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lundi 8 juillet 2019

Les Enfants de la mer - Kaijû no kodomo, Ayumu Watanabe (2019)


Ruka, jeune lycéenne, vit avec sa mère. Elle se consacre à sa passion, le handball. Hélas, elle se fait injustement exclure de son équipe le premier jour des vacances. Furieuse, elle décide de rendre visite à son père à l'aquarium où il travaille. Elle y rencontre Umi, qui semble avoir le don de communiquer avec les animaux marins. Ruka est fascinée. Un soir, des événements surnaturels se produisent.

C’est une période faste que vit actuellement le mangaka Daisuke Igarashi qui voit presque simultanément sortir en France deux productions adaptées de ses mangas, le coréen et live Petite forêt et donc Les Enfants de la mer sous forme de film d’animation. Ce format se prêtait particulièrement bien à cette œuvre foisonnante pour laquelle le Studio 4°C a mis les talents et moyens conséquents. Le réalisateur Ayumu Watanabe depuis ses débuts en 1991 est ainsi passé de storyboarder à directeur de l’animation avant de se faire remarquer à la mise en scène de séries populaires comme Doraemon, Ace Attorney, ou plus complexe avec le récent After the rain. Ces précisions sont importantes dans la manière dont elles jouent dans l’approche de Watanabe pour adapter le manga d’Igarashi. La complexité du propos passe essentiellement par la recherche visuelle pour laquelle le réalisateur s’est notamment entouré de Kenichi Konishi, fameux directeur de l’animation féru d’expérimentation dans des classiques du studio Ghibli (Princesse Mononoké (1997), Mes voisins les Yamada (1999), Le Voyage de Chihiro (2001) ou de Satoshi Kon (Millenium Actress (2001) et Tokyo Godfathers (2003)). 

Watanabe simplifie ainsi grandement le propos du manga en terme narratif pour le retranscrire au mieux par l’expérimentation formelle. Cela fonctionne souvent mais n’est pas dénué d’écueils dommageables. Le point de vue se réduit essentiellement à celui de la jeune héroïne Ruka et fait du film un coming of age où l’énigme à résoudre est également celle de son passage à la maturité. Le trouble amoureux et charnel est ainsi plus appuyé dans le film à travers son lien avec Umi et Sora, rendant certaine situations plus ambiguës, mais réduit aussi en termes de caractérisation la fascination que suscitent les deux enfants de la mer. Watanabe mise avant tout sur l’étrangeté qu’ils dégagent (le chara-design respecte brillamment le trait de Igarashi dans ces visages et regards à mi-chemin entre vide et grande expressivité) mais uniquement dans leur lien à Ruka. 

On peut regretter l’absence des flashbacks du manga qui définissaient Umi et Sora (et leur semblables) comme de véritables légendes maritimes ayant traversées le temps et bouleversés la vie de ceux qui avaient pu croiser leur route. Cela élevait le propos en les plaçant dans un ensemble plus vaste, et servait donc de judicieuse transition avant la bascule plus métaphysique du récit. De même les rapports filiaux et/ou d’amitiés contrariées entre les personnages océanographes d’Anglade et Jim disparaissent complètement, ce qui simplifie encore l’arrière-plan et les sous-intrigues du manga.

L’adaptation a ses nécessités de condensation bien évidemment (il manque peut-être un quart d’heure qui aurait rendu l’ensemble plus fluide) mais ce sont des petits manques qui rendent finalement la narration assez répétitive, boiteuse et simplifiée. Heureusement les émois existentiels (notamment la séparation de ses parents) de Ruka sont magnifiquement traduits. Watanabe joue tout d’abord d’un habile équilibre entre étrangeté et photoréalisme (et de saisissants effets cell-shading) dans les déambulations urbaines de Ruka, dans le rendu des multiples créatures sous-marines rencontrées… Si la grande question du « mystère de la vie » au cœur du manga est laborieusement amenée dans la dramaturgie, le vertige des sens est absolument stupéfiant formellement. 

Les jeux de lumières, la bascule brillante entre différents techniques d’animations et une intégration parfaite des effets numériques, se mettent au service d’une impressionnante séquence psychédélique à la 2001 dont le foisonnement ne nous éloigne jamais des enjeux à l’échelle plus intimes liés à Ruka. L’onirisme ambiant ne s’égare pas mais trouble de bout en bout sur une musique où Joe Hisaishi s’éloigne des grandes mélopées symphoniques à la Ghibli pour un travail où il accompagne plus qu’il ne cherche à sublimer la sidération du spectateur face au spectacle. Malgré quelques réserves donc, un splendide  et hypnotique livre d’images. 

En salle 

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