les éléments. Hormis dans le Viva Zapata d'Elia Kazan (davantage film historique que western), le contexte de la révolution mexicaine n'était pas si fréquent jusque là, dans le western américain, alors que foultitude de westerns spaghetti et de suiveurs américains la prendront pour cadre par la suite. Cela donnera un des plus fameux sous-genres du western spaghetti, appelé le « western Zapata », très politisé, et offrira quelques grands films tels que El Chuncho de Damiano Damiani. Cependant, alors que ces films faisaient l’éloge du péon inculte et crasseux, Aldrich fait de ses héros des américains cyniques en quête de fortune.
Autre point de rupture par rapport au western américain de l’époque, la violence. Le film laisse la part belle à des élans de brutalité assez inouïs, telle cette scène d'embuscade ou la Comtesse abat un adversaire d’une balle en pleine tête ou encore Lancaster plantant avec une délectation sadique une lance dans la gorge d’un ennemi lors du finale. À cet égard, la galerie de trognes menaçantes constituant les seconds rôles n'est pas non plus en reste. On trouve ainsi des futurs habitués du cinéma d'Aldrich, avec entre autres Ernest Borgnine, un tout jeune Charles Bronson (encore nommé Buchinsky au générique) ou encore Jack Elam (second rôle régulier et surtout connu comme l'un des trois tueurs accueillant Bronson au début d'Il était une fois dans l’Ouest).
La caractérisation des personnages obéit aussi en tous points aux futurs canons du western spaghetti. Sans foi ni loi, pistoleros virtuoses aux facultés surhumaines, les héros offrent un mélange de cynisme et d’humour potache, où la tonalité du film d’aventure annonce largement Le Bon, La Brute et Le Truand. Sergio Leone s’est d’ailleurs toujours réclamé de l’influence d'Aldrich, bien que les deux hommes aient eu une collaboration plutôt houleuse sur le péplum Sodome et Gomorrhe, tourné à Cinecittà avec le réalisateur italien dirigeant la seconde équipe. Tout cela est parfaitement condensé à travers la prestation mémorable de Burt Lancaster en Joe Erin. Tout de noir vêtu, barbe de trois jours et sourire carnassier, Lancaster offre une interprétation toute en désinvolture arrogante. Tel un Tuco quelques années plus tard, il offre un mélange détonant de crapulerie et de sympathie.
Vera Cruz constitue la deuxième collaboration entre Aldrich et Burt Lancaster (le tout aussi bon Fureur Apache suivra quelques années plus tard). L’acteur fut un des premiers à donner sa chance à Aldrich, à qui il confia Bronco Apache par l’intermédiaire de sa société de production Hecht-Lancaster. Après cette grande réussite, le réalisateur eut bien plus de liberté, bousculant grandement les règles établies du genre et ldonnant largement libre cours à l’improvisation sur le tournage. Le scénario signé Roland Kibee (plus tard réalisateur du très bon Valdez is coming avec Lancaster) et James R. Chase fut donc constamment remanié. Il contribue d'ailleurs à l’élan de légereté et de spontaneité qui traverse le film malgré la violence et la noirceur. Cependant, en dépit de tous les dérapages, Aldrich parvient à maintenir un certain classicisme dans la thématique du film.
Si Lancaster incarnait tous les excès à venir du western transalpin, le personnage de Gary Cooper constitue lui l'ancrage dans la tradition plus classique du western américain. Même s'il s'associe aux méfaits de Lancaster, c'est un homme ayant perdu ses illusions et ses biens lors de la Guerre de Sécession, qui semble prêt lui aussi à livrer ses services au plus offrant. Mais le contact avec les rebelles Juaristes va lui rappeler les nobles sentiments qui l'animaient jadis et lui redonner le lustre du héros américain vertueux. En opposition à l’archange noir Lancaster, Cooper incarne le chevalier blanc. Il offre une interprétation subtile, traduisant toutes les nuances et contradictions de son personnage, forcé de garder sa droiture parmi toutes ces canailles.
Le traitement du film, que l’on doit à Borden Chase, est sans doute ce qui maintient l’équilibre entre innovations et continuité. Ce dernier est en effet l’auteur chevronné des scripts de La Rivière Rouge de Howard Hawks, Les Affameurs et Je suis un aventurier pour Anthony Mann ou L’Homme qui n’a pas d’étoile de King Vidor. Au final, Aldrich livre un spectacle mené tambour battant, aux séquences d'actions survoltées et culminant en conclusion lors de l'assaut de la garnison impériale. Le clou du film demeurant le duel final Cooper/Lancaster, un des plus mythiques du genre et auquel Alex de La Iglesia rendra un magnifique hommage dans son Perdita Durango en 1997. De plus, malgré le cadre du divertissement, le réalisateur conserve son esprit corrosif dans la description des nobles et dirigeants, au moins aussi pourris et vénaux que les crapules qu'ils engagent, notamment la Comtesse Duvarre jouée par la française Denise Darcel. Grand film !
Sorti en dvd zone 2 français chez MGM et je crois déjà (ou bientôt) disponible en bluray également.
Vera Cruz fait partie, avec Bronco Apache, Attaque et En Quatrième Vitesse du tir groupé qui enflamma la critique française sur le cas Aldrich, au milieu des années 50. Tous ces films de début de carrière témoignent de l’aspect frondeur d'Aldrich, qui bouscula le cinéma américain d’alors en malmenant ses genres, thématiquement et visuellement. Ainsi le virulent Bronco Apache s’affirmait comme un des premiers westerns pro indien, tandis que En quatrième vitesse amenait un surplus de sadisme et d’onirisme dans le film noir. Attaque quant à lui égratignait avec brio l’institution de l’armée. Vera Cruz ne déroge pas à la règle, annonçant les profonds bouleversements à venir dans le western.
La grosse rupture qu'apportera le western spaghetti n'est censée intervenir que dix ans plus tard avec Pour une poignée de dollars de Sergio Leone, mais Vera Cruz en comporte déjà tous les éléments. Hormis dans le Viva Zapata d'Elia Kazan (davantage film historique que western), le contexte de la révolution mexicaine n'était pas si fréquent jusque là, dans le western américain, alors que foultitude de westerns spaghetti et de suiveurs américains la prendront pour cadre par la suite. Cela donnera un des plus fameux sous-genres du western spaghetti, appelé le « western Zapata », très politisé, et offrira quelques grands films tels que El Chuncho de Damiano Damiani. Cependant, alors que ces films faisaient l’éloge du péon inculte et crasseux, Aldrich fait de ses héros des américains cyniques en quête de fortune.
Autre point de rupture par rapport au western américain de l’époque, la violence. Le film laisse la part belle à des élans de brutalité assez inouïs, telle cette scène d'embuscade ou la Comtesse abat un adversaire d’une balle en pleine tête ou encore Lancaster plantant avec une délectation sadique une lance dans la gorge d’un ennemi lors du finale. À cet égard, la galerie de trognes menaçantes constituant les seconds rôles n'est pas non plus en reste. On trouve ainsi des futurs habitués du cinéma d'Aldrich, avec entre autres Ernest Borgnine, un tout jeune Charles Bronson (encore nommé Buchinsky au générique) ou encore Jack Elam (second rôle régulier et surtout connu comme l'un des trois tueurs accueillant Bronson au début d'Il était une fois dans l’Ouest).
La caractérisation des personnages obéit aussi en tous points aux futurs canons du western spaghetti. Sans foi ni loi, pistoleros virtuoses aux facultés surhumaines, les héros offrent un mélange de cynisme et d’humour potache, où la tonalité du film d’aventure annonce largement Le Bon, La Brute et Le Truand. Sergio Leone s’est d’ailleurs toujours réclamé de l’influence d'Aldrich, bien que les deux hommes aient eu une collaboration plutôt houleuse sur le péplum Sodome et Gomorrhe, tourné à Cinecittà avec le réalisateur italien dirigeant la seconde équipe. Tout cela est parfaitement condensé à travers la prestation mémorable de Burt Lancaster en Joe Erin. Tout de noir vêtu, barbe de trois jours et sourire carnassier, Lancaster offre une interprétation toute en désinvolture arrogante. Tel un Tuco quelques années plus tard, il offre un mélange détonant de crapulerie et de sympathie.
Vera Cruz constitue la deuxième collaboration entre Aldrich et Burt Lancaster (le tout aussi bon Fureur Apache suivra quelques années plus tard). L’acteur fut un des premiers à donner sa chance à Aldrich, à qui il confia Bronco Apache par l’intermédiaire de sa société de production Hecht-Lancaster. Après cette grande réussite, le réalisateur eut bien plus de liberté, bousculant grandement les règles établies du genre et ldonnant largement libre cours à l’improvisation sur le tournage. Le scénario signé Roland Kibee (plus tard réalisateur du très bon Valdez is coming avec Lancaster) et James R. Chase fut donc constamment remanié. Il contribue d'ailleurs à l’élan de légereté et de spontaneité qui traverse le film malgré la violence et la noirceur. Cependant, en dépit de tous les dérapages, Aldrich parvient à maintenir un certain classicisme dans la thématique du film.
Si Lancaster incarnait tous les excès à venir du western transalpin, le personnage de Gary Cooper constitue lui l'ancrage dans la tradition plus classique du western américain. Même s'il s'associe aux méfaits de Lancaster, c'est un homme ayant perdu ses illusions et ses biens lors de la Guerre de Sécession, qui semble prêt lui aussi à livrer ses services au plus offrant. Mais le contact avec les rebelles Juaristes va lui rappeler les nobles sentiments qui l'animaient jadis et lui redonner le lustre du héros américain vertueux. En opposition à l’archange noir Lancaster, Cooper incarne le chevalier blanc. Il offre une interprétation subtile, traduisant toutes les nuances et contradictions de son personnage, forcé de garder sa droiture parmi toutes ces canailles.
Le traitement du film, que l’on doit à Borden Chase, est sans doute ce qui maintient l’équilibre entre innovations et continuité. Ce dernier est en effet l’auteur chevronné des scripts de La Rivière Rouge de Howard Hawks, Les Affameurs et Je suis un aventurier pour Anthony Mann ou L’Homme qui n’a pas d’étoile de King Vidor. Au final, Aldrich livre un spectacle mené tambour battant, aux séquences d'actions survoltées et culminant en conclusion lors de l'assaut de la garnison impériale. Le clou du film demeurant le duel final Cooper/Lancaster, un des plus mythiques du genre et auquel Alex de La Iglesia rendra un magnifique hommage dans son Perdita Durango en 1997. De plus, malgré le cadre du divertissement, le réalisateur conserve son esprit corrosif dans la description des nobles et dirigeants, au moins aussi pourris et vénaux que les crapules qu'ils engagent, notamment la Comtesse Duvarre jouée par la française Denise Darcel. Grand film !
Sorti en dvd zone 2 français chez MGM et je crois déjà (ou bientôt) disponible en bluray également.
mercredi 27 avril 2011
L'Aventure vient de la mer - Frenchman's Creek, Mitchell Leisen (1944)
L'élégante Dona St Columb s'ennuie à mourir dans sa vie londonienne trop balisée. Elle cherche surtout à échapper aux propositions inconvenantes du meilleur ami de son mari, lord Rockingham. Elle prend ses cliques et ses claques et s'en va s'installer dans son château de Cornouaille. Elle y fait la connaissance d'un corsaire français, Jean Benoit Aubrey. Rien ne semble pouvoir rapprocher ces deux êtres que tout, patrie, origines et formation, sépare. Pourtant, l'amour les unit bientôt, au point de placer Dona St Columb devant un choix difficile...
Après le légendaire Rebecca Joan Fontaine incarnait à nouveau une héroïne issue de l'imagination de Daphné Du Maurier pour ce film plus oublié semble t il mais délicieux de bout en bout. Mitchell Leisen n'a pas son pareil pour soigner ce genre de beau récit romanesque et ce Frenchman Creek ne fait pas exception. Joan Fontaine y incarne donc ici une duchesse qui lasse des soirées mondaine ennuyeuses et des rencontres désagréables agrémentant son quotidien londonien terne quitte mari et domicile conjugale pour se réfugier dans son domaine de Navron en Cornouailles. Là c'est d'étranges secrets que semblent abriter la demeure entre un serviteur malicieux (Cecil Kellaway excellent) et les traces des passages fréquents d'un autre visiteur. Celui-ci s'avéra être un très séduisant pirate français (Arturo de Cordova) caché dans les environs et qui met à mal les équipages anglais alentour.Un des grands atouts du film c'est vraiment la prestation étincelante de Joan Fontaine. Avec le temps on se souvient finalement bien plus de ses rôles mélodramatiques dans Rebecca ou Lettre d'une Inconnue et de cette image fragile et effacée. Du coup son interprétation de femme fougueuse, déterminée et insouciante amène un sacré panache à l'ensemble, du début où elle rabroue son pénible mari en passant par le meilleur passage du film lorsqu'elle adopte le temps d'une nuit une pure existence de pirate. Il faut d'ailleurs la voir tout sourire s'enfuir au petit matin comme une adolescente rejoindre son pirate ou vers la fin partir dans un grand numéro de charme pour retarder les poursuivants encore attablés.
Arturo de Cordova est également fort convaincant tout en séduction et prestance latine pour compléter le tempérament volcanique de Joan Fontaine. La romance est d'ailleurs très bien amenée et montrant comment chacun vient compléter les manques de l'autre. Le pirate découvre une passion soudain plus importante que l'appel de la mer et la duchesse elle un goût de l'évasion motivé par une flamme amoureuse retrouvée. La construction du film est idéalement pensé avec une longue première partie où on se laisse aller au rythme de cette romance naissante qui sera mise à mal durant la pluie de péripéties de la seconde.
Mine de rien le film s'avère même assez audacieux dans son érotisme. On le ressent dans la manière dont est mise en valeur la beauté radieuse de Joan Fontaine (dévoilant ses jambes au début ou dissimulant son décolleté devant le regard trop insistant du Frenchman) de manière plus parlante le temps d'une scène où la duchesse et le pirate évoquent fort peu convaincus une partie de pêche pour occuper leur après midi suivi d'une ellipse millimétrée où on a aucun mal à comprendre qu'ils ont trouvés bien mieux à faire sans que rien ne nous soit montrés.
Esthétiquement le film est une vrai splendeur, le technicolor de Georges Barnes participant à la flamboyance romanesque par les éclats irréels qu'il donne à cette région côtière. Hormis une incrustation un peu voyante et laide au début, les scènes en mer sont donc toute somptueuses dans un registre paisible ou plus palpitant lors de la longue séquence d'escapade et comme toujours avec Leisen les costumes superbes. Après tant de légèreté la dernière partie plus dramatique et rocambolesque s'avère tout aussi efficace et réserve encore de beaux moments (les échanges à double sens entre Joan Fontaine et Arturo de Cordova face aux otages et en prison) et bien qu'on le voit assez peu Basil Rathbone impose à nouveau une sacrée figure de méchant au châtiment sanglant. L'attendu déchirement final s'avère fort poignant par la grâce de Joan Fontaine à l'aise dans tout les registres et achève de conclure la chose sur une note émue et émerveillée. Excellent !
Fim assez dur à trouver (la preuve même pas pu trouver une petite vidéo) car inédit en dvd zone 2 français ou zone 1 américain mais néanmoins sorti dans une édition dvd espagnole en vo non sous-titrée un peu chère ceci dit...
mardi 26 avril 2011
Torpilles sous l'Atlantique - The Enemy Below, Dick Powell (1957)
Au début de la Seconde Guerre Mondiale, Murrell (Robert Mitchum), alors capitaine d’un cargo commercial, est torpillé par un sous-marin allemand et perd son épouse dans le naufrage. Recueilli après avoir passé vingt-cinq jours sur un radeau, il accepte le commandement d’un destroyer car il préfère, dit-il, « être du bon côté du canon ». Son passé de « civil » inspire une certaine méfiance à ses hommes, mais l’occasion se présente bientôt pour lui de prouver ses capacités. L'asdic (ancêtre du sonar)détecte en effet la présence d’un sous-marin allemand. Celui-ci, commandé par Von Stolberg (Curd Jürgens), a également repéré son ennemi mais, fort habilement, Murrell se maintient toujours à la même distance afin que le signal émis par son navire passe pour un faux écho.
Un excellent suspense maritime montre que quelques années après le conflit les films de consacrée à la Deuxième Guerre Mondiale pouvait montrer une vision plus nuancée ou équilibrée des belligérants. Nous avons donc ici un long et haletant duel entre un destroyer américain et un sous-marin allemand dont les deux capitaine se livre à une redoutable partie d'échecs pour parvenir à la destruction de l'autre. Le début est un modèle d'introduction qui illustre parfaitement le côté non manichéen de l'entreprise dans les différences et points communs entre Murrell (Robert Mitchum) et Stollberg (Curd Jurgens).
Mitchum incarne un capitaine dans la force de l'âge qui semble avoir tout à prouver à son nouvel équipage (notamment le fait d'être sujet au mal de mer) et affirme un volontarisme énergique. A l'inverse Curd Jurgens est un vieil officier usé et peu concerné par l'idéologie nazie, nostalgique de la Grande Guerre bien plus noble à ses yeux. Le script n'élude bien sûr pas la présence de vrai nazis du côté allemand (surtout un en fait) mais cherche surtout à montrer les similitudes entre ces deux professionnels, ces deux équipages tous peuplés de jeunes matelots que les circonstances amènent à s'affronter.
Powell dépeint donc de manière tout aussi forte les prouesses stratégiques de chaque camps et faire des allemands les "traqués" rééquilibre un un peu notre regard. Le script est d'ailleurs très limpide et compréhensible sur les manoeuvres et faux semblants effectués de part et d'autres, vraiment très efficace. L'autre point fort c'est bien évidement la prouesse technique et le film est vraiment un des plus impressionnant de l'époque, obtenant même l'Oscar des effets spéciaux l'année suivante. Alternant plan truqués et ceux d'un réel destroyer de classe Buckley, maquettes sous-marines soignées et plans large en extérieur renforçant la véracité c'est un vrai tour de force mis en scène avec une belle ampleur par Dick Powell.
Le clou est atteint lors du final dantesque et tendu où le destroyer et le sous-marin allemand entrent en collision et qui multiplient les plans impressionnants. C'est aussi là que se s'accomplit l'idée poursuivie tout au long du film avec le respect mutuel entre les adversaires qui se sont prouvés leur valeur tout au long de l'affrontement. Un beau dernier échange entre Jurgens et Mitchum (tout deux impeccables comme souvent) maintient donc la bonne impression de ce très bon film de guerre.
Sorti en dvd zone 2 français chez Fox
lundi 25 avril 2011
Un Tramway nommé Désir - A Streetcar Named Desire, Elia Kazan (1951)
Après une longue séparation, Blanche Dubois (Vivien Leigh) vient rejoindre sa soeur, Stella (Kim Hunter), à La Nouvelle-Orléans. Celle-ci vit avec son mari, Stanley (Marlon Brando), ouvrier d'origine polonaise, dans le vieux quartier français. Ce dernier n'apprécie guère les manières distinguées de Blanche et cherche à savoir quel a été le véritable passé de sa belle-soeur.
Sexualité plus prononcée et crue par l'introduction des thèmes de Tennessee Williams, consécration de la fameuse méthode Actor's Studio et révélation d'une star immense en la personne de Marlon Brando, Un Tramway nommé Désir est une révolution en tout point au moments de sa sortie. On comprend aisément l'impact qu'a pu avoir le film par ses différentes prises de risques mais si ce qui était novateur hier continue par intermittence à exercer un vrai pouvoir de fascination c'est aussi ce qui le date terriblement et le rend désormais difficile à suivre.
On suit donc la cohabitation difficile entre Blanche Dubois (Vivien Leigh) professeur déchu forcé à venir habiter chez sa soeur Stella (Kim Hunter) et son mari Stanley, orageux ouvrier polonais. La cohabitation est explosive entre l'hypersensibilité de Blanche soumise à rude épreuve par le tempérament de son beau-frère, provoquant tension dans le couple car réveillant les différences de classes certaines (plus que surlignées par les manières rustres de tout les personnages de basses extractions) entre les soeurs et Stanley. Le film détone réellement par son rapport à la sexualité, que ce soit par le dialogue, les situations et la mise en scène de Kazan. Dès la première apparition de Marlon Brando, tout est dit. Kazan adopte le point de vue d'une Vivien Leigh qui se réfugiant de ses angoisses dans une recherche d'affection à finalité sexuelle voit ainsi débouler un homme, un vrai. T-shirt moulant (qu'il tombe à la moindre occasion) moite de sueur, démarche lascive et virilité débordante, Brando impose une figure puissante et marquante. Plus tard ce seront les révélations sur le passé de Blanche, une scène d'une brutalité inouïe entre elle et Stanley où une troublante scène avec un jeune livreur qui viendront appuyer ce fait. Salvateur à l'époque, ce parti pris (d'une fidélité presque totale à la pièce puisque Kazan en fut le metteur en scène au théâtre et que Tennessee Williams en signe lui-même l'adaptation) s'avère aujourd'hui terriblement démonstratif.
On pense bien sûr au moment où Brando après une brutalité envers son épouse enceinte (réfugiée chez la voisine du dessus) l'appelle depuis leur cour d'immeuble pour qu'elle le rejoigne. Tout y passe avec Brando (déjà titulaire du rôle au théâtre mais qui ne semble pas avoir amené le soupçon de retenue nécessaire pour le passage au cinéma) décoiffé et visage déformé par la douleur hurlant Stellaaaaaaaaa, ployant le genou de regret jusqu'à l'arrivée de Stella (le tout en contre plongée jouant sur cette montée de désir) avant qu'ils ne disparaissent dans une étreinte fiévreuse. Spectaculaire mais terriblement lourd surtout que quand Kazan cherche de manière plus sobre à exprimer exactement le même sentiment cela fonctionne bien mieux. Lors d'une autre séquence Blanche sermonne durement sa soeur sur le traitement qu'elle accepte de subir et celle ci acquiesce, mais il suffi que Stanley revienne les muscles saillant et maculé de cambouis pour que toutes ses bonnes résolutions soient oubliés. Un regard, un contrechamps et deux plans résument ce qui a nécessité une escalade grotesque quelques minutes auparavant.
Ce déséquilibre accompagne également l'interprétation de Vivien Leigh. On est forcément touché par ce personnage instable surtout si on fait le rapprochement avec les problèmes psychologiques que connus l'actrice mais là aussi le jeu outré demandé par Kazan rend le tout assez insupportable par instant (même si cela peut être pire dans d'autres de ces films lorsque les acteurs sont moins doués comme La Fièvre dans le sang). Ainsi l'entrevue tout en retenue étrange avec le jeune livreur est réellement troublante et réussie (tout comme les entrevues toutes en minauderies avec Karl Malden très bon également) alors que les longs monologues d'égarements mentaux de Blanche sont des plus poussifs et trahissent malgré le travail sur la photo l'origine théâtrale dans le plus mauvais sens du terme.
Un Tramway nommé Désir souffle ainsi le chaud et le froid durant toute sa (longue) durée et émeut par intermittence lorsqu'il délaisse ses oripeau de grand manifeste artistique pour simplement s'intéresser à ses personnages. L'ultime scène où Vivien Leigh est emmené en maison de repos est un vrai déchirement où l'actrice toujours sur la corde raide de la caricature (et un deuxième Oscar à la clé après Autant en emporte le vent) bouleverse totalement. Son rôle de beauté fanée par les ans et par les hommes offre même un prolongement idéal thématiquement de ses deux meilleures prestation dans Autant en emporte le vent et La Valse dans l'ombre. C'est réellement elle l'âme du film alors que Brando n'en est que la surface. Malgré son apport indéniable on peut préférer les autres adaptation de Tennessee Williams autrement plus réussies à venir comme Soudain l'été dernier de Mankiewicz ou La Chatte sur un toi brulant de Richard Brooks.
Sorti en dvd zone français chez Warner
dimanche 24 avril 2011
Center Stage - Yuen Ling-yuk, Stanley Kwan (1992)
Stanley Kwan met en scène entre documentaires, interviews et images d'archives ce qu'était la vie de Ruan Lingyu, grande actrice du cinéma muet du Shanghaï des années 1920, que l'on aimait comparer à Greta Garbo.
Par sa capacité à écrire des personnages féminins marquants, Stanley Kwan eut droit au qualificatif flatteur de « George Cukor asiatique ». Avec Center Stage, il réalise sans doute son plus beau portrait féminin, tout en nous proposant un vertigineux voyage dans l’histoire du cinéma chinois, des affres de la création et du rapport réel/fiction.
Center Stage, c’est tout d’abord une immense déclaration d’amour à Ruan Lingyu, actrice légendaire de l’âge d’or du cinéma chinois des années 30 et disparue dans des conditions tragiques. Plutôt que de jouer la carte du simple biopic, Stanley Kwan a recours à une solution bien plus complexe pour son hommage. Center Stage est donc autant un portrait de femme qu’une mise en abyme sur le cinéma où le réalisateur multiplie les niveaux narratifs pour aboutir à une forme hybride entre fiction et documentaire. Le récit alterne ainsi biopic où Ruan Lingyu est incarnée par Maggie Cheung avec une sorte de making of inséré à même le film. On assiste ainsi à la préparation de Maggie Cheung pour le rôle, ses réflexions (ainsi que celles de Stanley Kwan) sur Ruan Lingyu liées aux événements se déroulant dans la « fiction » qu’elle compare à sa propre carrière notamment le rapport toujours difficile à la presse.
Le procédé fait ainsi office de vrai livre d’Histoire avec ces va-et-vient entre passé (figé dans une photographie aux couleurs somptueuses et diaphanes de Chiu Tai An-Ping) et présent (dans un noir et blanc plus sobre mais stylisé) où des compléments d’informations sont constamment apportés sur les événements de la vie de Ruan Lingyu que nous venons de voir se dérouler. Le procédé le plus fascinant est cependant la reconstitution des scènes cultes de la filmographie de Ruan Ligyu. Stanley Kwan alterne la reconstitution de séquences entières avec les vraies images existantes des interprétations les plus fameuses de la star disparue. On aboutit ainsi à un résultat des plus troublants en voyant la préparation de la scène par Maggie Cheung et sa reconstitution qui peut être alors suivie de la séquence originale issue de la copie muette du film. Stanley Kwan nous offre ainsi un surprenant voyage dans l’histoire du cinéma, où réel et fiction se confondent et se complètent avec une émotion étonnante.
D’autres fantômes surgissent lors de la vision de Center Stage, ceux de La Comtesse aux pieds nus de Mankiewicz (dont on a parlé ici sur le blog) mais aussi du roman Blonde (certes écrit après le film) de Joyce Carole Oates. Le film de Mankiewicz montrait le destin terrible d’une star jouée par Ava Gardner, trop pure et fragile pour la dureté du monde du cinéma et qui finissait par y succomber. Quant au livre de Joyce Carole Oates, il proposait une biographie romancée de Marilyn Monroe où l’auteur usait d’un mimétisme puissant pour montrer le talent brut de la star et la façon dont sa vie personnelle délabrée lui permettait de s’approprier ses rôles les plus célèbres. Center Stage fonctionne sur ses deux niveaux pour figer l’image de l’actrice qu’était Ruan Lingyu. Maggie Cheung, tout en grâce, sensualité et fragilité, préfigure (et l’ensemble du film est teinté d’une même nostalgie) ce qu’elle fera dans In the mood for love de Wong Kar Wai. Elle évoque autant l’icône figée et lointaine que l’actrice en quête de défi qu’était Ruan Lingyu. Celle-ci s’était spécialisée dans les grands rôles romantiques et mélodramatiques, auxquels elle ajoutait son aura charnelle.
Avec l’invasion de la Mandchourie par le Japon, ce type de sujets s’avère dépassé et il s’agit alors de montrer une Chine authentique et fière faisant front face à l’ennemi. Stanley Kwan nous donne donc à voir des moments (authentiques ou inventés) où Maggie Cheung cherche à convaincre réalisateurs et producteurs de sa capacité à jouer une simple ouvrière, ce qui aboutira à un de ses plus fameux rôles dans Trois femme modernes (1932). Stanley Kwan donne donc idéalement à voir l’histoire du cinéma chinois, voire du pays dans son ensemble, à travers le parcours de son héroïne. C’est aussi de manière plus générale un manifeste sur le statut d’artiste refusant d’être enfermée dans un carcan. Maggie Cheung, qui fut longtemps une faire-valoir féminine dans les films de Jackie Chan avant de montrer sa vraie valeur, dut forcément être touchée par ce parallèle.
Center Stage donne également à voir l’organisation très familiale des studios chinois d’alors, ici au sein de la Linhua Films. Véritable cocon où les acteurs étaient protégés et encouragés, cette vision trouve ses travers lorsque des éléments extérieurs cherchent à en briser l’équilibre. Pour Ruan Lingyu, ce sera un ancien amant vénal mais aussi la presse à scandale souhaitant lui faire payer son rôle dans Les Nouvelles Femmes (1934) dénonçant les dérapages des médias. Une pression qu’elle ne pourra supporter et qui la poussera au suicide.
Stanley Kwan offre un crescendo puissant dans sa structure éclatée où plus le film avance, plus les époques et les ressentis se confondent. Chacune des couches du récit semble plus fortement s’imprégner des autres pour nous perdre. C’est dans un premier temps pour poursuivre ce portrait en Ruan Lingyu. Ainsi une séquence de tournage la montre refaire avec un perfectionnisme maladif une prise où elle pleure la mort de son père sous une pluie battante. Maggie Cheung n’a aucun mal à faire ressentir la détermination de son modèle (Ruan Lingyu ayant perdu le sien dans des circonstances similaires) et Kwan enchaîne avec la vraie scène du film en question pour faire partager plus profondément encore l’émotion qui animait Ruan Lingyu durant cette scène.
Le procédé prend une autre tournure lorsque Maggie Cheung doit reprendre la scène de mort dramatique des Nouvelles Femmes. Poussée dans ses derniers retranchements par son réalisateur, Ruan Lingyu (Maggie Cheung) s’abandonne comme jamais et fond en larmes en se cachant sous une couverture une fois la scène tournée. Et là, étonnamment, le film retrouve son noir et blanc du « réel » comme pour laisser croire que c’est Maggie Cheung elle-même qui a ainsi cédé à ses émotions. La caméra prend de la distance et nous montre en plongée équipes et matériels de tournage figés devant le lit où l’actrice sanglote douloureusement. Oui, mais finalement quelle actrice ? Maggie Cheung ou Ruan Lingyu ? L’événement étant évoqué plus tard dans la partie romancée du film, le ressenti prime désormais sur la cohérence.
Le réalisateur ose la même prise de distance dans ce qui est pourtant l’instant le plus dramatique du film : le suicide de Ruan Lingyu. Etirant au maximum l’instant précédent (la dernière fête de Ruan Lingyu avec ses amis) et le long suicide aux barbituriques de la star, Kwan élève à des hauteurs insoupçonnées la tragédie de l’instant par les ultimes confessions de Ruan Lingyu à ses proches. Un montage parallèle sur les funérailles de l’actrice et les ultimes adieux de ses amis accentuent encore le drame. Stanley Kwan escamote pourtant une nouvelle fois ce moment poignant et brise ses propres règles par la même occasion, alternant ces scènes avec leur tournage cette fois en couleur, contrairement au reste du film. Le mélodrame le plus prononcé se confond ainsi avec l’intimité décontractée d’un plateau de cinéma ordinaire.
Si la mort de Ruan Lingyu fige une époque et un moment précis dans la vie de plusieurs personnes et de l’histoire du cinéma chinois, ce n’est finalement pas la fin de tout. Voilà ce que semble nous dire Stanley Kwan dans cette conclusion, la mort n’est finalement qu’un passeport vers l’éternité du cinéma et Ruan Lingyu y tient désormais une place choix.
Sorti en dvd zone 2 chez Studiocanal dans une belle édition accompagnée d'une interview intéressante de Stanley Kwan. Pour les plus patient et qui souhaiteraient mieux connaître ce réalisateur, HK vidéo sortira en jui un coffret regroupant 3 de ses films dont justement Center Stage et également le très beau "Rouge" que je recommande vivement aussi !
vendredi 22 avril 2011
Si Paris l'avait su - So Long at the Fair, Terence Fisher et Anthony Dornborough (1950)
1889. L'exposition Universelle. Deux jeunes Anglais, Vicky Barton et son frère John arrivent a Paris. Le lendemain matin, Vicky constate la disparition de son frère.
Bien avant de devenir un des maîtres de l'épouvante à la Hammer, Terence Fisher démontrait déjà dans un de ses premiers films une aptitude certaine à manier le suspense. Croisement de thriller et de film en costume, le scénario (adapté d'un roman d'Anthony Thorne) prend pour cadre l'exposition Universelle parisienne de 1889 fameuse pour avoir vue la présentation de la Tour Eiffel. C'est à cet évènement que se rendent les jeunes anglais Vicky (Jean Simmons) et son frère aîné John (David Thomlinson).
L'esthétique chatoyante de ce Paris reconstitué dans les studio de Pinewood participe à cette fête avec une mise en scène de Fisher (et Dornborough qui a co réalisé également le précédent The Astonished Heart) mettant diablement en valeur l'ensemble notamment lors d'une joyeuse escapade au Moulin Rouge. C'est également là que se ressent le profond attachement du frère et de la soeur et la grande insouciance et dépendance de cette dernière jouée par une Jean Simmons tout juste sortie de ses premiers rôles d'adolescentes.
Cette introduction idéalisée renforce donc l'impact du cauchemar qui s'ensuit lorsque Vicky constate le lendemain la disparition de son frère. L'empathie pour l'héroïne fonctionne à plein et rend soudain ce Paris de rêve diablement inquiétant puisque personne ne semble avoir eu connaissance de la présence de John dont la chambre et la signature au registre de l'hôtel semblent s'être volatilisé en même temps que lui. Fisher joue finalement peu de la paranoïa pour rapidement désigner l'inquiétant couple de tenanciers comme coupable, remarquablement joué par Cathleen Nesbitt et Marcel Poncin parfaitement sournois.
Un parti pris ajoute à la désorientation du spectateur (anglo saxon) avec l'absence totale de sous titres lors des dialogues en français qui peuvent finalement tout exprimer et son contraire. Les moments de pur suspense sont très réussis avec l'exploration nocturne des recoins les plus inquiétants et dissimulés de l'hôtel où le passé de monteur de Fisher amène une tension savamment orchestrée. Loin des rôle torturé à venir, Dirk Bogarde en jeune premier et chevalier servant affiche une belle aisance.
L'explication finale est assez étonnante sans être incongrue et fait bien le lien avec l'importance de l'évènement en toile de fond, on peut même imaginer que ce fut une légende urbaine qui couru à l'époque (et pour le coup le titre français est plutôt bien vu). Très plaisant donc et le potentiel de l'histoire fut à nouveau exploitée quelques années plus tard dans un épisode de Alfred Hitchcock Presents.
Sorti en dvd zone 2 anglais dépourvu de sous titres anglais ni français mais cela se laisse suivre sans difficulté.
Extrait
jeudi 21 avril 2011
Le Brigand bien-aimé - The True Story of Jesse James, Nicholas Ray (1957)
En 1876, la bande de Jesse James attaque la banque de Northfield, mais elle est défaite et mise en fuite par le shériff de la ville, qui se lance à leur poursuite. Seul son frère Frank échappe aux poursuivants: désormais à deux, les frères en viennent aux confidences, notamment au sujet de la formation de leur bande et des aventures de Jesse lors de la Guerre de Sécession, où il a été blessé...
18 ans après le classique de Henry King, la Fox lançait son remake cette fois mis en scène par Nicholas Ray. Difficile néanmoins de parler de remake tant malgré les entraves du studio Ray a fait le film sien en offrant un contrepoint presque total à celui de Henry King et prolongeant finalement bien plus les idées de Lang dans sa suite directe Le Retour de Frank James.
Le film s'ouvre dans la confusion et le chaos sur le hold up raté de Northfield qui démantela le gang James/Younger. Les balles pleuvent de toutes part, les corps s'écroulent sous les impacts dans cette ouverture stupéfiante qui anticipe celle de La Horde Sauvage. Les frères James restent presque à l'état de silhouette durant ce moment et c'est à travers le regard de leur poursuivants et d'autres personnages parallèles que ce fait notre première approche d'eux. L'entreprise de démystification que constitue le film s'exprime d'emblée dès ces premières minutes. Alors qu'on a pas un vrai souvenir d'un réel meurtre de sang froid dans le film de King, les James en vrai hors la loi sans remord tire dans le tas dès la fameuse première scène, les dialogues des traqueurs révèlent d'autres tueries tout aussi peu glorieuse et parallèlement une figure d'éditorialiste (faisant écho à celui truculent joué par Henry Hull dans les films de King et Lang) balaie d'un revers de la main l'association de Jesse James à Robin des Bois.
Juste après des personnage nettement plus bienveillant envers Jesse James (sa femme et sa mère alitée) interviennent en le posant en victime et une narration en flashback d'après les souvenirs de chacun (et plus tard de Jesse et Frank eux même) va tenter de répondre à la fameuse question : qui est Jesse James ? Comme l'annonce le panneau en ouverture, le film semble vouloir approcher une certaine réalité des faits et aborde (ce qui était totalement éludé chez King mais traité par Lang) la violence du conflit Nord/Sud durant la Guerre de Sécession qui plonge Jesse James dans la violence dès l'adolescence. La guerre passée, les rancoeurs et les haines enfouies du voisinage nordiste amènent Jesse James et ses amis sur le chemin du banditisme pour survivre. Alors que l'approche de King nous fait prendre fait et cause pour Jesse James celle crépusculaire et désenchantée de Ray provoque un sentiment plus mitigé.
Une des premières causes est l'interprétation de Robert Wagner (alors que Ray barré par la Fox envisageait Elvis Presley et il en reste quelque chose dans l'allure de Wagner durant le film) bien plus intériorisé et taciturne que le lumineux Tyrone Power. Autoritaire, orageux et prompt à jouer de la gâchette à la moindre contrariété, son Jesse James retrouve une dangerosité animale absente chez King. Une des scènes les plus mémorables tue magistralement dans l'oeuf la supposée image de Robin des Bois de notre héros. Se restaurant chez une vieille femme après un casse, James apprend que celle ci est menacée d'expulsion par un créancier. Poussé par défi par ses acolytes, il règle la dette de la femme pour dès la séquence suivante récupérer son dû auprès de l'homme ayant encaissé la dette. Si sur le papier la chose à un certain panache, la mise en scène de Ray lui confère un cynisme absolu.
Finalement Nicholas Ray associe clairement son Jesse James aux personnages de révoltés flamboyant et sans but qui peuplent sa filmographie, des Amants de la Nuit à La Fureur de Vivre. C'est donc uniquement dans cette optique là qu'il daigne donner une réelle stature héroïque à ses héros. Robert Wagner (et dans une moindre mesure Jeffrey Hunter très bon en Frank James) arbore une allure séduisante et est filmé sous les angles les plus avantageux, les gros plans mette constamment en valeur sa photogénie et sa jeunesse. Les acolytes incarnent également des figures marquantes notamment un excellent Alan Hale en Cole Younger.
Ray vit son film film mutilé par la Fox et alors qu'il envisageait une approche moderne où défileraient les différents moments de la vie de Jesse James dans un montage guidé par les émotions des personnages, le studio l'oblige à insérer lourdement ses flashback à coup de nuages et fondu enchaînés mêlés à la phrase introductive d'un narrateur. C'est bien le seul élément qui date le film, tant l'ensemble s'avère moderne, percutant et annonce le cinéma des Peckinpah, Leone ou Don Siegel. Ray paie même son tribut à Henry King en reprenant deux scène de son Jesse James à l'identique, le fameux saut de carrière à cheval (même là le trucage est pas loin d'être invisible) et l'attaque de train où il utilise carrément le même découpage que King (même à nouveau en atténuant tout la touche héroïque et galvanisante) tout du long, beau clin d'oeil.
C'est à nouveau à Peckinpah qu'on pense lors de la magnifique conclusion, l'Ouest des outcast disparaît avec la mort de Jesse pour laisser place à celui des sournois en quête de célébrité (remarquable moment où Bob Ford parade dans la rue après son acte). C'est précisément à ce moment là, lorsque tout est perdu que Ray choisit de faire enfin entrer son héros dans la légende au son de la chanson du folklore traditionnel américain qui lui est consacré entonnée par un musicien noir.
Jesse James was a lad that killed many a man,
He robbed the Glendale train,
He stole from the rich and he gave to the poor,
He'd a hand and a heart and a brain.
Well it was Robert Ford, that dirty little coward,
I wonder how he feels,
For he ate of Jesse's bread and he slept in Jesse's bed,
And he laid poor Jesse in his grave.
(chorus)
Well Jesse had a wife to mourn for his life,
Three children, [now] they were brave,
Well that dirty little coward that shot Mr. [Mister] Howard,
He laid poor Jesse [Has laid Jesse James] in his grave.
Jesse was a man, a friend to the poor,
He'd never rob a mother or a child,
There never was a man with the law in his hand,
That could take Jesse James alive.
Jesse was a man, a friend to the poor,
He'd never see a man suffer pain,
And with his brother Frank he robbed the Chicago bank,
And stopped the Glendale train.
It was on a Saturday night and the moon was shining bright,
They robbed the Glendale train,
And people they did say o'er many miles away
It was those outlaws, they're Frank and Jesse James
(chorus)
Now the people held their breath when they heard of Jesse's death,
And wondered how he ever came to fall
Robert Ford, it was a fact, he shot Jesse in the back
While Jesse hung a picture on the wall
Now Jesse went to rest with his hand on his breast,
The devil will be upon his knee.
He was born one day in the County Clay,
And he came from a solitary race.
(chorus)
Des films mutilés comme celui-ci on en redemande !
Sorti en dvd zone 2 français chez Sidonis
Comparatif intéressant sur l'approche différente d'une scène similaire dans l'original de Henry King et le remake de Nicholas Ray.
mercredi 20 avril 2011
Le Retour de Frank James - The Return of Frank James, Fritz Lang (1940)
Afin de venger la mort de son frère Jesse, James part à la recherche des deux frères Ford. James sera aidé par son neveu Clément et également par une jeune journaliste Eleanor Stone...
Suite à l'immense succès du Brigand bien-aimé l'année précédente, une suite est immédiatement lancée par la Fox. Henry Fonda, Frank James taciturne et en retrait du premier film où il laissait Tyrone Power faire son numéro est donc cette fois ci au premier plan. Ce second film est une suite directe qui s'ouvre sur la reprise de l'assassinat de Jesse par Bob Ford du film précédent. La nouvelle parvient donc à un Frank retiré du monde et qui a retrouvé son activité première de fermier.
On s'attend donc à voir Frank se lancer immédiatement dans une vendetta vengeresse mais c'est mal connaître Fritz Lang qui aura toujours su entourer un de ses thèmes favoris, la vengeance, d'une vraie ambiguïté comme dans son excellent Fury. Le film de Henry King même s'il finissait par remettre en question les effets néfastes de cette vie hors la loi était néanmoins entièrement à la cause de Jesse et Frank James, en tournant constamment la dramaturgie des évènements réels en leur faveur et jouant de cet aura de Robin des Bois de l'Ouest dont ils bénéficiaient. Fritz Lang tout en respectant les codes du genre et les attentes du public (John Carradine est encore plus détestable que dans Jesse James éveillant les plus bas instincts dans son infamie tel son apparition triomphante lors du procès de Frank à la fin) remet donc constamment en cause cette soif de vengeance. Les chemins de fer ayant joués de leur influence pour faire acquitter Bob Ford, Frank se voit contraint d'en finir lui même avec l'assassin de son frère.
Naguère glorieuse et spectaculaires, les entraves à la loi prennent une autre tournure ici dès le premier vol qui cause la mort involontaire d'un gardien. Le personnage de Jackie Cooper (fils d'un comparse décédé et élevé par Frank) amènent également une belle touche d'ambiguïté. Jeune chien fou ne rêvant que d'aventures et de fusillades, c'est le parfait reflet de Jesse dans le premier film mais au lieu d'être glorifiée comme chez Henry King, sa témérité n'est ici que source de problèmes.
Henry Fonda est encore plus convaincant qu'auparavant en Frank James et amène de sa fameuse humanité au hors la loi notamment dans son rapport avec la jeune journaliste jouée par Gene Tierney (belle et innocente à croquer dans sa toute première apparition à l'écran). Fritz Lang soumet en effet Frank James à un terrible dilemme moral dans la dernière partie où il devra choisir entre accomplir sa vengeance et sauver une vie.
Fritz Lang parvient à broder cette trame romancée et parallèlement respecter parfaitement la véracité des faits comme la reddition et le procès de Frank (ou encore les spectacle auxquels participa Bob Ford en reproduisant à son avantage sa trahison). Lors de ce même procès est exprimé ce qui était totalement éludé dans le premier film à savoir l'ancrage sudiste des frères James et leur engagement dans la Guerre de Sécession. Les élans comique et le soutien sans failles du jury dans la dernière partie est ainsi plus aisément compréhensible pour le spectateur non américain (on peut supposer de l'apport de l'émigrant Fritz Lang pour l'accent mis sur ce point) et bien aidé par la prestation survoltée de Henry Hull (reconverti avocat) un des personnages les plus truculents du précédent.
Au final Fritz Lang ne choisit pas entre la vengeance et la rédemption et conclu le film dans un entre deux qui satisfera les deux options même si on devine vers laquelle il penche. Une suite plus psychologique et moins spectaculaire mais tout aussi réussie si ce n'est meilleure que son modèle. Et il semble qu'elle ouvre la voie au traitement qu'appliquera Nicholas Ray dans son remake. On revient dessus prochainement...
Sorti en dvd zone 2 français chez Sidonis
Extrait (la musique intempestive n'est pas dans le film rassurez vouz !)