Frédéric, associé dans
un cabinet d’affaires, marié et père d’un enfant, bientôt de deux, aime sa
femme Hélène, professeur d’anglais. Pourtant depuis quelque temps, il médite
sur son rapport aux femmes, à la sienne et à celles qu’il croise et qu'il
observe dans sa vie quotidienne. Il constate aussi une angoisse discrète qui
l’étreint l’après-midi. Un jour, la maîtresse d’un de ses amis de jeunesse
reprend contact avec lui. Elle s’appelle Chloé : elle est indépendante,
impulsive, aventurière, désespérée.
L'Amour l'après-midi
est le dernier volet du cycle des six Contes
moraux d’Éric Rohmer après La
Boulangère de Monceau (1963), La
Carrière de Suzanne (1963), La
Collectionneuse (1967), Ma nuit chez
Maud (1969) et Le Genou de Claire
(1970). Le film offre le même postulat que ses prédécesseurs à savoir les
hésitations d’un homme entre un amour rêvé et un autre accompli, jusqu’à ce que
la raison et/ou la morale guide le choix final. L’attrait de l’ailleurs reste
fugitif dans le quotidien de Frédéric (Bernard Verley) dont le quotidien rangé
entre foyer et travail s’autorise à flâner dans l’anonymat urbain. Le plaisir
de l’oubli de la lecture dans les transports incarne ce goût de l’évasion rêvée
de Frédéric, laissant voguer son désir dans les visages et silhouettes féminines
inconnues croisées au hasard. L’hésitation du personnage entre liberté et
conformité s’illustre dans la courte plage de récréation qu’il s’accorde dans l’après-midi,
se sentant superficiellement à part par cette flânerie le plaçant à
contre-courant du quidam ordinaire l’espace d’un instant.
Rohmer déploie dans ces moments les situations (la jolie
vendeuse qui lui fera acheter une chemise), observations (la voix-off de Frédéric
discourant au fil de ses pensées et de la caméra suivant les beautés stimulant
son imagination dans les rues) et fantasmes qui agitent le héros, avec en clou
cette scène de rêve où défilent des guests féminins faisant référence aux Contes moraux précédents – Françoise Fabian
et Marie-Christine Barrault pour Ma nuit
chez Maud notamment. La vraie tendresse et la sensualité existe dans le
cocon du foyer comme le montre la superbe ouverture sur son épouse Hélène (Françoise
Verley vraie épouse de Bernard Verley) nue dans la salle de bain, proximité du
quotidien et volupté existant dans un même instant.
L’extérieur est donc le
lieu de tous les possibles imaginaires, y compris lorsque la séduisante Chloé
(Zouzou) va le poursuivre de ses assiduités. Frédéric est plus toujours attiré
par « l’idée » que la relation, se sentant comme un amant éconduit
quand Chloé se montre distante et préférant le badin à une vraie relation quand
elle revient vers lui. Le cadre même de leur rencontre, lors de ce fameux
créneau évasif de l’après-midi, enferme finalement Chloé dans cet espace du
fantasme. Tous les rapprochements possibles qui rendraient cette relation
adultère dans les faits plutôt qu’en pensées sont voués à l’échec.
Rohmer traduit de manière progressive et visuelle cette
impossibilité à travers des motifs de redite entre le foyer et le fantasme pour
les opposer. La scène de la salle de bain en ouverture renvoie les nudités d’Hélène
et Chloé dos à dos (concrètement) tandis que Frédéric proche de céder voit sa
posture d’amant maladroit le renvoyer à celle de père amuseur. C’est la facette
la plus explicite d’une opposition qui court tout au long du récit : la
douceur bourgeoise d’Hélène face à l’énergie « prolo » de Chloé, le
physique longiligne de l’une face aux formes charnues de l’autre, les silences complices
de l’une contre la logorrhée semant l’incertitude de l’autre.
On pourrait
croire que le regard de Rohmer est moral au sens rétrograde du terme, mais il n’en
est rien. Plutôt que de séparer l’amour et le désir fantasmé en deux
personnages, deux lieux et temporalité, le couple surmonte le creux et l’angoisse
des après-midi vide ensemble. L’émotion de la scène finale repose ainsi sur la
conscience de ce qui les séparait tacitement pour les époux, le désir intact s’exprimant
avec une délicatesse palpable.
Sorti en dvd zone 2 français chez Potemkine
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