Pages

mercredi 29 février 2012

Love - Women in love, Ken Russell (1969)

Durant les années 1920, en Grande-Bretagne, deux sœurs au caractère indépendant s’assument pleinement en exerçant chacune un métier différent. Gudrun est artiste-sculptrice tandis qu'Ursula est institutrice. Deux hommes de la bourgeoisie locale, des industriels miniers, sont séduits par ces deux femmes émancipées. Mais ce quatuor de personnalités aiguisées se retrouve bientôt en pleine confusion sentimentale...

Women in Love est un des films les plus célébrés de Ken Russell, celui dont le succès le lance sur les fructueuses et controversées œuvres des années 70. Cette adaptation d'un des romans les plus sulfureux de D. H. Lawrence va offrir un écrin idéal à son gout de l'excès et de l'expérimentation, ici encore relativement retenue en comparaison des films plus furieux à venir. Le projet échoit un peu miraculeusement à un Ken Russell loin d'être encore une valeur sûre pour les producteurs et ayant surtout oeuvré à la télévision. Le réalisateur Silvio Narizzano qui sortait du succès de Georgy Girl (déjà un récit d'émancipation féminine décalé) décide pour son film suivant d'adapter le roman de D.H. Lawrence mais des problèmes personnels l'obligent à quitter le projet qu'il a initié. Les producteurs approcheront en vain Jack Clayton, Stanley Kubrick ou encore Peter Brook pour finalement se rabattre sur Ken Russell qui avait déjà fait montre d'une excentricité et d'un sens formel certains dans une œuvre de commande comme Un cerveau d'un milliard de dollars (1967) où il dynamitait la série d'espionnage des Harry Palmer.

 Le contexte social de libération sexuelle se prête particulièrement à des adaptations de D.H. Lawrence. La version intégrale de L'Amant de Lady Chatterley fut publiée en 1960 au terme d'un procès retentissant, et cette atténuation de la censure joue aussi au cinéma avec plusieurs adaptations de l'auteur dont la plus fameuse sera Amants et fils (1960) de Jack Cardiff. Ken Russell par sa folie visuelle et son sens de l'excès sera cependant le plus fidèle avec son approche frontale des élans charnel de Lawrence. L'Angleterre post-victorienne et sortant de la Première Guerre mondiale du livre appelle une libération des carcans sociaux et moraux dans laquelle se reconnaîtra le jeune public des années 60 qui vit une même situation.

Le casting sera de longue haleine où seul Alan Bates (vedette de Georgy Girl) est engagé dès le départ dans le rôle de Rupert Birkin. La production impose le bankable Oliver Reed pour jouer Gerald Crich au détriment d'Edward Fox plus proche physiquement du personnage du livre. Le choix de Glenda Jackson pour la belle Gudrun pose problème également malgré le talent de l'actrice, jugée pas assez séduisante par rapport à l'image du livre. Elle subira un relooking de choc pour être rendue suffisamment attractive la production lui faisant redresser la dentition, enlever les varices des jambes (!) et lui donnant une coiffure plus glamour. Quant à Jennie en seconde sœur Brangwen, elle profitera de la désaffection d'actrices de premier plan comme Faye Dunaway ou Vanessa Redgrave (effrayées d'être éclipsées par Glenda Jackson au rôle plus riche) sur la fois de rushes d'essai effectués face à Peter O'Toole pour Un Lion en Hiver où elle n'obtenu pourtant pas le rôle. Le livre de D.H. Lawrence fit scandale à sa parution au début des années pour les mêmes raisons que d'autres de ses ouvrages, sa teneur sexuelle. Ici il s'attachait aux tourments intimes de deux femmes émancipées et donc au comportement considéré comme immorale par sa sexualité sans tabou. Russell rend bien cet aspect avec cette description des deux sœurs Brangwen Gudrun (Glenda Jackson) et Ursulla (Jennie Linden), jeune femme bouillonnante d'expériences nouvelle et coincées dans un environnement morne et une société conformiste.

A travers leurs rencontre et leurs liaison avec deux séduisants hommes issus de la bourgeoisie locale et tout aussi frustrés, ce sont deux visions de l'amour, du couple et autant d'impasses qui se dessinent. La première partie dépeint d'abord longuement le cadre peu attrayant où évoluent nos personnages. Cité minière aux voisinages peu ragoûtants (déjà exploité dans Amants et fils), haute société ennuyeuse et festivités mornes forment ainsi un quotidien poussif. Pour se stimuler, les sœurs donnent donc dans l'excentricité telle cette séquence où Glenda Jackson plutôt que fuir se lance dans une danse rituelle lorsqu'elle tombe sur un troupeau de taureau prêt à la charger. Elle qui intellectualise l'amour plus qu'elle ne le ressent tombera dans les bras de Gerald (Oliver Reed) riche héritier en quête d'une réelle passion. Ursulla idéalise elle un amour ordinaire et simple alors que son amant Birkin (Alan Bates) double de Lawrence dans le livre y voit lui une dimension plus grande que la vie impossible à créer dans une relation ordinaire.

L'intrigue bascule lorsque le seul couple équilibré du film, de jeunes mariés périssent tragiquement. Le drame place les protagonistes face à leur manque pour les voir s'abandonner totalement à leur passion. Russell qui délivrait jusque-là un beau film d'époque relativement classique (même si plusieurs trouvailles de montage percutantes nous font bien comprendre que l’on n’est pas dans un produit conventionnel) se lâche donc dans des expérimentations étonnantes notamment sur les scènes de sexe incroyablement crues et sensuelle. L'étreinte en pleine nature de Birkin et Ursulla est fiévreuse et fulgurante avec un montage alterné symbolique puissant entre les corps entremêlés des amants et celui des noyés dans une même posture, à l'image de leur amour sincère mais voué à l'échec. De même la première relation entre Gerald et Gudrun par ses assauts froid et calculés contrebalance avec le désir brûlant de la scène précédente et tient plus de l'expérience (lors d'une scène d'amour en amont Glenda Jackson observe les amoureux faisant de même autour plutôt que de se focaliser sur Gerald avec qui elle flirte) que de la vraie passion.

Le ton navigue ainsi entre deux eaux, l'abandon contre l'intellect, l'amour contre le cynisme. Chez les hommes cela peut être dû à une insatisfaction constante possiblement comblée par une autre forme d'attrait, lourdement soulignée par Russell lorsque les deux amis s'adonnent nus à la lutte.Pour les femmes c'est leur trop grande émotivité (Ursulla) ou cérébralité (Gudrun) qui va leur jouer des tours, parfois au sein d'une même scène comme lorsque Gudrun humilie et rabaisse Gerald pour dans l'instant le solliciter sexuellement dans une totale contradiction.

La dernière partie est ainsi d'une rare noirceur en broyant totalement un des couples et en laissant l'autre sur un immense point d'interrogation. Le quatuor d'acteur est exceptionnel et se livre avec une grande confiance dans les scènes de nus. Glenda Jackson froide et exaltée est extraordinaire et glanera un oscar bien mérité de la meilleure actrice. Alan Bates est formidable comme à son habitude et Oliver Reed transmet une vulnérabilité surprenante se jouant de sa carrure imposante. En dépit de petites longueurs çà et là, un bien beau film formellement somptueux (quelle photo de Billy Williams) et porté par un superbe score de George Delerue. La voie de Ken Russell était tracée.



Sorti en dvd zone 2 français chez MGM

Extrait

mardi 28 février 2012

Capricorn One - Peter Hyams (1977)



Houston, Texas. Quelques minutes avant le départ d'un vol habité à destination de la planète Mars, les trois astronautes présents dans la fusée sont évacués. Ce vol est une question de prestige pour la NASA et un enjeu électoral pour le Président des Etats-Unis, et nul n'a voulu prendre le risque d'un échec. Aussi, les trois astronautes sont-ils emmenés dans un lieu secret, où ils devront simuler devant des caméras de télévision l'exploration de la planète Mars. En cas de refus, leurs familles seront en danger Lorsque les astronautes sont censés revenir sur Terre en amerrissant, la capsule vide brûle entièrement à son entrée dans l'atmosphère, sans qu'on sache si ce fut intentionnel ou pas. Si l'équipage devait resurgir vivant, tout le plan tomberait à l'eau. Les captifs s'échappent, poursuivis par l'armée...


Capricorn One repose sur un pitch absolument génial inspiré de la théorie du complot à la mode dans 70’s affirmant que le programme Apollo et les hommes sur la lune était une manipulation du gouvernement (plus de détail sur l’affaire ici). Le scénario retranscrit cette idée pour un voyage sur Mars où trois astronautes seront contraints sous la menace à simuler leur odyssée spatiale pour de hautes sphères aux objectifs nébuleux. La première partie est vraiment excelle dans la satire, entre la description des politiques qui sont au choix de parfait idiots arrivistes ou des manipulateurs carnassier et questionne sur le regard des américains désormais blasés par la conquête spatiale (et dont la flamme est censée être maintenu par le tour de passe-passe du film lors du discours étonnant du personnage de Hal Holbrook).

Le film jongle habilement entre les genres, entre la politique fiction et le thriller parano 70's pour tout ce qui concerne l'enquête menée par le journaliste joué par Elliott Gould entre des moments angoissant typique du genre comme les disparitions mystérieuse, sabotages et autre coup monté entravant son investigation.

Peter Hyams (dont la première moitié de carrière fut excellent entre le western SF Outland et son 2010 suite réussie du chef d’œuvre de Kubrick) livre une réalisation efficace avec sa gestion efficace des effets spéciaux et scène à grandes ampleur. La salle de contrôle de la Nasa ou encore le décor simulant la planète mars sont très impressionnant dans leurs ampleur et le soin apporté au réalisme.

Malheureusement passé l'évasion des trois astronautes le film s'écroule un peu et comme effrayé par son audace de départ retombe dans la convention. Les longueurs s’accumulent notamment l'interminable errance dans le désert de James Brolin (alors que le sort des deux autres astronautes est occultés, pas totalement mal vu la prestation catastrophique de OJ Simpson) avec des péripéties aussi palpitantes que des serpents venimeux et des scorpions, et il faut bien l'intrigue secondaire avec un très bon Elliott Gould pour maintenir l'intérêt.

Les thèmes amorcés au début sont oubliés pour retomber dans le spectacle d’action peu original, la preuve avec le duel aérien entre un avion (Telly Savalas bien cabot en pilote) et deux hélicos armés jusqu'aux dents en guise de climax certes très impressionnant mais jurant totalement avec les intentions départ.La fin est encore plus embarrassante avec ralentis sur fond de musique sirupeuse. Il y avait un vrai grand film à tirer d’un tel sujet, le début le laissait penser mais au final on a juste un divertissement un peu plus intelligent et original que la moyenne. On en viendrai presque à espérer un remake dont il fut d’ailleurs un temps question.
Sorti en dvd zone 2 français chez Opening

lundi 27 février 2012

La Couleur qui tue - Green for Danger, Sidney Gilliat (1946)


L’inspecteur Cockrill écrit une lettre à ses supérieurs, à propos de la dernière affaire criminelle qu’il a réglée… Dans un hôpital près de Londres, Higgins, le facteur du coin, blessé lors d’une attaque de V1, doit être opéré. Il meurt lors de l’anesthésie. Scotland Yard enquête. Les quatre infirmières et les deux médecins sont suspectés, pour diverses raisons...

Sidney Gilliat, qui s'était fait connaître avec son partenaire Frank Launder par de remarquables scripts de thrillers (Une femme disparait, Train de nuit pour Munich) ne s'était étrangement pas encore confronté au genre en passant à la réalisation sur les drames Ceux de chez nous et Waterloo Road. C'est chose faite avec ce remarquable whodunit qu'est Green for Danger même si sans doute moins marquant que les deux précédents. Réalisé un an après la fin de la guerre, le contexte y semble moins prépondérant que dans les premiers films de Gilliat mais ce n'est qu'une impression et le conflit de simple arrière-plan devient un motif majeur du traumatisme à l'origine du crime.

Le film adapte un roman à succès de Christianna Brand paru deux ans plus tôt. L'intrigue alambiquée truffée de personnages, rebondissements et fausse piste du livre est grandement simplifiée par Gilliat qui l'épure à un film de 90 minutes néanmoins dans l'esprit. La première partie dépeint longuement le quotidien d'un hôpital anglais en temps de guerre. Entre les bombardements et les blessés, ce sont des conflits bien ordinaires et humains qui se nouent entre les médecins et les infirmières : affaires de cœur, jalousie, vengeance et ambition. Tout cela se dévoile dans une veine feutrée jusqu'à ce que l'impensable survienne avec la mort d'un patient sur la table d'opération.

La thèse du meurtre est rapidement conclue et on découvre que chacun des membres de l'équipe médicale avait une possible raison de commettre le crime. Gilliat use de tout son brio de scénariste pour distiller habilement les pistes et dépeindre les caractères de chacun : la relation de couple compliquée entre Trevor Howard l'infirmière jouée par Sally Gray, le caractère séducteur et sournois du médecin Leo Genn, l'anxiété et la culpabilité de Rosamund John...

Le réalisateur mêle une mise en scène réaliste encore dans l'esprit des films de propagande anglais dans cette description du quotidien et une stylisation marquée qui culmine lors d'une mémorable scène de meurtre nocturne dans une salle d'opération. Là le jeu d'ombre, le montage au cordeau et la mise en scène d'une précision chirurgicale (si on ose dire) offre une séquence d'anthologie.

Après cette mise en place proche de la perfection, le ton change à nouveau pour s'orner d'une causticité toute anglaise. Cet esprit était cependant là depuis le début avec la narration distanciée d'Alastair Sim qui apparaît alors en chair et en os dans le rôle de l'inspecteur Cockrill. L'acteur offre une prestation irrésistible avec ce personnage aussi farfelu que perspicace, capable de déstabiliser un suspect par une répartie inattendue avec le plus aimable des sourires.

Dès lors la tension et la paranoïa bien réelle se dispute à un remarquable second degré grâce aux facéties d'Alastair Sim (le passage où il conclut la tirade du Marchand de Venise lancée par Leo Genn contant fleurette ou qu'il trouve la cachette de Trevor Howard épiant les deux amants). Le rythme est soutenu au fil des révélations et coups de théâtre divers sans égaler la première partie et le final est des plus réussis.

Le titre assez nébuleux trouve son explication de manière brillante et Gilliat donne une vraie consistance dramatique avec la révélation finale même si l'ironie n'est jamais loin telle la fatale erreur de jugement d'Alistair Sims ou une dernière tirade drôlissime. Encore une belle réussite pour Sidney Gilliat même si j'ai préféré son versant dramatique et sentimental de Millions like us et Waterloo Road à la distance rieuse ayant cours ici.

Sorti en dvd zone 2 anglais sans sous titre et en zone 1 chez Criterion où là on trouve des sous-titres anglais.

Extrait

dimanche 26 février 2012

L'Anti-Gang - Sharky's Machine, Burt Reynolds (1981)

Flic d'élite Tom Sharky ? Sans doute mais encombrant : grande gueule, mauvais caractère, partisan des méthodes musclées. En bref, viré des stups, direction la brigade des moeurs...
L'ambiance change pas de vagues surtout ! Sharky ne l'entend pas de cette oreille. Entraînant ses collègues, il monte une véritable machine de guerre contre les barons du sexe, et part en croisade contre le plus terrible d'entre eux, le dénommé Victor.
Et lorsque Dominoe, la call-girl qu'il doit protéger, est en danger, Sharky va se déchaîner...

Aujourd’hui source de moqueries et symbole de ringardise absolue, on en finirait par oublier l’immense star que fut Burt Reynolds dans les 70’s, dont la popularité équivalait à celle d’un Clint Eastwood ou d'un Charles Bronson. La tournure désastreuse de la carrière de Burt Reynolds peut se rapprocher de celle de Charles Bronson. Ce dernier s’était en effet laissé enfermer dans la caricature de son rôle le plus célèbre, l’excellent Un Justicier dans la ville, pour aligner les nanars n’ayant ni la tension, ni l’ambiguïté du film de Michael Winner. Burt Reynolds a connu le même destin avec Cours après moi shérif, réjouissante course poursuite automobile de Hal Needham, immense succès au box office, dont il enchaînera les suites jusqu’à plus soif. Seul Clint Eastwood aura su se dégager sans la renier de l’image de L’inspecteur Harry, tandis que le spectateur moyen verra toujours en Burt Reynolds le moustachu rouleur de mécaniques, au volant d’une Pontiac Trans Am.

Tout avait pourtant idéalement commencé. Burt Reynolds trouve son premier rôle majeur dans Navajo Joe, western spaghetti d’un des maîtres du genre, Sergio Corbucci, dans lequel il campe un indien vengeant le massacre de sa famille. Il tourne avec les plus grands réalisateurs de l’époque, comme Robert Aldrich sur le très divertissant Plein la gueule (mélange de film de prison et de football américain) et surtout La Cité des dangers, immense polar désespéré dans lequel il trouve son meilleur rôle. John Boorman fera également appel à lui sur le célébrissime et hargneux Délivrance, tout comme Peter Bogdanovich avec qui il tourne à deux reprises dans Enfin l’amour et Nickelodeon. À cette époque, il savait brillamment alterner des films plus difficiles et des séries B musclées mettant son physique de déménageur en valeur, tel l’oublié Les Bootleggers à l’ambiance « redneck » poisseuse. Jusqu’à l’impasse de Smokey and the bandit.

 On crut pourtant Reynolds capable de reprendre sa carrière en main au début des 80’s, lorsqu’il réalisa et tînt lui-même la vedette de L’Anti-Gang. Adapté du roman de William Diehl, Sharky’s Machine, le film offre une étonnante relecture du Laura de Preminger, remplaçant le film noir par le polar urbain. Tous les poncifs de ce dernier sont d’ailleurs respectés pour le plus grand plaisir des fans du genre : des seconds rôles formidables (excellent Brian Keith en « papa »), des répliques ordurières comme on n’en fait plus et un Burt Reynolds qui en impose tout en décontraction. Le casting s’étoffe d’ailleurs de la présence prestigieuse de Vittorio Gassman en proxénète manipulateur, ainsi que d’Henry Silva (habitué des rôles de fous furieux dans les polars italiens), inoubliable en tueur junkie psychotique.

L’Anti-Gang démontrait clairement les grandes aptitudes de Reynolds à la réalisation, grâce à quelques morceaux de bravoure époustouflants. L’ouverture sur une séquence de deal tournant au vinaigre est formidable de tension, le tout finissant en course poursuite sanglante. C’est pourtant la première heure du film, dénuée d’action, qui fascine. Annonçant le Body Double à venir de De palma, on y suit Burt Reynolds dont la mission de surveillance de la prostituée Rachel Ward (premier rôle et superstar deux ans plus tard avec le feuilleton Les Oiseaux se cachent pour mourir) vire progressivement à l’obsession amoureuse et voyeuriste.

Le meurtre de Rachel Ward est également un grand moment, entre un montage virtuose (on pense de nouveau à la scène de meurtre de Body Double) et la violence surgissant de manière crue, brève et directe. Tous les crimes perpétrés par Henry Silva font montre d’un soin et d’une science du suspense très soignés et ce, tout au long du film.

La dernière partie est nettement moins convaincante, Burt Reynolds semblant avoir cédé à tous ses mauvais penchants. Entre idées saugrenues (les tueurs chinois…), le sort abrupt réservé à Vittorio Gassman (même si Henry Silva a droit à une mort restée dans les annales) et surtout l’amourette Reynolds/Ward débordant de clichés, les promesses ne sont clairement pas tenues.

Joli succès et considéré comme un des meilleurs polars de l’époque, L’Anti-Gang aurait donc dû donner un nouveau souffle à la carrière de l’acteur. Il n’en fut rien. Il continua à s’enfoncer progressivement, malgré un sursaut en 1995 grâce à Boogie Nights de Paul Thomas Anderson, dans lequel il interpréte un réalisateur de pornos haut en couleurs. Malgré ses défauts évidents, Sharky’s Machine est donc un des derniers vestiges d’un immense talent et d’un beau gâchis.

Sorti en dvd zone 2 français chez Aquarelle


vendredi 24 février 2012

Les Amants du Tage - Henri Verneuil (1955)


Le Français Pierre Roubier, après avoir été jugé en France pour le meurtre de son épouse, s'est reconverti en chauffeur de taxi à Lisbonne. C'est ainsi qu'il fait la connaissance de la séduisante Kathleen Dinver, veuve d'un lord, et en tombe éperdument amoureux. Mais Pierre découvre bientôt que Kathleen fait l'objet d'une filature, soupçonnée d'avoir assassiné son mari.

Les Amants du Tage n'est pas le titre le plus connu de la très populaire filmographie d'Henri Verneuil mais certainement une de ses grandes réussites. Le film est adapté d'un roman de Joseph Kessel (également au scénario) pour un beau mélodrame où on trouve surtout l'aspect dépaysant et romantique rattaché à l'auteur plutôt que sa veine politique. L'ouverture offre un fulgurant moment de cinéma annonçant la nature passionnée des évènements à venir. Au lendemain de la guerre, Pierre Roubier (Daniel Gélin) de retour au foyer trouve son épouse au lit avec son amant. C'en est trop pour lui après ses mois de séparation et dans un élan de folie il abat celle-ci de la mitrailleuse dont il était encore armé. Son passé de soldat héroïque lui vaut un acquittement miraculeux grâce à la plaidoirie brillante de son avocat et la bienveillance du jury.

La punition que la justice lui a refusée, il se l'infligera seul dans un exil solitaire qui le mènera à Lisbonne où il officie en tant que taxi. Là, il traîne sa culpabilité et ressasse les idées noires en attendant le bateau qui l'emmènera ailleurs où il reproduira ce cycle. Daniel Gélin totalement éteint est excellent pour exprimer la dérive du personnage avec une certaine dualité entre cette apathie mentale lui valant la bienveillance de son entourage et une flamme qui ne demande qu'à être ranimée. Ce sera le cas avec l'arrivée de Kathleen (Françoise Arnoul) la veuve française d'un lord avec qui il va vivre une folle passion.La différence entre les deux personnages exprime toute la grande question du film : la sincérité. Gélin est un être authentique, à fleur de peau et écorché vif dont le visage est un véritable miroir de ses émotions. A l'inverse Françoise Arnoult véhicule une séduction, un mystère et un secret de tous les instants dans une performance énigmatique dont elle a le secret.

Verneuil exprime d'ailleurs cette idée visuellement en montrant dès l'ouverture le crime fatal et regretté de Gélin, tandis que le mystère plane longtemps sur le passé de Françoise Arnoul puis que le doute s'instaurera insidieusement sur sa propre culpabilité dans le crime dont elle est accusée. Comme le soulignera un dialogue en fin de film, les passés criminels (établi pour lui questionné pour elle) qui semblent les rapprocher les séparent en fait par leurs motivations. Gélin est l'auteur d'un pur acte passionnel quand Arnoul est soupçonné d'avoir agi dans un unique but véniel. Dès lors la deuxième partie se fera pesante et sombre en semant le doute dans le couple harcelé par l'affable mais tenace inspecteur de Scotland Yard incarné magistralement par Trevor Howard. Les dialogues sophistiqués de Kessel renforcent le désenchantement de l'ensemble.

Le spectateur est dans la même expectative contredisant une première partie aux envolées romantiques somptueuse et envoutante. Verneuil capte magnifiquement la respiration de cette Lisbonne ensoleillée avec une mise en scène sublime d'élégance. Les palaces somptueux mais oppressant où Arnoul croise d'anciennes connaissances huppées laisse bientôt place aux rues grouillantes de la ville, à ses bars en bondés où se jouent des fados mélancoliques et langoureux. Théâtre de cette romance, Lisbonne est saisie dans toutes ses excentricités et son folklore (les femmes en noir venant sur la plage implorer la mer de ramener leur hommes) par son réalisateur divinement inspiré dont le sens visuel n'a jamais été plus aboutit.Le summum est atteint sur la belle séquence nocturne sur la plage où les deux amants déambulent, s'apprivoisent et s'unissent dans une étreinte d'une grande sensualité. Françoise Arnoul n'a peut-être jamais été plus désirable qu'ici, Verneuil la magnifiant constamment dans des poses lascives et charnelle. Cette beauté est pourtant à double tranchant, signifiant un dangereux piège comme un paradis où s'abandonner. On retiendra ce moment où Gélin devient soupçonneux et interroge son amie, mais il suffira que la caméra parcoure lentement les courbes de Françoise Arnoul pour que la discussion soit interrompue.

L'ambiguïté et le doute restent entiers jusqu'aux tout derniers instants, résolus par une bouleversante conclusion. On aura déjà précédemment eu le fin mot de l'histoire quant au passé de Françoise Arnoul mais ce final résout le doute sur ces sentiments de la plus belle des manières. Sans doute séparés pour de bon, les amants du Tage n'ont jamais été plus proches.

Sorti en dvd zone 2 français chez "Les Films du Collectionneur"

Extrait

jeudi 23 février 2012

Les rubis du prince birman - Escape to Burma, Allan Dwan (1955)

En Birmanie, un prince demande à la police britannique de retrouver le meurtrier de son fils. Un officier de la sécurité se lance à sa recherche et le retrouve chez la propriétaire d'un élevage d'éléphants. Cette dernière, amoureuse de lui, l'aide à s'évader...Les Rubis du Prince Birman est une excellente série B d'aventures réalisée par un Allan Dwan qui fait une nouvelle fois des miracles avec des bouts de ficelle. Le film possède une facture visuelle très impressionnante malgré un budget dérisoire. Recyclant une partie des décors du film Le Conquérant de Dick Powell, Dwan et son équipe, par une meilleure utilisation, rendent paradoxalement le film bien plus abouti que la superproduction qui valut son cancer à John Wayne. Composition de plan grandiose (l'assaut nocturne sur le temple bouddhiste est fabuleux) photo de toute beauté de John Alton, jungle de studio foisonnante et décors luxuriants, même l'utilisation de stock shots animaliers est faite avec maestria pour un affrontement avec un tigre très efficace.

En revanche, le film pêche par le faible nombre de scènes d'action, manquant d’ampleur même si elles ont été réalisées avec savoir-faire (notamment l'assaut final sur la ferme de Barbara Stanwyck). Le scénario, remarquable, rattrape ce petit défaut avec un Robert Ryan ambigu (son passif filmique en héros comme en ordure participe de cette ambiguïté), traqué pour un meurtre dont il ne se défendra jamais, le début du film le montrant sous un jour sombre avec foule d'actes violents et répréhensibles.

La suite illustre pourtant la vraie noblesse du personnage, lorsqu'il aide le policier venu l'arrêter (campé par l’anglais David Farrar) face à des assassins, ou les sentiments qu'il montre à l'égard de Barbara Stanwyck, notamment le final où il se rend pour l'épargner. La conclusion apportera bien sûr une explication habile et bien trouvée à cette situation de départ. Pas inoubliable et loin des grandes heures de Dwan mais plutôt sympathique donc.

Sorti en dvd chez Carlotta au sein d'un coffret consacré à Allan Dwan

Florilège décalé en musique

mercredi 22 février 2012

Occupe-toi d'Amélie - Claude Autant-Lara (1949)


Amélie, une cocotte entretenue par Milledieu, se prête à un mariage blanc pour aider Marcel, un ami de son amant, à toucher un héritage. Mais une idylle naît entre les faux mariés.

Chef-œuvre longtemps invisible de la comédie, Occupe-toi d'Amélie est un des films les plus brillants de Claude Autant-Lara qui nous offre là une jubilation de tous les instants. Par la grâce de circonstances particulière et d'un travail collectif fructueux, cette adaptation de Feydeau devient un objet percutant, moderne et inventif tout en respectant parfaitement l'esprit de la pièce. Autant-Lara réalisait là sa troisième et dernière adaptation d'une pièce et travaillait pour la seconde fois avec le scénariste Jean Aurenche après Le Mariage de chiffon (1942) et L'Affaire du courrier de Lyon (1937) pour une sorte d'apothéose pleine de fantaisie.

A l'époque, le réalisateur est en difficulté et n'a pas travaillé depuis deux ans suite aux conflits avec son producteur Paul Graetz durant le tournage du sulfureux Le Diable au corps. Après une production houleuse, le producteur s'était totalement désolidarisé d'Autant-Lara lors de la sortie du film et lançant même sur lui la réputation de réalisateur dépensier et incontrôlable. Cela coûtera donc une longue inactivité à Autant-Lara bien décidé à effacer cette image lorsqu'il s'attaque à Occupe-toi d'Amélie. Ainsi sous son aspect léger et virevoltant, le film est une véritable horlogerie suisse à la construction parfaite et d'un rythme aussi trépidant que savamment calculé et sans temps mort. On doit cet équilibre idéal au célèbre duo de scénariste composé par Jean Aurenche et Pierre Bost. La rigueur de Bost marié à la folie douce et talent comique d'Aurenche donne donc un résultat remarquable transcendé par la mise en scène virtuose et le brio narratif d'Autant-Lara.

L'histoire est une comédie de boulevard dans le style le plus débridée et sautillant qu'on est en droit d'attendre. Amélie, cocotte frivole et insouciante est sollicitée par le meilleur ami (Jean Desailly) de son amant (André Bervil) pour consentir à un faux mariage permettant à ce dernier de toucher un important héritage. Sur ce postulat vont se greffer quiproquos en pagaille et personnages plus azimutés les uns que les autres que ce soit un amant princier grotesque (Grégoire Aslan magnifiquement outrancier en prince slave), un oncle belge à l'accent appuyé (Victor Guyau moteur du récit) ou encore Julien Carette (grand fidèle d'Autant-Lara) absolument irrésistible en papa gouailleur d'Amélie.

On resterait là dans le vaudeville classique mais l'ensemble s'orne d'une dimension supplémentaire dans le jeu narratif ludique instauré par les auteurs. Le fait d'assister à la représentation d'une pièce est établi d'emblée avec l'ouverture où l'on voit débouler Victor Guyau dans les coulisses, se grimer en oncle belge, travailler son accent et annoncer le ton du show à venir à des amis spectateurs quelque peu collet montés. Elevés dans le monde du spectacle (notamment sa mère sociétaire à la Comédie Française), Autant-Lara s'amuse follement dans cette description enjouée de la frénésie des coulisses.

Les passages d'un univers à un autre se feront avec une inventivité constante, que ce soit par la nature volontairement factice des décors (l'arrivée de Guyau dans une gare en carton-pâte) ou encore d'ample mouvement de caméra qui laisse soudainement découvrir les rideaux d'un cadre bien réel qui abritait pourtant une salle de théâtre dont on adopte le point de vue des spectateurs. Les transitions folles (l'annonce de l'épidémie à la caserne introduisant le deuxième acte) laissent bientôt place à un ton de plus en plus débridé où au fil de l'avancée du récit, les personnages de la pièce piègent les spectateurs outrés pour les garder jusqu'au bout, ces derniers intervenant même au final dans le récit face à la conduite décidément trop immorale des héros.

Toutes ces idées sont servies par des acteurs au diapason et en particulier une fabuleuse Danielle Darrieux. Charmeuse et pleine d'esprit, elle alterne sophistication et hilarante authenticité (le très naturel "Tu parles" lâché lorsqu'on lui expose une alliance luxueuse est à hurler de rire) avec brio. Belle à croquer dans des robes splendides et vulgaire accentuant ses déhanchés, elle distille même sous le comique une émotion inattendue en un éclair lors du final et sa réaction quand elle découvre qu'elle n'est pas réellement mariée. Le jeu constant entre le vrai et le faux, l'enchevêtrement des récits et des manipulations de chacun est un réjouissement constant notamment la longue scène de mariage qui fait rire aux éclats.

Occupe-toi d'Amélie ouvre la voie à une multitude d'exercice plus tardifs du genre, le plus fameux étant La Rose Pourpre du Caire mais on pense même aux délires des ZAZ ou de Mel Brooks tel ce passage où les techniciens de théâtre finissent de préparer le décor sous nos yeux lors de l'entame du second acte avec Darrieux et Desailly dans la chambre. Cette réussite totale se verra pourtant cruellement freinée lors de sa sortie. Longtemps tombés en désuétudes, les textes de Feydeau reviendront à la mode grâce au succès d'une reprise du Dindon à la Comédie Française.

Les ayants droit de l'auteur négocieront alors un contrat d'exclusivité avec celle-ci, l'adaptation d'Autant-Lara faisant tâche suite à cet accord. Sans réussir à l'interdire ils en limitent alors sa diffusion par un procès et les futurs problèmes de droits (le film est produit par une entité française de la compagnie italienne Lux qui fera faillite au début des 60's) achèveront de le rendre longtemps invisible. Heureusement Feydeau tombé désormais dans le domaine public on peut à nouveau se délecter de ce délicieux moment.

Sorti chez SNC/M6 Vidéo