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mardi 8 mars 2016

Man on the Moon - Miloš Forman (1999)

La carrière du comique américain Andy Kaufman, mort en 1984 d'un cancer du poumon. Né à New York en 1949, il débute dans de nombreux cabarets avant de se faire remarquer à la télévision dans la célèbre émission "Saturday Night Live". Il est une des vedettes de la série "Taxi" puis provoque les réactions les plus diverses en montant des spectacles originaux, notamment au Carnegie Hall de New York.

Miloš Forman poursuit avec ce Man on the Moon le passionnant cycle de biopic entamé avec Amadeus (1984) et Larry Flynt (1996). Chacune des personnalités évoquées incarnait un savant mélange de génie et provocation au service de leur art et/ou message. L’excentricité de Mozart était ainsi une extension de sa créativité par une outrance le distinguant du conformisme de ses pairs musiciens dans une folie douce dégagée par son aura autant que ses compositions. Pour Larry Flynt, le mauvais gout et l’art de choquer une Amérique bien-pensante symbolise le combat de cet homme pour la liberté d’expression auquel il paiera le prix fort. Cette figure d’empêcheur de tourner en rond bousculant l’ordre établi, Forman l’avait d’ailleurs déjà introduit dans son plus grand succès américain avec le Jack Nicholson de Vol au-dessus d'un nid de coucou (1975). Man on the Moon apporte une variation tout aussi passionnante de ce cycle.

Le film est une libre adaptation de l’existence tumultueuse d’Andy Kaufman, célèbre star comique des années 70/80. Forman adopte d’emblée de faire du film entier un happening nous plongeant dans l’esprit agité de Kaufman. L’artiste s’introduit ainsi face caméra, ahuri et tirant en longueur un absurde et incompréhensible où il nous annonce que le film est déjà terminé, générique de fin à l’appui. C’est une manière pour lui de tester le spectateur tout comme il a pu si souvent éprouver son audience à l’époque, précisant que nombre d’évènements ont été modifiés, élagués ou supprimés. C’est le propre de n’importe biopic direz-vous, mais le faire prononcer par l’intéressé affirme d’emblée la mainmise de sa personnalité d’entertainer. Comme le dira à un moment le personnage de Courtney Love, nul ne sait qui est le vrai Andy Kaufman. En constante performance, le but d’Andy Kaufman n’est pas d’amuser ou basiquement faire rire son audience, mais de constamment la désarçonner. 

Les sketches modestes du début du film provoquent l’hilarité par la présence incongrue et Kaufman et les détours imprévisibles de ses interprétations. Un imbécile heureux et gauche se transforme en un extraordinaire Elvis lascif et dérègle le Saturday Night Live par un sketch quasi muet où il chantera une ligne de couplet de chanson. L’ensemble du film étend à des proportions de plus en plus impressionnantes cet art du gag improbable où Kaufman incarne tout et son contraire. Champion du catch « mixte » il s’attire l’ire des femmes tout comme des habitants de la capitale du catch, Memphis et ses « bouseux » tournés en ridicule lors d’un combat épique avec le vrai champion Jerry Lawler. Point de grand message ou objectif pour Kaufman, si ce n’est tester la crédulité et la tolérance de son public face à ses outrances en étant en permanence sur la corde raide du vrai mauvais gout.

La narration nous embarque d’un gag à l’autre, toujours plus fou et occultant volontairement tout aspect trop intime de l’existence de Kaufman pour ne laisser que voir que sa vraie raison d’être, le show. On parvient ainsi à être déstabilisé au cœur même d’un happening déjà bien retors où l’entourage proche constitue autant un public que la foule environnante. La première apparition du grotesque et outrancier personnage de Tony Clifton, Courtney Love surprise de la tournure d’un combat de catch supposé truqué ou une émission de télé doublement parasitée, tous ces moments font de Kaufman un agent du chaos imprévisible et insaisissable. La réalité ne rattrapera Kaufman quand il ne sera plus sous le feu des projecteurs d’un public las de ses provocations. Ce n’est que là qu’il nous apparaîtra vulnérable, vraie coquille vide lorsqu’il n’a plus personne pour le regarder, l’aimer et le détester. 

On le découvre à son tour crédule et sans repères dans son attrait des mantras new Age, finalement trahi par un corps qui ne peut exister que pour faire dysfonctionner le système. L’émotion peut enfin s’inviter sans se départir de mauvais gout (la crise cardiaque en pleine représentation scénique) et en laissant planer le doute d’une ultime manipulation. Forman manie avec brio l’ambiguïté en rendant Kaufman tout à la fois pathétique avec un drame personnel perçu comme un possible happening mais en célébrant aussi définitivement son génie n’évacuant pas le mystère d’un canular morbide et grandiose. La dernière scène va dans ce sens, entre touchant hommage et hoax délirant et Jim Carrey siphonné et touchant semble totalement possédé par l’esprit de Kaufman. Que l’Oscar lui ait échappé cette année-là demeure un mystère. Un grand film.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner 

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