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mercredi 16 janvier 2019

Ma nuit chez Maud - Éric Rohmer (1969)


Clermont-Ferrand, quelques jours avant Noël. Un jeune ingénieur, récemment revenu de l'étranger, remarque à la messe une jeune femme blonde et décide qu'elle sera sa femme. Il retrouve par hasard Vidal, un ancien ami, communiste, qui l'invite à un dîner le soir de Noël chez une amie divorcée, Maud. La soirée se passe en longues discussions à trois, puis à deux, mariant également sincérité et séduction…

Ma nuit chez Maud est le quatrième volet des Contes Moraux d’Éric Rohmer (mais le troisième si l’on considère leur ordre d’écriture) dont la production fut permise par la notoriété acquise par le réalisateur grâce à l’Ours d’argent remporté par La Collectionneuse (1967) au Festival de Berlin. La plupart des Contes Moraux montre un protagoniste masculin jouant avec la tentation d’une aventure, d’une séduction face à laquelle il finira par reculer. En apparence Rohmer ancre ce dilemme amoureux et/ou sexuel dans un conflit moral concret (marié comme dans L’Amour l’après-midi (1972) ou Le Genou de Claire (1970), ou du moins bientôt destiné à l’être dans La Collectionneuse) ou plus abstrait pour le personnage tiraillé dans une morale bourgeoise l’empêchant de franchir le pas. Ma nuit chez Maud creuse le même sillon, développant ces questionnements en passant paradoxalement par une plus grande austérité formelle et narrative. Les ambiances estivales, le marivaudage léger et l’insouciance laissent place à un Clermont-Ferrand hivernal filmé en noir et blanc, parfait théâtre du caractère entravé de Jean-Louis Trintignant.

Le début du film nous montre méticuleusement son quotidien rigoureux, ses trajets en voiture, sa distance face à ses collègues. Le seul moment de fuite sera ce regard appuyé envers cette jeune femme blonde (Marie-Christine Barrault) durant la messe et qu’il destine à être son épouse. Lorsque Vidal (Antoine Vitez) un ami d’enfance le convie à dîner chez Maud (Françoise Fabian), une amie divorcée, les contradictions du héros (jamais nommé) vont éclater au grand jour. La plupart des autres personnages masculins des Contes Moraux aimaient à donner une image de légèreté avant d’être rattrapés par leurs par leur tiraillements bourgeois. Jean-Louis Trintignant exprime exactement l’inverse, affichant une retenue physique, verbale et surtout morale qui ne demande qu’à être mise à l’épreuve. 

Il ne cède pas à un jansénisme sinistre mais s’impose des digues dans son rapport aux autres (cette volonté de ne pas se familiariser avec ses collègues) et surtout dans sa vie amoureuse. Durant le dîner, les discussions sur Blaise Pascal le montre opposé justement au jansénisme religieux du philosophe, trop catégorique dans les choix de vie qu’il s’impose. Trintignant s’autorise une plus grande liberté dans sa vie selon lui, non pas régie par un dogme mais justement par quelques barrières autour desquelles il peut naviguer. Il s’autorise des aventures, mais seulement concrètes et de longue durée, fuyant ainsi la bagatelle de la relation d’un soir. L’idéal féminin doit correspondre à un physique défini (correspondant justement à Marie-Christine Barrault), tout comme le fait qu’elle soit catholique comme lui. 

 Rieuse, athée et libre de ses mœurs, Maud représente donc l’exact opposé des aspirations de Trintignant. La partie où les personnages discutent à trois sert à concrétiser par le verbe la contenance étouffée que l’on a deviné du héros et le reste de la soirée à deux sera la mise à l’épreuve. Rohmer excelle à distiller formellement le trouble de Trintignant. La bascule des sentiments passe notamment sur ce gros plan où Maud se confie sur l’amour de sa vie perdu dans un accident de voiture (donnant une autre perspective à un dialogue précédent où elle a retenu Trintignant de conduire sous la neige et passer la nuit chez elle), la désinvolture devient gravité et la voix de Trintignant hors champs se fait silencieuse. 

Le contrechamp nous le montre ayant fui ce trouble pour aller regarder par la fenêtre. Ce mouvement de recul s’exprime ensuit dans l’attrait charnel. Rohmer oppose la préciosité ridicule du héros et la volupté, Trintignant s’enroulant dans une couverture (pour ne pas dormir sur le lit de Maud) tandis que le contrechamp de Maud laisse deviner qu’elle est désormais nue sous sa couverture. Dès que les deux personnages partagent le plan, le conflit entre désir et maintien renaît avec ce début d’enlacement dans le lit finalement repoussé par Trintignant – qui presse à nouveau Maud forcément après qu’elle l’ait rejeté pour son inconséquence. 

Trintignant a en fait déjà « élu » sa belle inconnue blonde et ne peut s’abandonner à un désir plus immédiat qui s’oppose à ses attentes. La séduction candide de Françoise (Marie-Christine Barrault), les hasards heureux et la nuit chaste passée sous le même toit n’a rien à voir avec la tension sexuelle de la nuit chez Maud pourtant non consommée aussi. L’être conforme n’est pas synonyme de danger, tandis que l’électron libre Maud éveille tous les instincts, la promesse d’inconnu et la spontanéité qui effraient Trintignant. Un écart parfaitement illustré par la scène finale où Maud plus sensuelle et radieuse que jamais croise sur la plage Trintignant aux côté de Françoise qui a totalement endossée le rôle attendu d’épouse de de mère. Le regard peut bien s’attarder sur le regard de braise et la silhouette de Maud, les pas de Trintignant suivront néanmoins la rassurante Françoise et le bonheur dans la norme qu’elle offre.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Potemkine

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