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vendredi 30 août 2019

The Rendezvous - Yakusoku, Koichi Saito (1972)

Koichi Saito avait exploré sa thématique de l'errance existentielle à travers le beau coming of age pastoral Journey Into Solitude (1972). Avec The Rendezvous il va creuser ce sillon à travers un poignant drame romantique. Un jeune homme élégant et turbulent rencontre une jolie femme d'âge mûr durant un voyage en train. Il tente maladroitement de lier connaissance malgré l'attitude fuyante de sa voisine, ils vont poursuivre leur périple en commun quand ils descendront à la même station. On en saura plus très tardivement sur le passif des personnages mais quelques indices et réactions habilement distillées permettent de les deviner, que ce soit le rictus crispé de la femme (Keiko Kishi) en lisant un fait divers dans le journal ou encore la dégaine et comportement de marlou du jeune homme typique du yakuza.

Tout dans le visage mélancolique, le langage corporel résigné, trahit chez la femme une forme de renoncement que Sato accentue en figeant sa silhouette solitaire dans de superbe paysage naturel ou encore dans des environnements urbains mornes. A l'inverse l'agitation enfantine constante du jeune homme laisse deviner chez lui l'attente de quelque chose, de quelqu'un qui changerait son existence. La parole rare et le stoïcisme de l'une comme la logorrhée angoissée de l'autre dissimulent une même solitude, que les pérégrinations (le recueillement sur la tombe de la mère de la femme) et les confidences (le passé d'orphelin de l'homme) révèleront.

Ils vont raviver et combler leurs manques émotionnels respectifs à travers leur fragile romance que Saito saisit avant tout par l'image. La coiffure stricte de la femme contribue notamment à cette mise en retrait du monde, qu'elle brise lors d'une scène où elle relâche ses cheveux et se maquille pour s'exposer à nouveau au monde, en se rendant à nouveau désirable pour un homme et en somme en s'aimant elle-même par cet apprêt. La dernière partie voit le jeune homme faire montre d'une fragilité qui dénote tout autant de son arrogance initiale, au bord des larmes et retardant toujours plus l'inéluctable séparation.

Le travail sur le découpage, les raccords regards et les compositions de plans trahissent l'influence de Lelouch (mimétisme renforcé par le score jazzy et mélancolique de Yasushi Miyakawa) dans l'esthétique de Saito qui illustre d'envoutants moments romantiques suspendus et furtifs (l'homme posant son manteau pour serrer la main de la femme secrètement). La superbe photo de Noritaka Sakamoto façonne ainsi un écrin délicat, à la fois naturaliste et stylisé. Vrais dans leurs sentiments mais secrets dans leur passif, le couple voit pourtant ce dernier les rattraper lors de la poignante conclusion, non sans une promesse qui donne son joli titre francisé au film.

Sorti en dvd japonais et doté de sous-titres anglais

 

jeudi 29 août 2019

A Kid for Two Farthings - Carol Reed (1955)

Dans le quartier pauvre de l’East End de Londres, Joe, un petit garçon, vit avec sa mère, Joanne. Ils habitent au-dessus du magasin du tailleur Kandinsky pour lequel elle travaille. Joe est candidement et sérieusement déterminé à aider à exaucer les vœux de ses voisins pauvres qui se tuent à la besogne. Après avoir entendu Mr. Kandinsky raconter qu’une licorne capturée permet la réalisation de tous les vœux, Joe utilise son argent de poche pour acheter un chevreau qui a une corne au milieu du front, pensant qu’il s’agit d’un animal magique.

A Kid for Two Farthings est une des dernières œuvre "modeste" de Carol Reed avant que sa carrière ne s'oriente davantage vers la superproduction avec notamment Trapèze (1956), L'Extase et l'Agonie (1965 ou encore Oliver (1968) - sans parler de sa contribution non créditée à Les Révoltés du Bounty (1962 finalement réalisé par Lewis Milestone. L'Homme de Berlin (1953), film précédent de Reed, avait rencontré un accueil public et critique tiède en raison d'une approche jugée (à tort trop proche du Troisième homme (1949). Le réalisateur décide donc pour son projet suivant de revenir à un sujet typiquement anglais en adaptant le roman semi-autobiographique de Wolf Mankowitz. Le film cherche à la fois à dépeindre un récit d'enfance et perte d'innocence à la manière de Première désillusion (1948) et capturer une pure atmosphère londonienne comme pu le faire Huit heures de sursis (1947).

C'est la complémentarité de ces deux objectifs qui évite au film de donner dans la redite. La dimension de conte s'incarne à travers le personnage de Joe (Jonathan Ashmore) jeune garçon vivant avec sa mère Joanna (Celia Johnson), dans l'attente que la famille rejoigne le père parti chercher fortune en Afrique. Doux rêveur, Joe s'accroche à la perspective de revoir son père en espérant trouver une licorne apte à exaucer tous ses vœux. Il pense avoir touché au but lorsqu'il acquiert un chevreau muni d'une seule corne et ce nouvel espoir va influencer tous les protagonistes qui gravitent autour du garçonnet. Les attentes contrariées, suspendues où déçues caractérisent ainsi, à des degrés divers, l'espoir de mariage de Sonia (Diane Dors) avec son musculeux fiancée Sam (Joe Robinson), celui d'une nouvelle machine pour le tailleur Kandinsky (David Kossoff) ou encore celui de revoir son mari pour Joanna.

La candeur de Joe le pousse à croire en la magie de sa "licorne" et les hasards et coïncidences semblent presque lui donner raison à chaque fois. Cependant si la licorne est un baume sans conséquence pour l'enfant, les adultes vont passer par des raccourcis dangereux au bonheur (Sonia poussant Sam à un périlleux combat de lutte pour avoir les finances de construire leur foyer) ou au contraire sombrer dans le plus pitoyable désespoir (Joanna résignée dans sa solitude). Le pont entre ces deux états est représenté par Kandinsky, formidable conteur qui avive l'imagination de Joe, tente de faire garder les pieds sur terre au couple Joanna/Joe et empêche Joanna de céder à sa dépression. Kandinsky est pourtant celui qui a le plus renoncé au bonheur, et pour une raison que Reed laisse subtilement deviner lorsque le personnage révèle son patronyme complet à consonance juive.

Si le vide et les terreurs nocturnes inspirées par la grande maison guidaient le point de vue du gamin de Première désillusion, c'est le grouillement urbain et la chaleur humaine du quartier marchand et cosmopolite de Petticoat Lane Market qui anime celui de Joe ici. Reed oscille entre réalisme et conte en alternant les vraies vues du quartier et le tournage en studio. Il s'agit de son premier film en couleur et la photo d'Edward Scaife capture à merveille une réalité cosmopolite (des indiens, la communauté juive ou à tendance slave) tout en déployant une vraie féérie tour à tour rêveuse ou inquiétante lors des séquences nocturnes avec des vues majestueuses du quartier.

Cela façonne une approche voisine de ses travaux passé mais aussi totalement différente, puisque les villes fantômes, inquiétantes et mortifères du Troisième homme et Huit heures de sursis deviennent des lieux chargés de vie, bruits et activités pour symboliser cet optimisme par le mouvement. Reed semble fortement influencé le réalisme magique façonné par un Fellini sur Il Bidone (l'intimidant catcheur qui rappelle Anthony Quinn) ou Miracle à Milan de Vittorio De Sica. Cette bienveillance imprègne tout le film jusqu'à une belle conclusion qui aura, à des degrés divers, intégré un réel sinueux mais positif pour chacun des protagonistes. Un bel opus méconnu de Carol Reed.

Sorti en bluray et dvd zone 2 anglais chez BFI 

lundi 26 août 2019

L’Arbre de sang - El Árbol de La Sangre, Julio Medem (2018)


En écrivant l'histoire de ses ancêtres, un jeune couple met au jour de sombres secrets familiaux, tandis que la réalité refait soudain surface.

Julio Medem a depuis ses débuts développé un style foisonnant où s’entrecroise esthétique étrange et densité narrative. Après avoir maturée dans ses trois brillants premiers films (Vacas (1991), L’écureuil rouge (1993) et Tierra (1996)), cette approche avait atteint son apogée avec les chefs d’œuvres Les Amants du cercle polaire (1998) et Lucia et le sexe (2000) avant de se perdre dans un fascinant trop-plein dans Caotica Ana (2007). Depuis le réalisateur avait se réinventer, maintenant sa singularité mais à travers une épure narrative voire spatiale dans ses deux derniers films, la romance Room in Rome (2010) et le mélodrame Ma ma (2015). El Árbol de La Sangre renoue avec l’excès de la première manière de Medem mais malheureusement quelque chose semble s’être perdu en route.

Sous la multitude des strates narratives et des exubérances formelles, chaque film de Julio Medem est porté par un fil rouge thématique ou narratif qui en faisait l’unité : la destinée et l’héritage dans Vacas, la quête d’identité avec Tierra, les spirales de la fiction et la porosité avec le réel pour Lucia et le sexe, l’idéal amoureux des Amants du Cercle Polaire, ou encore l’état et les origines du monde pour Caotica Ana. Tous les excès, circonvolutions et écarts tenaient par cette ligne conductrice et la maîtrise de Medem qui semble absente de ce nouvel opus où au contraire il semble tout concentrer sans choisir. On accepte l’entrée en matière nébuleuse mais intrigante qui voit ce couple de jeune gens (Ursula Corbero et Alvaro Cervantès) se réunir dans une maison de campagne pour coucher sur papier leurs secrets de famille. Leurs destins semblent avoir toujours été liés et remonter aux tumultes de la Guerre Civile espagnole, de la migration de certains de leur ancêtre en Russie puis de leur retour au pays. Ce rapprochement se fait justement par une fratrie d’espagnols élevés en Russie, Olmo (Joaquin Furiel) et Victor (Daniel Grao) qui seront pour eux une parenté plus ou moins explicite.

Medem croise les lieux, temporalités et destinées par le montage, la notion de point vue avec quelques idées visuelles intéressante où les personnages du présent observent dans une même image, un même décor, les actes passés des protagonistes qu’ils dépeignent – principalement cette maison de campagne. Cette densité du récit donne cependant plus dans le soap opera que le romanesque dont est capable Medem et les quelques fulgurances sont noyés dans un ensemble qui nous perd et ennuie. Passé familial coupable, amours contrariés, jeu du destin, on retrouve tout ce que l’on a pu apprécier auparavant chez le réalisateur mais dans une boursouflure pénible à suivre. 

La patine numérique semble également avoir fait beaucoup de mal au style terreux de Medem qui ancrait les envols onirique dans un entre-deux onirique et psychanalytique, notamment l’esthétique publicitaire des scènes d’amour (un comble pour le cinéaste du désir qu’est Medem) qu’il avait su éviter dans Room in Rome notamment. Le sacrifice final d’un personnage prête ainsi plus au rire qu’à l’émotion alors que les écarts les plus extravagants s’acceptaient sans ambages dans les œuvres précédentes. On décroche assez vite devant ce charivari lourdement feuilletonesque seulement sauvé par des prestations convaincantes (Joaquin Furiel remarquable d’intensité et qui porte le protagoniste le plus intéressant). Un sévère ratage qu’on espère être un incident plutôt qu’un vrai déclin pour Julio Medem. 

Disponible sur Netflix 


dimanche 25 août 2019

Shanghai Express - Josef Von Sternberg (1932)


À bord du Shanghai Express, la belle et impétueuse Shanghai Lily retrouve un vieil amant, le capitaine Donald Harvey. Leur réconciliation est perturbée par la guerre civile qui fait rage quand le train est arrêté par le dangereux Chang. Il prend en otage Harvey, mais tombe sous le charme de Lily...

Shanghai Express est le quatrième et plus gros succès de la mythique collaboration entre Marlene Dietrich et Josef von Sternberg. Le réalisateur emmène son équipe désormais bien établie (Jules Furthman au scénario, Lee Garmes à la photo, Travis Banton aux costumes, Hans Dreier à la direction artistique) dans une aventure librement inspirée d’un fait divers survenu en Chine le 6 mai 1923. Un chef de guerre chinois stoppa le train Shanghai-Pékin et pris en otage 25 occidentaux et 300 chinois dans l’attente d’une rançon. Sur ce postulat Sternberg tisse une intrigue lorgnant sur le Boule de Suif de Guy de Maupassant (bien que Sternberg nie l’inspiration) avec également un groupe de personnage stoppés et isolés dans une zone de conflit. Il s’agira donc ici d’observer, dans l’isolement du train, les attitudes que révèlent les situations extraordinaires chez l’individu.

Von Sternberg introduit dans des motifs formels similaire le groupe de passager, dans un travelling accompagnant leur avancée sur le quai puis leur montée dans le train. L’attitude méprisante envers les autochtones (presque tous), la toilette recherchée (Shanghai Lily (Marlene Dietrich) et Hui Fei (Ann May Wong)), le tempérament hypocondriaque (Eric Baum (Gustav von Seyffertitz)), tout cela vise à figer un archétype destiné à duper les autres ou à montrer une authenticité désinvolte. Von Sternberg s’en amuse dans son introduction puis en fait peu à peu un élément narratif et dramatique captivant. Les personnages « vrais » sont les seuls capables d’initiative tout au long du récit tandis que ceux dissimulant quelque chose seront tôt ou tard en difficulté. 

Dès l’arrestation d’un agent chinois ce point est établit. La noirceur de cette dichotomie s’affirme à travers Henry Chang (Warner Oland) assumant son métissage sino-américain malgré les sarcasmes qu’il fera chèrement payer par la suite. Le versant lumineux s’incarne avec Shanghai Lily et Hui Fei qui méprisent les conventions moralisatrices et se trouvent être les figures les plus actives et courageuses lorsque le drame va se nouer. Face à ces entités franches, les autres protagonistes révèlent une facticité dans l’ornement (les faux diamants arborés par Sam Salt (Eugene Palette)), le port (le militaire déchu joué par Emile Chautard) ou les activités (Eric Baum qui s’avère un trafiquant d’opium) qui les rends forcément faibles. 

 La tumultueuse romance entre Harvey (Clive Brook) et Shanghai Lily constitue un fil rouge de cette thématique avec ce couple déchiré entre posture et vérité. Les étapes même du voyage illustrent ce va-et-vient : le départ et des retrouvailles qui rappellent le doute, l’arrêt qui ravive la passion mais réveille la suspicion et enfin l’arrivée qui rétablit enfin la confiance. Les motifs de la rupture initiale reposent sur ce contretemps permanent, Shanghai Lily en rendant Harvey jaloux, et ce dernier se croyant trompé sans l’ombre d’un doute, ayant pu observer une confiance mutuelle friable. Il en résultera des conséquences les éloignant d’autant plus avec la vie dissolue de Shanghai Lily et le cynisme désabusé de Harvey, sans que leur connexion amoureuse se brise complètement – dans une magnifique scène de baiser notamment.

La sophistication du décor (le luxe des tapisseries et des ornements du train comme lignes du mensonge) reflète le mensonge et les sentiments refoulés. Le baiser entre Harvey et Shanghai Lily intervient ainsi à l’extérieur du wagon loin des regards et des artifices, la vraie mise à l’épreuve de leurs sentiments aura lieu dans le repère de Chang. La blancheur des draperies de cette geôle exprime donc cette fois de façon paradoxale la pureté du mensonge (Shanghai Lily faisant mine de céder à Chang pour faire échapper Harvey) quand le dépouillement des lieux raniment l’incompréhension et le fossé du couple. 

L’épure n’intervient que dans la sincérité et la dévotion la plus totale et désintéressée (forcément hors du regard de celui à laquelle elle est destinée) avec ce somptueux plan de Shanghai Lily dans la pénombre de son compartiment, ne laissant apparaître que les mains qu’elle joint dans sa prière pour Harvey. Ce glissement intervient aussi chez d’autres personnages puisque Von Sternberg joue à la fois sur le mystère de l’Orient et le raffinement associé à Anna May Wong, notamment sur ses mains, pour lui faire adopter la vengeance la plus brutale envers Chang qui l’a violée. Marlene Dietrich trouve un de ses rôles les plus poignants chez Von Sternberg, où son apparat fastueux n’est qu’un masque de son dépit amoureux. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Elephant