En 1952, Ed Wood
cherche à percer dans l'industrie du cinéma. Il rencontre le producteur Georgie
Weiss alors que celui-ci cherche à faire un film basé sur l'histoire de
Christine Jorgensen (la première personne à s'être fait opérer pour changer de
sexe) et lui propose d'écrire le scénario. Peu après, Wood rencontre Béla
Lugosi et les deux hommes deviennent rapidement amis. Wood persuade Weiss de le
laisser réaliser le film car lui-même aime s'habiller en femme et en mettant en
avant la participation de Lugosi au projet. Wood réalise son rêve en étant à la
fois acteur, scénariste, réalisateur et producteur de « Glen or Glenda? »
mais le film est un grave échec à la fois commercial et critique.
Ed Wood s’affirme
comme une des plus belles réussites et un des films les plus personnels de Tim
Burton. A première vue on voit peu de point commun entre le wonder boy hollywoodien qu’est alors Tim
Burton et le proclamé « plus mauvais réalisateur de tous les temps ». Pourtant la seule vraie différence entre les
deux repose avant tout sur le talent et la reconnaissance que leur accorda l’industrie.
Tim Burton comme Ed Wood sont ainsi chacun à leur époque des parias à l’imaginaire
excentrique qu’une rencontre avec une icône du cinéma fantastique (Vincent
Price pour Burton, Bela Lugosi pour Ed Wood) mis en confiance pour se lancer,
Price participant au court-métrage hommage Vincent (1982) puis Edward aux mainsd’argent (1990) tandis qu’un Lugosi sur le déclin joua dans La Fiancée du monstre (1956) et le
fameux Plan 9 from Outer Space
(1959). Pour résumer, Tim Burton est en quelque sorte un Ed Wood qui aurait
réussi et dont la singularité fit le succès quand elle suscita le rejet pour Ed
Wood. C’est en tout cas par le prisme de cette identification que Tim Burton
oriente son biopic, au départ un projet dont il n’est pas l’initiateur ni le
réalisateur initial (Michael Lehman devant mettre en scène le scénario de du duo de scénaristes Scott Alexander et Larry
Karaszewski spécialisé dans le biopic, Larry
Flynt (1996) et Man on the Moon
(1999) de Milos Forman suivront notamment). L’attachement de Burton au sujet
sera la source de choix formels radicaux avec notamment le noir et blanc qui
provoquera le retrait de Columbia Pictures studio au départ du projet pour
Disney qui lui laissera toute latitude en échange d’un budget modeste de 18
millions de dollars.
Si le film s’inspire largement du livre Nightmare of Ecstasy: The Life and Art of Edward D. Wood, Jr de
Rudolph Grey paru en 1992 (livre d’entretien avec les proches d’Ed Wood qui
participa à la reconsidération du réalisateur avant le film de Burton), Tim
Burton prend de larges libertés avec les évènements et la nature de certains
personnages - la vision négative pas forcément justifiée de Dolores Fuller,
première compagne d’Ed Wood jouée par Sarah Jessica Parker - pour orienter le
film vers ses thèmes de prédilections. Tous les grands personnages de Burton
souffrent de ce déchirement entre volonté d’intégrer un monde « normal »
qu’ils observent de loin et le souhait de préserver leur individualité. Dans Ed Wood cela prend une tournure d’autant
plus personnelle avec un héros aspirant réalisateur (Johnny Depp) qui observe
avec envie le faste des studios en se rêvant également à la tête de ses propres
films. Les chemins de traverse, le manque de moyen et surtout de talent
pourrait décourager le personnage mais au contraire Burton s’attache à dépeindre
son indéfectible optimisme – là aussi rejetant les réels penchants
autodestructeurs d’Ed Wood qui conduiront à sa mort prématurée.
La normalité est un doux rêve mais la bizarrerie moteur de
cette singularité une raison de vivre et un moteur créatif chez Burton. Dès
lors ce sont les penchants les plus anticonformistes d’Ed Wood qui l’inspire
quand il mettra en scène son goût pour le travestissement dans Glen or Glenda (1953). Le réalisateur
prolonge cette idée dans la constitution de la communauté de « monstres »
qu’est son équipe artistique. Cela passe par le physique et la carrure
hors-normes de Thor Johnson (le vrai catcheur George Steele), l’identité
sexuelle à nouveau incertaine de Bunny (Bill Murray) et surtout par la
théâtralité du tempérament de Bela Lugosi (Martin Landau). L’excentricité de ce
dernier l’a élevé puis suscité le rejet d’Hollywood pour lequel il constitue un
vestige poussiéreux et oublié. L’interprétation fragile, tourmentée et
imprévisible de Martin Landau en font une figure inoubliable et Burton soigne
tout particulièrement l’attachant rapport père/fils qui se noue avec Ed Wood. Burton ne fait pas de son héros un génie incompris (l’incompétence
manifeste et les bouts de ses films étant largement exposés) mais voit en lui
un artiste à part entière dont la sincérité et la croyance profonde en ce qu’il
raconte mérite le respect.
L’exaltation avec laquelle il dirige son plateau et la
fièvre avec laquelle il récite tous les dialogues des acteurs suscitent ainsi
un enthousiasme contagieux. Mais c’est surtout dans la manière dont il se
relève constamment de ses échecs et transcende les obstacles qui créent cette
empathie. Les différentes déconvenues peuvent concerner son talent tout relatif
(à un producteur qui lui signale la nullité de Glen ou Glenda, Ed Wood réplique
que le prochain film sera meilleur), sa nature de freaks (Dolores ne supportant
pas son attrait des vêtements féminins) ou les aléas de tournages fauchés, il
se relèvera toujours plein d’allant. Deux scènes mettent superbement en
parallèle cette idée. Ce sera d’abord quand il avouera à sa nouvelle petite
amie (Patricia Arquette) son goût pour le travestissement dans un train fantôme
qui tombe en panne le temps de la confession.
Après s’être rassuré sur le fait
que cette marotte n’altéra pas son gout pour le sexe, la fiancée ne s’en
offusque pas et le train fantôme peut se remettre en route comme si de rien n’était.
La seconde scène sera la rencontre (imaginaire) entre Ed Wood et Orson Welles (Vincent
D'Onofrio) où le fossé de talent s’estompe pour ne laisser que le dialogue
entre deux artistes ayant les mêmes difficultés à trouver le financement pour
leur œuvre et à jongler avec leurs mécènes interventionnistes.
« L’accomplissement »
de Plan 9 from Outer Space se ressent
ainsi plus dans l’énergie créative et la fougue d’Ed Wood que dans le résultat
ridicule mais dont Burton nimbe l’amateurisme d’une poésie sincère - et accorde
une scène d’avant-première qui ne s’est jamais déroulée. Ed Wood est le dernier
vrai grand chef d’œuvre de Tim Burton, un de ceux où il se met le plus à nu et
ne souffrant pas encore du malentendu à venir entre une bizarrerie devenue une
trademark (Sleepy Hollow (1999)) et
en contradiction avec un conformisme ayant pris le pas (Big Fish (2002), Charlie et
la Chocolaterie (2005), Les Noces Funèbres (2005), Alice au pays des
merveilles (2010)).
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Touchstone
Je vais de ce pas revoir Ed Wood ce weekend! J'adore ce film et son ton, et je l'ai pas revu depuis des années malgré le fait de l'avoir en DVD! Merci Justin!
RépondreSupprimerA ce propos, as-tu vu "Le Retour du Héros"? Je l'ai vu et il me rappelle les folles comédies burlesques à l'américaine de de Broca et Rappeneau.
Stéphanie
Salut Stéphanie et non pas vu "Le Retour du héros" mais la bande-annonce laissait penser que c'était dans cette veine de Broca/Rappeneau je vais tenter si j'ai le temps !
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