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mardi 13 février 2018

Ed Wood - Tim Burton (1994)

En 1952, Ed Wood cherche à percer dans l'industrie du cinéma. Il rencontre le producteur Georgie Weiss alors que celui-ci cherche à faire un film basé sur l'histoire de Christine Jorgensen (la première personne à s'être fait opérer pour changer de sexe) et lui propose d'écrire le scénario. Peu après, Wood rencontre Béla Lugosi et les deux hommes deviennent rapidement amis. Wood persuade Weiss de le laisser réaliser le film car lui-même aime s'habiller en femme et en mettant en avant la participation de Lugosi au projet. Wood réalise son rêve en étant à la fois acteur, scénariste, réalisateur et producteur de « Glen or Glenda? » mais le film est un grave échec à la fois commercial et critique.

Ed Wood s’affirme comme une des plus belles réussites et un des films les plus personnels de Tim Burton. A première vue on voit peu de point commun entre le wonder boy hollywoodien qu’est alors Tim Burton et le proclamé « plus mauvais réalisateur de tous les temps ».  Pourtant la seule vraie différence entre les deux repose avant tout sur le talent et la reconnaissance que leur accorda l’industrie. Tim Burton comme Ed Wood sont ainsi chacun à leur époque des parias à l’imaginaire excentrique qu’une rencontre avec une icône du cinéma fantastique (Vincent Price pour Burton, Bela Lugosi pour Ed Wood) mis en confiance pour se lancer, Price participant au court-métrage hommage Vincent (1982) puis Edward aux mainsd’argent (1990) tandis qu’un Lugosi sur le déclin joua dans La Fiancée du monstre (1956) et le fameux Plan 9 from Outer Space (1959). Pour résumer, Tim Burton est en quelque sorte un Ed Wood qui aurait réussi et dont la singularité fit le succès quand elle suscita le rejet pour Ed Wood. C’est en tout cas par le prisme de cette identification que Tim Burton oriente son biopic, au départ un projet dont il n’est pas l’initiateur ni le réalisateur initial (Michael Lehman devant mettre en scène le scénario de  du duo de scénaristes Scott Alexander et Larry Karaszewski spécialisé dans le biopic, Larry Flynt (1996) et Man on the Moon (1999) de Milos Forman suivront notamment). L’attachement de Burton au sujet sera la source de choix formels radicaux avec notamment le noir et blanc qui provoquera le retrait de Columbia Pictures studio au départ du projet pour Disney qui lui laissera toute latitude en échange d’un budget modeste de 18 millions de dollars.

Si le film s’inspire largement du livre Nightmare of Ecstasy: The Life and Art of Edward D. Wood, Jr de Rudolph Grey paru en 1992 (livre d’entretien avec les proches d’Ed Wood qui participa à la reconsidération du réalisateur avant le film de Burton), Tim Burton prend de larges libertés avec les évènements et la nature de certains personnages - la vision négative pas forcément justifiée de Dolores Fuller, première compagne d’Ed Wood jouée par Sarah Jessica Parker - pour orienter le film vers ses thèmes de prédilections. Tous les grands personnages de Burton souffrent de ce déchirement entre volonté d’intégrer un monde « normal » qu’ils observent de loin et le souhait de préserver leur individualité. Dans Ed Wood cela prend une tournure d’autant plus personnelle avec un héros aspirant réalisateur (Johnny Depp) qui observe avec envie le faste des studios en se rêvant également à la tête de ses propres films. Les chemins de traverse, le manque de moyen et surtout de talent pourrait décourager le personnage mais au contraire Burton s’attache à dépeindre son indéfectible optimisme – là aussi rejetant les réels penchants autodestructeurs d’Ed Wood qui conduiront à sa mort prématurée.

La normalité est un doux rêve mais la bizarrerie moteur de cette singularité une raison de vivre et un moteur créatif chez Burton. Dès lors ce sont les penchants les plus anticonformistes d’Ed Wood qui l’inspire quand il mettra en scène son goût pour le travestissement dans Glen or Glenda (1953). Le réalisateur prolonge cette idée dans la constitution de la communauté de « monstres » qu’est son équipe artistique. Cela passe par le physique et la carrure hors-normes de Thor Johnson (le vrai catcheur George Steele), l’identité sexuelle à nouveau incertaine de Bunny (Bill Murray) et surtout par la théâtralité du tempérament de Bela Lugosi (Martin Landau). L’excentricité de ce dernier l’a élevé puis suscité le rejet d’Hollywood pour lequel il constitue un vestige poussiéreux et oublié. L’interprétation fragile, tourmentée et imprévisible de Martin Landau en font une figure inoubliable et Burton soigne tout particulièrement l’attachant rapport père/fils qui se noue avec Ed Wood. Burton ne fait pas de son héros un génie incompris (l’incompétence manifeste et les bouts de ses films étant largement exposés) mais voit en lui un artiste à part entière dont la sincérité et la croyance profonde en ce qu’il raconte mérite le respect. 

L’exaltation avec laquelle il dirige son plateau et la fièvre avec laquelle il récite tous les dialogues des acteurs suscitent ainsi un enthousiasme contagieux. Mais c’est surtout dans la manière dont il se relève constamment de ses échecs et transcende les obstacles qui créent cette empathie. Les différentes déconvenues peuvent concerner son talent tout relatif (à un producteur qui lui signale la nullité de Glen ou Glenda, Ed Wood réplique que le prochain film sera meilleur), sa nature de freaks (Dolores ne supportant pas son attrait des vêtements féminins) ou les aléas de tournages fauchés, il se relèvera toujours plein d’allant. Deux scènes mettent superbement en parallèle cette idée. Ce sera d’abord quand il avouera à sa nouvelle petite amie (Patricia Arquette) son goût pour le travestissement dans un train fantôme qui tombe en panne le temps de la confession. 

Après s’être rassuré sur le fait que cette marotte n’altéra pas son gout pour le sexe, la fiancée ne s’en offusque pas et le train fantôme peut se remettre en route comme si de rien n’était. La seconde scène sera la rencontre (imaginaire) entre Ed Wood et Orson Welles (Vincent D'Onofrio) où le fossé de talent s’estompe pour ne laisser que le dialogue entre deux artistes ayant les mêmes difficultés à trouver le financement pour leur œuvre et à jongler avec leurs mécènes interventionnistes. 

« L’accomplissement » de Plan 9 from Outer Space se ressent ainsi plus dans l’énergie créative et la fougue d’Ed Wood que dans le résultat ridicule mais dont Burton nimbe l’amateurisme d’une poésie sincère - et accorde une scène d’avant-première qui ne s’est jamais déroulée. Ed Wood est le dernier vrai grand chef d’œuvre de Tim Burton, un de ceux où il se met le plus à nu et ne souffrant pas encore du malentendu à venir entre une bizarrerie devenue une trademark (Sleepy Hollow (1999)) et en contradiction avec un conformisme ayant pris le pas (Big Fish (2002), Charlie et la Chocolaterie (2005), Les Noces Funèbres (2005), Alice au pays des merveilles (2010)).

Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Touchstone

2 commentaires:

  1. Je vais de ce pas revoir Ed Wood ce weekend! J'adore ce film et son ton, et je l'ai pas revu depuis des années malgré le fait de l'avoir en DVD! Merci Justin!

    A ce propos, as-tu vu "Le Retour du Héros"? Je l'ai vu et il me rappelle les folles comédies burlesques à l'américaine de de Broca et Rappeneau.

    Stéphanie

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    1. Salut Stéphanie et non pas vu "Le Retour du héros" mais la bande-annonce laissait penser que c'était dans cette veine de Broca/Rappeneau je vais tenter si j'ai le temps !

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