Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 7 octobre 2018

L'Amour l'après-midi - Eric Rohmer (1972)


Frédéric, associé dans un cabinet d’affaires, marié et père d’un enfant, bientôt de deux, aime sa femme Hélène, professeur d’anglais. Pourtant depuis quelque temps, il médite sur son rapport aux femmes, à la sienne et à celles qu’il croise et qu'il observe dans sa vie quotidienne. Il constate aussi une angoisse discrète qui l’étreint l’après-midi. Un jour, la maîtresse d’un de ses amis de jeunesse reprend contact avec lui. Elle s’appelle Chloé : elle est indépendante, impulsive, aventurière, désespérée.

L'Amour l'après-midi est le dernier volet du cycle des six Contes moraux d’Éric Rohmer après La Boulangère de Monceau (1963), La Carrière de Suzanne (1963), La Collectionneuse (1967), Ma nuit chez Maud (1969) et Le Genou de Claire (1970). Le film offre le même postulat que ses prédécesseurs à savoir les hésitations d’un homme entre un amour rêvé et un autre accompli, jusqu’à ce que la raison et/ou la morale guide le choix final. L’attrait de l’ailleurs reste fugitif dans le quotidien de Frédéric (Bernard Verley) dont le quotidien rangé entre foyer et travail s’autorise à flâner dans l’anonymat urbain. Le plaisir de l’oubli de la lecture dans les transports incarne ce goût de l’évasion rêvée de Frédéric, laissant voguer son désir dans les visages et silhouettes féminines inconnues croisées au hasard. L’hésitation du personnage entre liberté et conformité s’illustre dans la courte plage de récréation qu’il s’accorde dans l’après-midi, se sentant superficiellement à part par cette flânerie le plaçant à contre-courant du quidam ordinaire l’espace d’un instant.

Rohmer déploie dans ces moments les situations (la jolie vendeuse qui lui fera acheter une chemise), observations (la voix-off de Frédéric discourant au fil de ses pensées et de la caméra suivant les beautés stimulant son imagination dans les rues) et fantasmes qui agitent le héros, avec en clou cette scène de rêve où défilent des guests féminins faisant référence aux Contes moraux précédents – Françoise Fabian et Marie-Christine Barrault pour Ma nuit chez Maud notamment. La vraie tendresse et la sensualité existe dans le cocon du foyer comme le montre la superbe ouverture sur son épouse Hélène (Françoise Verley vraie épouse de Bernard Verley) nue dans la salle de bain, proximité du quotidien et volupté existant dans un même instant.

L’extérieur est donc le lieu de tous les possibles imaginaires, y compris lorsque la séduisante Chloé (Zouzou) va le poursuivre de ses assiduités. Frédéric est plus toujours attiré par « l’idée » que la relation, se sentant comme un amant éconduit quand Chloé se montre distante et préférant le badin à une vraie relation quand elle revient vers lui. Le cadre même de leur rencontre, lors de ce fameux créneau évasif de l’après-midi, enferme finalement Chloé dans cet espace du fantasme. Tous les rapprochements possibles qui rendraient cette relation adultère dans les faits plutôt qu’en pensées sont voués à l’échec.

Rohmer traduit de manière progressive et visuelle cette impossibilité à travers des motifs de redite entre le foyer et le fantasme pour les opposer. La scène de la salle de bain en ouverture renvoie les nudités d’Hélène et Chloé dos à dos (concrètement) tandis que Frédéric proche de céder voit sa posture d’amant maladroit le renvoyer à celle de père amuseur. C’est la facette la plus explicite d’une opposition qui court tout au long du récit : la douceur bourgeoise d’Hélène face à l’énergie « prolo » de Chloé, le physique longiligne de l’une face aux formes charnues de l’autre, les silences complices de l’une contre la logorrhée semant l’incertitude de l’autre. 

On pourrait croire que le regard de Rohmer est moral au sens rétrograde du terme, mais il n’en est rien. Plutôt que de séparer l’amour et le désir fantasmé en deux personnages, deux lieux et temporalité, le couple surmonte le creux et l’angoisse des après-midi vide ensemble. L’émotion de la scène finale repose ainsi sur la conscience de ce qui les séparait tacitement pour les époux, le désir intact s’exprimant avec une délicatesse palpable.

Sorti en dvd zone 2 français chez Potemkine 

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