Koichi Saito avait exploré sa thématique de l'errance existentielle à travers le beau coming of age pastoral Journey Into Solitude (1972). Avec The Rendezvous
il va creuser ce sillon à travers un poignant drame romantique. Un
jeune homme élégant et turbulent rencontre une jolie femme d'âge mûr
durant un voyage en train. Il tente maladroitement de lier connaissance
malgré l'attitude fuyante de sa voisine, ils vont poursuivre leur
périple en commun quand ils descendront à la même station. On en saura
plus très tardivement sur le passif des personnages mais quelques
indices et réactions habilement distillées permettent de les deviner,
que ce soit le rictus crispé de la femme (Keiko Kishi) en lisant un fait
divers dans le journal ou encore la dégaine et comportement de marlou
du jeune homme typique du yakuza.
Tout dans le visage mélancolique, le
langage corporel résigné, trahit chez la femme une forme de renoncement
que Sato accentue en figeant sa silhouette solitaire dans de superbe
paysage naturel ou encore dans des environnements urbains mornes. A
l'inverse l'agitation enfantine constante du jeune homme laisse deviner
chez lui l'attente de quelque chose, de quelqu'un qui changerait son
existence. La parole rare et le stoïcisme de l'une comme la logorrhée
angoissée de l'autre dissimulent une même solitude, que les
pérégrinations (le recueillement sur la tombe de la mère de la femme) et
les confidences (le passé d'orphelin de l'homme) révèleront.
Ils
vont raviver et combler leurs manques émotionnels respectifs à travers
leur fragile romance que Saito saisit avant tout par l'image. La coiffure
stricte de la femme contribue notamment à cette mise en retrait du
monde, qu'elle brise lors d'une scène où elle relâche ses cheveux et se
maquille pour s'exposer à nouveau au monde, en se rendant à nouveau
désirable pour un homme et en somme en s'aimant elle-même par cet
apprêt. La dernière partie voit le jeune homme faire montre d'une
fragilité qui dénote tout autant de son arrogance initiale, au bord des
larmes et retardant toujours plus l'inéluctable séparation.
Le travail
sur le découpage, les raccords regards et les compositions de plans
trahissent l'influence de Lelouch (mimétisme renforcé par le score jazzy
et mélancolique de Yasushi Miyakawa) dans l'esthétique de Saito qui
illustre d'envoutants moments romantiques suspendus et furtifs (l'homme
posant son manteau pour serrer la main de la femme secrètement). La
superbe photo de Noritaka Sakamoto façonne ainsi un écrin délicat, à la
fois naturaliste et stylisé. Vrais dans leurs sentiments mais secrets
dans leur passif, le couple voit pourtant ce dernier les rattraper lors
de la poignante conclusion, non sans une promesse qui donne son joli
titre francisé au film.
Sorti en dvd japonais et doté de sous-titres anglais
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vendredi 30 août 2019
jeudi 29 août 2019
A Kid for Two Farthings - Carol Reed (1955)
Dans le quartier pauvre de l’East End de
Londres, Joe, un petit garçon, vit avec sa mère, Joanne. Ils habitent
au-dessus du magasin du tailleur Kandinsky pour lequel elle travaille.
Joe est candidement et sérieusement déterminé à aider à exaucer les vœux
de ses voisins pauvres qui se tuent à la besogne. Après avoir entendu
Mr. Kandinsky raconter qu’une licorne capturée permet la réalisation de
tous les vœux, Joe utilise son argent de poche pour acheter un chevreau
qui a une corne au milieu du front, pensant qu’il s’agit d’un animal
magique.
A Kid for Two Farthings est une des dernières œuvre "modeste" de Carol Reed avant que sa carrière ne s'oriente davantage vers la superproduction avec notamment Trapèze (1956), L'Extase et l'Agonie (1965 ou encore Oliver (1968) - sans parler de sa contribution non créditée à Les Révoltés du Bounty (1962 finalement réalisé par Lewis Milestone. L'Homme de Berlin (1953), film précédent de Reed, avait rencontré un accueil public et critique tiède en raison d'une approche jugée (à tort trop proche du Troisième homme (1949). Le réalisateur décide donc pour son projet suivant de revenir à un sujet typiquement anglais en adaptant le roman semi-autobiographique de Wolf Mankowitz. Le film cherche à la fois à dépeindre un récit d'enfance et perte d'innocence à la manière de Première désillusion (1948) et capturer une pure atmosphère londonienne comme pu le faire Huit heures de sursis (1947).
C'est la complémentarité de ces deux objectifs qui évite au film de donner dans la redite. La dimension de conte s'incarne à travers le personnage de Joe (Jonathan Ashmore) jeune garçon vivant avec sa mère Joanna (Celia Johnson), dans l'attente que la famille rejoigne le père parti chercher fortune en Afrique. Doux rêveur, Joe s'accroche à la perspective de revoir son père en espérant trouver une licorne apte à exaucer tous ses vœux. Il pense avoir touché au but lorsqu'il acquiert un chevreau muni d'une seule corne et ce nouvel espoir va influencer tous les protagonistes qui gravitent autour du garçonnet. Les attentes contrariées, suspendues où déçues caractérisent ainsi, à des degrés divers, l'espoir de mariage de Sonia (Diane Dors) avec son musculeux fiancée Sam (Joe Robinson), celui d'une nouvelle machine pour le tailleur Kandinsky (David Kossoff) ou encore celui de revoir son mari pour Joanna.
La candeur de Joe le pousse à croire en la magie de sa "licorne" et les hasards et coïncidences semblent presque lui donner raison à chaque fois. Cependant si la licorne est un baume sans conséquence pour l'enfant, les adultes vont passer par des raccourcis dangereux au bonheur (Sonia poussant Sam à un périlleux combat de lutte pour avoir les finances de construire leur foyer) ou au contraire sombrer dans le plus pitoyable désespoir (Joanna résignée dans sa solitude). Le pont entre ces deux états est représenté par Kandinsky, formidable conteur qui avive l'imagination de Joe, tente de faire garder les pieds sur terre au couple Joanna/Joe et empêche Joanna de céder à sa dépression. Kandinsky est pourtant celui qui a le plus renoncé au bonheur, et pour une raison que Reed laisse subtilement deviner lorsque le personnage révèle son patronyme complet à consonance juive.
Si le vide et les terreurs nocturnes inspirées par la grande maison guidaient le point de vue du gamin de Première désillusion, c'est le grouillement urbain et la chaleur humaine du quartier marchand et cosmopolite de Petticoat Lane Market qui anime celui de Joe ici. Reed oscille entre réalisme et conte en alternant les vraies vues du quartier et le tournage en studio. Il s'agit de son premier film en couleur et la photo d'Edward Scaife capture à merveille une réalité cosmopolite (des indiens, la communauté juive ou à tendance slave) tout en déployant une vraie féérie tour à tour rêveuse ou inquiétante lors des séquences nocturnes avec des vues majestueuses du quartier.
Cela façonne une approche voisine de ses travaux passé mais aussi totalement différente, puisque les villes fantômes, inquiétantes et mortifères du Troisième homme et Huit heures de sursis deviennent des lieux chargés de vie, bruits et activités pour symboliser cet optimisme par le mouvement. Reed semble fortement influencé le réalisme magique façonné par un Fellini sur Il Bidone (l'intimidant catcheur qui rappelle Anthony Quinn) ou Miracle à Milan de Vittorio De Sica. Cette bienveillance imprègne tout le film jusqu'à une belle conclusion qui aura, à des degrés divers, intégré un réel sinueux mais positif pour chacun des protagonistes. Un bel opus méconnu de Carol Reed.
Sorti en bluray et dvd zone 2 anglais chez BFI
A Kid for Two Farthings est une des dernières œuvre "modeste" de Carol Reed avant que sa carrière ne s'oriente davantage vers la superproduction avec notamment Trapèze (1956), L'Extase et l'Agonie (1965 ou encore Oliver (1968) - sans parler de sa contribution non créditée à Les Révoltés du Bounty (1962 finalement réalisé par Lewis Milestone. L'Homme de Berlin (1953), film précédent de Reed, avait rencontré un accueil public et critique tiède en raison d'une approche jugée (à tort trop proche du Troisième homme (1949). Le réalisateur décide donc pour son projet suivant de revenir à un sujet typiquement anglais en adaptant le roman semi-autobiographique de Wolf Mankowitz. Le film cherche à la fois à dépeindre un récit d'enfance et perte d'innocence à la manière de Première désillusion (1948) et capturer une pure atmosphère londonienne comme pu le faire Huit heures de sursis (1947).
C'est la complémentarité de ces deux objectifs qui évite au film de donner dans la redite. La dimension de conte s'incarne à travers le personnage de Joe (Jonathan Ashmore) jeune garçon vivant avec sa mère Joanna (Celia Johnson), dans l'attente que la famille rejoigne le père parti chercher fortune en Afrique. Doux rêveur, Joe s'accroche à la perspective de revoir son père en espérant trouver une licorne apte à exaucer tous ses vœux. Il pense avoir touché au but lorsqu'il acquiert un chevreau muni d'une seule corne et ce nouvel espoir va influencer tous les protagonistes qui gravitent autour du garçonnet. Les attentes contrariées, suspendues où déçues caractérisent ainsi, à des degrés divers, l'espoir de mariage de Sonia (Diane Dors) avec son musculeux fiancée Sam (Joe Robinson), celui d'une nouvelle machine pour le tailleur Kandinsky (David Kossoff) ou encore celui de revoir son mari pour Joanna.
La candeur de Joe le pousse à croire en la magie de sa "licorne" et les hasards et coïncidences semblent presque lui donner raison à chaque fois. Cependant si la licorne est un baume sans conséquence pour l'enfant, les adultes vont passer par des raccourcis dangereux au bonheur (Sonia poussant Sam à un périlleux combat de lutte pour avoir les finances de construire leur foyer) ou au contraire sombrer dans le plus pitoyable désespoir (Joanna résignée dans sa solitude). Le pont entre ces deux états est représenté par Kandinsky, formidable conteur qui avive l'imagination de Joe, tente de faire garder les pieds sur terre au couple Joanna/Joe et empêche Joanna de céder à sa dépression. Kandinsky est pourtant celui qui a le plus renoncé au bonheur, et pour une raison que Reed laisse subtilement deviner lorsque le personnage révèle son patronyme complet à consonance juive.
Si le vide et les terreurs nocturnes inspirées par la grande maison guidaient le point de vue du gamin de Première désillusion, c'est le grouillement urbain et la chaleur humaine du quartier marchand et cosmopolite de Petticoat Lane Market qui anime celui de Joe ici. Reed oscille entre réalisme et conte en alternant les vraies vues du quartier et le tournage en studio. Il s'agit de son premier film en couleur et la photo d'Edward Scaife capture à merveille une réalité cosmopolite (des indiens, la communauté juive ou à tendance slave) tout en déployant une vraie féérie tour à tour rêveuse ou inquiétante lors des séquences nocturnes avec des vues majestueuses du quartier.
Cela façonne une approche voisine de ses travaux passé mais aussi totalement différente, puisque les villes fantômes, inquiétantes et mortifères du Troisième homme et Huit heures de sursis deviennent des lieux chargés de vie, bruits et activités pour symboliser cet optimisme par le mouvement. Reed semble fortement influencé le réalisme magique façonné par un Fellini sur Il Bidone (l'intimidant catcheur qui rappelle Anthony Quinn) ou Miracle à Milan de Vittorio De Sica. Cette bienveillance imprègne tout le film jusqu'à une belle conclusion qui aura, à des degrés divers, intégré un réel sinueux mais positif pour chacun des protagonistes. Un bel opus méconnu de Carol Reed.
Sorti en bluray et dvd zone 2 anglais chez BFI
lundi 26 août 2019
L’Arbre de sang - El Árbol de La Sangre, Julio Medem (2018)
En écrivant l'histoire
de ses ancêtres, un jeune couple met au jour de sombres secrets familiaux,
tandis que la réalité refait soudain surface.
Julio Medem a depuis ses débuts développé un style
foisonnant où s’entrecroise esthétique étrange et densité narrative. Après
avoir maturée dans ses trois brillants premiers films (Vacas (1991), L’écureuil rouge (1993) et Tierra (1996)),
cette approche avait atteint son apogée avec les chefs d’œuvres Les Amants du cercle polaire (1998) et Lucia et le sexe (2000) avant de se
perdre dans un fascinant trop-plein dans Caotica Ana (2007). Depuis le réalisateur avait se réinventer, maintenant sa
singularité mais à travers une épure narrative voire spatiale dans ses deux
derniers films, la romance Room in Rome
(2010) et le mélodrame Ma ma (2015). El Árbol de La Sangre renoue avec l’excès
de la première manière de Medem mais malheureusement quelque chose semble s’être
perdu en route.
Sous la multitude des strates narratives et des exubérances
formelles, chaque film de Julio Medem est porté par un fil rouge thématique ou
narratif qui en faisait l’unité : la destinée et l’héritage dans Vacas, la quête d’identité avec Tierra, les spirales de la fiction et la
porosité avec le réel pour Lucia et le
sexe, l’idéal amoureux des Amants du
Cercle Polaire, ou encore l’état et les origines du monde pour Caotica Ana. Tous les excès, circonvolutions
et écarts tenaient par cette ligne conductrice et la maîtrise de Medem qui
semble absente de ce nouvel opus où au contraire il semble tout concentrer sans
choisir. On accepte l’entrée en matière nébuleuse mais intrigante qui voit ce
couple de jeune gens (Ursula Corbero et Alvaro Cervantès) se réunir dans une
maison de campagne pour coucher sur papier leurs secrets de famille. Leurs
destins semblent avoir toujours été liés et remonter aux tumultes de la Guerre
Civile espagnole, de la migration de certains de leur ancêtre en Russie puis de
leur retour au pays. Ce rapprochement se fait justement par une fratrie d’espagnols
élevés en Russie, Olmo (Joaquin Furiel) et Victor (Daniel Grao) qui seront pour
eux une parenté plus ou moins explicite.
Medem croise les lieux, temporalités et destinées par le
montage, la notion de point vue avec quelques idées visuelles intéressante où
les personnages du présent observent dans une même image, un même décor, les
actes passés des protagonistes qu’ils dépeignent – principalement cette maison
de campagne. Cette densité du récit donne cependant plus dans le soap opera que
le romanesque dont est capable Medem et les quelques fulgurances sont noyés
dans un ensemble qui nous perd et ennuie. Passé familial coupable, amours
contrariés, jeu du destin, on retrouve tout ce que l’on a pu apprécier
auparavant chez le réalisateur mais dans une boursouflure pénible à suivre.
La
patine numérique semble également avoir fait beaucoup de mal au style terreux
de Medem qui ancrait les envols onirique dans un entre-deux onirique et
psychanalytique, notamment l’esthétique publicitaire des scènes d’amour (un
comble pour le cinéaste du désir qu’est Medem) qu’il avait su éviter dans Room in Rome notamment. Le sacrifice
final d’un personnage prête ainsi plus au rire qu’à l’émotion alors que les
écarts les plus extravagants s’acceptaient sans ambages dans les œuvres précédentes. On décroche assez vite devant ce charivari lourdement feuilletonesque
seulement sauvé par des prestations convaincantes (Joaquin Furiel remarquable d’intensité
et qui porte le protagoniste le plus intéressant). Un sévère ratage qu’on
espère être un incident plutôt qu’un vrai déclin pour Julio Medem.
Disponible sur Netflix
dimanche 25 août 2019
Shanghai Express - Josef Von Sternberg (1932)
À bord du Shanghai
Express, la belle et impétueuse Shanghai Lily retrouve un vieil amant, le
capitaine Donald Harvey. Leur réconciliation est perturbée par la guerre civile
qui fait rage quand le train est arrêté par le dangereux Chang. Il prend en otage
Harvey, mais tombe sous le charme de Lily...
Shanghai Express est
le quatrième et plus gros succès de la mythique collaboration entre Marlene
Dietrich et Josef von Sternberg. Le réalisateur emmène son équipe désormais
bien établie (Jules Furthman au scénario, Lee Garmes à la photo, Travis Banton
aux costumes, Hans Dreier à la direction artistique) dans une aventure
librement inspirée d’un fait divers survenu en Chine le 6 mai 1923. Un chef de
guerre chinois stoppa le train Shanghai-Pékin et pris en otage 25 occidentaux
et 300 chinois dans l’attente d’une rançon. Sur ce postulat Sternberg tisse une
intrigue lorgnant sur le Boule de Suif
de Guy de Maupassant (bien que Sternberg nie l’inspiration) avec également un
groupe de personnage stoppés et isolés dans une zone de conflit. Il s’agira
donc ici d’observer, dans l’isolement du train, les attitudes que révèlent les
situations extraordinaires chez l’individu.
Von Sternberg introduit dans des motifs formels similaire le
groupe de passager, dans un travelling accompagnant leur avancée sur le quai puis
leur montée dans le train. L’attitude méprisante envers les autochtones (presque
tous), la toilette recherchée (Shanghai Lily (Marlene Dietrich) et Hui Fei (Ann
May Wong)), le tempérament hypocondriaque (Eric Baum (Gustav von Seyffertitz)),
tout cela vise à figer un archétype destiné à duper les autres ou à montrer une
authenticité désinvolte. Von Sternberg s’en amuse dans son introduction puis en
fait peu à peu un élément narratif et dramatique captivant. Les personnages « vrais »
sont les seuls capables d’initiative tout au long du récit tandis que ceux
dissimulant quelque chose seront tôt ou tard en difficulté.
Dès l’arrestation d’un
agent chinois ce point est établit. La noirceur de cette dichotomie s’affirme à
travers Henry Chang (Warner Oland) assumant son métissage sino-américain malgré
les sarcasmes qu’il fera chèrement payer par la suite. Le versant lumineux s’incarne
avec Shanghai Lily et Hui Fei qui méprisent les conventions moralisatrices et
se trouvent être les figures les plus actives et courageuses lorsque le drame
va se nouer. Face à ces entités franches, les autres protagonistes révèlent une
facticité dans l’ornement (les faux diamants arborés par Sam Salt (Eugene
Palette)), le port (le militaire déchu joué par Emile Chautard) ou les
activités (Eric Baum qui s’avère un trafiquant d’opium) qui les rends forcément
faibles.
La tumultueuse romance entre Harvey (Clive Brook) et
Shanghai Lily constitue un fil rouge de cette thématique avec ce couple déchiré
entre posture et vérité. Les étapes même du voyage illustrent ce va-et-vient :
le départ et des retrouvailles qui rappellent le doute, l’arrêt qui ravive la
passion mais réveille la suspicion et enfin l’arrivée qui rétablit enfin la
confiance. Les motifs de la rupture initiale reposent sur ce contretemps
permanent, Shanghai Lily en rendant Harvey jaloux, et ce dernier se croyant
trompé sans l’ombre d’un doute, ayant pu observer une confiance mutuelle
friable. Il en résultera des conséquences les éloignant d’autant plus avec la
vie dissolue de Shanghai Lily et le cynisme désabusé de Harvey, sans que leur
connexion amoureuse se brise complètement – dans une magnifique scène de baiser
notamment.
La sophistication du décor (le luxe des tapisseries et des
ornements du train comme lignes du mensonge) reflète le mensonge et les
sentiments refoulés. Le baiser entre Harvey et Shanghai Lily intervient ainsi à
l’extérieur du wagon loin des regards et des artifices, la vraie mise à l’épreuve
de leurs sentiments aura lieu dans le repère de Chang. La blancheur des
draperies de cette geôle exprime donc cette fois de façon paradoxale la pureté du
mensonge (Shanghai Lily faisant mine de céder à Chang pour faire échapper
Harvey) quand le dépouillement des lieux raniment l’incompréhension et le fossé
du couple.
L’épure n’intervient que dans la sincérité et la dévotion la plus totale
et désintéressée (forcément hors du regard de celui à laquelle elle est
destinée) avec ce somptueux plan de Shanghai Lily dans la pénombre de son
compartiment, ne laissant apparaître que les mains qu’elle joint dans sa prière
pour Harvey. Ce glissement intervient aussi chez d’autres personnages puisque
Von Sternberg joue à la fois sur le mystère de l’Orient et le raffinement
associé à Anna May Wong, notamment sur ses mains, pour lui faire adopter la
vengeance la plus brutale envers Chang qui l’a violée. Marlene Dietrich trouve
un de ses rôles les plus poignants chez Von Sternberg, où son apparat fastueux
n’est qu’un masque de son dépit amoureux.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Elephant